02 septembre 2008

SH Fernando Jr - The New Beats (1993/2008)

Deux éléments rendent ce bouquin particulièrement précieux. La date de sa première parution, d’abord : 1993. A l’époque, le hip-hop est déjà devenu une énorme machine commerciale, mais l’intégrité des artistes n’en a pas encore réellement pâti. L’identité de son auteur, ensuite. Car The New Beats n’est pas l’oeuvre d’un critique musical pur souche. S’il a collaboré avec Vibe, The Source et même le New York Times, SH Fernando Jr reste avant tout un acteur de la scène hip-hop, auteur de nombreux albums sous de multiples pseudos (Spectre, The Ill Saint, Slotek, The Eye, The Mystic, The High Priest...) et patron du label Wordsound, lancé en 1994 grâce à 1000 malheureux dollars prêtés par son pote producteur Bill Laswell. Ce n’est donc pas à une somme exhaustive et désincarnée qu’il nous convie au fil de ces 400 pages, mais à une immersion subjective et vibrante dans le milieu. Au travers de récits souvent anecdotiques, il tente aussi de définir la culture hip-hop, ses attitudes, ses aspirations sociales et politiques. Diplômé d’Harvard et de Columbia, l’homme n’est pas un styliste pur mais sa prose se goûte sans déplaisir. Ce qui n’est pas un détail.

Une vision subjective, donc. Fernando commence par raconter ses premiers émois à l’écoute du “Rappers Delight” de Sugarhill Gang et sa découverte progressive de cette musique à laquelle Afrika Bambaata, reprenant un terme déjà répandu par le bouche-à-oreilles, attribuera le nom de hip-hop. C’est la période la plus émouvante, celle de la naissance d’une culture dans les fêtes en plein air du Bronx, orchestrées par le Jamaïcain Kool Herc ; celle ensuite de l’émergence d’une génération d’artistes novateurs tels que Run-D.M.C., Public Enemy, Eric B. & Rakim, KRS-ONE ou EPMD. L’auteur n’en oublie pas pour autant les précurseurs que sont les Last Poets ou Gil Scott-Heron, et surtout les racines précoloniales du son hip-hop, ce qu’il doit au gospel, au blues, à la soul, au dub et aux réservoirs à samples que sont les oeuvres de George Clinton ou de James Brown. Historiquement parlant, le travail de Fernando Jr est précis et un souci permanent de contextualisation permet au lecteur de lier les événements politiques et sociaux (esclavage, accession progressive aux droits civiques, émeutes de Watts, activisme des Black Panthers...) à leurs pendants musicaux.

Deux années de travail auront été nécessaires à Fernando pour boucler son affaire. Le temps d’accumuler une documentation colossale et de rencontrer des centaines d’artistes d’un bout à l’autre des Etats-Unis. Et même si l’on sent très nettement que son coeur penche à l’Est - notre homme vient de Brooklyn, il s’est donné la peine de séjourner longuement à Los Angeles, au lendemain des émeutes de 1992, en immersion dans le gang des Bloods (les bandanas rouges opposés aux Crisps, en bleu). Quelques déséquilibres subsistent cependant, le rap jazzy façon A Tribe Called Quest n’étant qu’effleuré tandis que le label new yorkais Def Jam , certes très influent, a droit à un chapitre entier. Regrettable également, l'absence notoire du hip-hop non-américain.

Evidemment, beaucoup de choses ont changé sur la planète hip-hop en 15 ans. Eazy-E, Tupac et Notorious BIG sont morts, l’industrie du disque s’est effondrée et l’avènement de nouvelles superstars (50 cent, Kanye West, Eminem...) a métamorphosé le paysage musical, tandis que les scènes locales, et notamment en France, se sont développées au-delà de toute attente. Il n’empêche que la réédition française de cet ouvrage en version poche, en octobre 2008 chez Kargo, paraît plus que pertinente, ne serait-ce que pour constater combien le mouvement a dévié de son souffle originel. A se procurer sans hésitation.

S.H. Fernando Jr, The New Beats - Musique, culture et attitudes du hip-hop, traduction par Arnaud Réveillon et Jean-Philippe Henquel, Kargo & L'Eclat, 1993 - 2008, 384 pages, 12 euros.

Voici quelques-uns des titres et des artistes évoqués dans le livre :




Le site du label Wordsound

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2 Comments:

Ju said...

Magnifique playlist pour démarrer la journée...
Merci Dave, à+
Ju

Anonyme said...

High Priest c'est le type d'antipop consortium, pas spectre

spectre a aussi fait sur son label wordsound le docu-fiction "Crooked" qui est un classique underground