29 mai 2007

Okkervil River - Down the river of golden dreams (2003)

Sorti de nulle part, sans aucune promotion, doté d’un nom imprononçable et d’une jaquette des plus bizarroïdes, cet album avait toutes ses chances de passer inaperçu et de tomber dans les entrailles de l’oubli musical. Pourtant, sans savoir comment, il s’est retrouvé dans ma platine et m’a simplement offert un délicieux moment de bonheur.

Déjà troisième opus de ce groupe Texan fondé en 1998, Down the river of golden dreams est enregistré à San Francisco sous le label indé Jagjaguwar. Will Sheff, le chanteur et leader apporte à ce folk symphonique et rustique une voix intense et sans complainte d’une pure merveille. Au fil du disque il laisse percevoir tour à tour ses hésitations, sa franchise, ses incertitudes aussi, son côté humain en somme. Dans un tourbillon d’histoires plus noires les unes que les autres, Will fait appel aux âmes de ses idoles à qui il rend ici un hommage sincère, Ottis redding, Al Green, Sam Cooke, Dylan aussi, tous sont là.

Album crescendo d’un incroyable potentiel, à la fois facile d’accès mais très sophistiqué, c’est un moment de plaisir intense à chaque écoute. Les arrangements y sont plutôt chargés à cause de l’utilisation de nombreux instruments originaux : piano mélancolique, trompettes, orgues, claviers Hammond, et les mélodies y sont parfois à la peine. Mais ce disque est tellement inespéré par son concentré si simple de grâce et de poésie qu’on lui excuserait presque de ne pas être parfait. Toute la beauté et la finesse du folk rock moderne et feutré en 11 chansons, trop beau pour être vrai, et pourtant…

J’ai tout de suite pensé à Chris Martin de Cold Play en écoutant les premiers titres, Bono même parfois, jusqu’à finalement saisir la personnalité de ce Will Sheff. Pour moi ça commence vraiment avec For the enemy et son rythme lent au possible qui se retrouve dans la douceur de Maine island lovers. J’aime aussi la bonne humeur de Song about a star et l’instru à la Dylan de Yellow. Enfin les deux gros morceaux de ce disque sont le titre final, Seas to far to search énorme ballade pop et The war criminal rises and speaks, l’une des meilleures chansons que j’ai écoutée cette année qui démarre en slow et qui finit sur une montée en puissance orchestrale magistrale. En un mot comme en cent, Let’s down to the river.
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En bref: Premier réel coup de maître pour le meilleur groupe texan de ces dernières années. C'est tout le petit monde de la pop biscornue qui se retrouve chamboulé et qui trouve en Okkervil River son représentant le plus talentueux. Chef d'oeuvre.
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A lire aussi : Okkervil River - The stage names (2007)
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Le Myspace

Les meilleurs morceaux de l’album precedent:




La chanson The war criminal rises and speaks en live:





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26 mai 2007

Laurent de Wilde - Monk (1996)

Thelonious Monk. Un géant dont le nom seul, entre sacré et grand-guignol, évoque un monde hermétique, impénétrable. Dans un sens, c'est vrai : Monk a créé une des musiques les plus complexes qui soient. Mais c'est aussi une des plus enfantines, des plus directes... Qui mieux qu'un pianiste pouvait tenter d'expliciter cet heureux paradoxe ? Et quand le musicien se double d'un écrivain amoureux de son sujet, l'affaire devient réellement intéressante. Ainsi, Laurent de Wilde, pianiste français né à New-York, peut se vanter d'avoir écrit l'ouvrage parfait pour appréhender le monde dément de celui qui fut surnommé "the genius of modern music".

Avec l'histoire de Thelonious, c'est toute l'histoire du jazz à New-York qui nous est contée. La frénésie créative des années 30, où quelques malades posent les bases du bebop; l'Apollo et le Minton's Playhouse, modeste club où tout démarra; et puis Dizzy, Bird, Hawkins, Bud Powell... l'une des plus grandes concentrations de génies au mètre carré que la terre ait portée. Viennent ensuite l'après-guerre, les premiers disques de Blue Note, de Prestige, de Riverside, la gloire enfin acquise du bop, les sessions au Five Spot de Lower East Side, les tournées triomphales, puis le tomber de rideau, à la fin des 60's, quand les Beatles débarquent... Et au milieu de tout ça, mais toujours en retrait, toujours ailleurs, il y a Monk. Lui ne change jamais. Il joue SA musique, un point c'est tout, et c'est aux autres de s'adapter.

Les autres, justement, sont effrayés par sa musique : faussement simple, ni classique, ni moderne, elle est bourrée de sous-entendus, de décalages prolongés à l'issue desquels il faut pouvoir retomber sur ses pattes. "Si on rate un accord, c'est comme si on tombait dans une cage d'ascenseur vide", disait Coltrane de l'univers de son ami. Même son jeu, au sens physique du terme, l'isole des autres pianistes, aux longs doigts arc-boutés : les doigts plats comme des baguettes, Thelonious martèle le clavier de ses petites mains auxquelles il fait porter tout le poids de son corps.

Toute sa vie, il est à la recherche de musiciens capables de jouer sa musique sans se perdre dans ses pièges rythmiques. Il en trouve, parfois. Et quels musiciens! De Wilde les énumère tous et décortique leurs rapports avec la musique de Monk : il y a ceux qui cherchent une confrontation au sommet, comme l'éternel pote Art Blakey. Ceux qui viennent s'abreuver à la source monkienne pour étancher leur soif de génie, comme Coltrane. Ceux, enfin, qui s'intègrent dans cette musique trop grande pour eux avec humilité et discrétion, comme le talentueux saxophoniste Charlie Rouse, qui joua avec le maître durant douze de ses plus belles années.

De Wilde nous fait assister aux enregistrements, aux concerts les plus marquants et raconte les arnaques des producteurs, la came, les fins de mois à l'arrache... Tous les poncifs d'une biographie de musicien. Sauf en ce qui concerne la vie privée de Monk, incroyablement calme et stable comparée à celle de ses confrères. Tout reposait sur deux femmes : Nellie, son épouse dévouée (à qui il dédia le superbe "Crepuscule with Nellie"), et Pannonica de Koenigswarter, née Rothschild, mécène folle de jazz chez qui le couple se retira au moment où Thelonious cessa subitement de jouer.

Dans "Monk", Laurent de Wilde respecte une stricte chronologie, à une exception près : il omet volontairement d'évoquer les incidents cérébraux du jazzman pendant la majeure partie du livre. La maladie mentale de Monk n'apparaît qu'à la toute fin, comme pour isoler et préserver le génie du pianiste de sa folie, cette folie qui le faisait tourner sur lui-même pendant des heures ou errer des nuits et des jours dans un aéroport avant que la police ne le renvoie chez lui. L'auteur garde tout cela pour les dernières pages, celles du retrait, de l'effacement, de la mort. Il faut beaucoup de respect et d'amour pour protéger le génie d'un homme de cette façon. Monk en vaut bien la peine.

De Wilde (Laurent), Monk, Paris, Gallimard (Folio), 1996, 314 pages.
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Avec Coltrane :




Un extrait de l'indispensable film Straight no chaser, de Charlotte Zwerin, avec trois morceaux live beaux à en mourir et Monk qui jongle avec son piano, sa cigarette et son mouchoir :


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Rio en Medio - The bride of dynamite (2007)

La scène folk américaine se porte bien, pas de doute. Dans le sillage du talentueux barbu Devendra Banhart et de sa clique se distingue aujourd'hui Rio en Medio, une artiste dont je ne connais absolument rien, si ce n'est qu'elle répond au nom de Danielle Stech-Homsy et est originaire de Brooklin. En tout cas, une voix touchante et communicative. Une musique rêveuse, pénétrante et créative, et qui se range aisément aux côtés des Cocorosie, Joanna Newsom, Anthony and the Johnsons et Devendra Banhart, évidemment. Une quasi-histoire de famille.

Au coeur du paysage « nouveau folk », force est de reconnaître que cet album, intitulé The bride of dynamite, ne détonne pas mais s'inscrit plutôt, me semble-t-il, dans la continuité des disques produits ces 2-3 dernières années, aux Etats-Unis en particulier. Rio en Medio propose l'élégant assortiment d'une musique folk épidermique et d'arrangements électro parcimonieux et méticuleux.
Dès le second titre de l'album, « Heaven is high », s'épanouissent clairement ces heureuses influences. Du chant aérien et habité de Danielle Stech-Homsy se dégage une impression de solennelité et à la fois de légèreté, autant dire une jolie énigme vocale. Mais un timbre et un jeu véritablement racés.
Les quelques samples qui parcourent les douze titres présents sont variés et toujours impeccablement justes. C'est le cas sur « Heaven is high » mais aussi sur « Tiger's ear » où des enfants accompagnent les phrases hautes perchées de la pseudonymée Rio en Medio. Sur « Girls on the run » c'est un violoncelle qui est exhumé pour servir la princesse. Beaucoup de distinction dans la voix de la new yorkaise.
La petite surprise de The bride of dynamite provient du dernier titre, une adaptation du poème Liberté de Paul Eluard. Forcément on se dit aie, ça peut coincer... Mais au final, ça fonctionne. Entre arpèges de guitare dépressifs, samples vocaux lanscinants et harmonies du chant. Cela va jusqu'à forcer le respect, c'est dire...

Peut-être illuminé dans le sérail fertile de Banhart, le new folk texan de Rio en Medio, pour parler furtivement en « geek musical », impressionne de maîtrise et de justesse. C'est irradiant, vibrant, mais tendre aussi. En fait, beaucoup de qualificatifs plutôt élogieux à prêter à ce disque. De la belle oeuvre, intense et contemporaine.


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23 mai 2007

Minnie Riperton - Perfect Angel / Adventures in Paradise (1974/1975)

Minnie Riperton fut probablement une des plus belles voix soul de tous les temps. Sa disparition précoce, à l'age de 31 ans, ne lui aura pas permis d'être tout de suite connue du grand public, comme Aretha Franklin par exemple. Remarquée par un certain Stevie Wonder qui l'accueille comme choriste, elle obtient tout de même un premier succès avec "Lovin' you" en 1974 puis un second avec "Inside my love" l'année suivante.

Ressortis des placards grâce à la B.O. de "Jacky Brown" de Tarantino en 1997 ("Inside my love") ou grâce à la compile "Kind of Soul" de Jp Fernandez en 2000 ("Baby this love I have" & "Young, willing & able"), quatre différents albums de la belle sont aujourd'hui disponibles en réédition chez vos disquaires préférés avec deux fois deux albums sur un CD. Je vous conseille particulièrement celui cité dans le titre de ce post... non... en fait, je vous oblige à l'acheter!




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22 mai 2007

DMX - Live à l'Elysée Montmartre (Mai 2007)

Rendez vous 19 heures. La salle est vide. Seules quelques crew squattent les marches d'escalier.

Première partie: SAM'S. Des jeunes de Bordeaux aux revendications simplistes et maintes fois digérées. Un flow syncopé, avec des rimes construites. Mais la formule ne marche pas.

Arrivée du DOG vers 21h.
Départ: Ruff Riders Anthem - truc de ouf
Suivi de près par: Where the bitches at?
Where the hood at?
Where my niggaz at?
It's all good
Get it on the floor
We go hard
Fuck y'all
Party up
Here we go Again
Ain't no way
Rob all night
Flesh of my flesh, blood of my blood
Dogs for life
Lord give me a Sign
Prayer

Ambiance survoltée. Truc de ouf. Un grand nom du hip-hop pour un grand concert d'une toute petite durée: 55 minutes seulement! Le DOG se fatigue vite, il faut dire qu'il se donne. Les fans apprécient mais partent sans être rassasiés. A quand un retour sur Paris?

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17 mai 2007

Manjul - Jahtiguiya - Dub to Mali vol. 2 (2007)

L’histoire musicale de Manjul commence à Paris dans le XVIIIe. Dans les environs de Barbès, il débute sa carrière de multi-instrumentiste par le violon. Très vite le jeune homme est attiré par les mélodies du reggae et plus encore par la mystique du Rastafarisme. Peu à peu, en autodidacte, Manjul se perfectionne à la batterie, au piano et à la guitare. Il devient ingénieur du son, se met à composer et se tourne vers le dub.

C’est dans l’Océan indien, à Mayotte, près de ses racines, qu’il décide de s’installer en 1996 pour se lancer dans le grand bain. Il crée le « Humble Band », un groupe avec lequel il parfait son apprentissage de la musique. C’est surtout après la création de son studio mobile, le « Humble Ark Studio » que Manjul s’imprègne véritablement des musiques traditionnelles pour forger ses mélodies dub. Il va à la rencontre des artistes et permet à de nombreux musiciens locaux d’enregistrer, d’arranger leurs sons et de se faire connaître aux Comores, à la Réunion et à l’île Maurice. Au fil du temps il métisse de plus en plus sa musique, mélangeant sa connaissance des instruments, de l’électronique et de la sega la musique traditionnelle de l’Océan indien.

En 1999, Manjul s’installe avec son studio à la Réunion. Il continue de promouvoir les artistes du coin, d’enregistrer, de mixer, et de composer. Deux ans plus tard, il sort deux compilations en collaboration avec plusieurs groupes et chanteurs réunionnais et mauriciens (Indian Ocean in Dub fight vol 1 et 2). Il collabore également de plus en plus avec divers artistes africains et jamaïcains.
Manjul souhaite colorer sa musique. Direction l’Afrique et plus particulièrement le Mali, la terre de ses lointains ancêtres. Toujours accompagné de son studio, il débarque à Bamako en 2001. Il collabore avec Sugar Minott (« Leave out Babylon »), Tiken Jah Fakoly, et aide Amadou et Mariam à enregistrer « Dimanche à Bamako ».
En 2002 il sort un album remarqué Fasso Kanu où les instruments traditionnelles africains comme la kora ou le n’goni se mêlent à l’électronique. Le résultat est très original, avec une bonne mélodie roots, basse et percus très reggae et par-dessus des flûtes peules scintillantes et des guitares très métalliques. Le tout est agrémenté de toutes sortes de sons électros, de bruitages et d’échos.
Le deuxième volume Jahtiguiya - Dub to Mali est beaucoup moins marquant. Il y a un grand nombre de featurings avec des artistes africains ce qui rend la musique moins omniprésente. Reste à saluer l’originalité de la démarche de Manjul et la créativité engendrée par le métissage des musiques et des cultures.


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Interview de Sebastien Kocet - Créateur du label Loukoum Records

Sebastien Kocet est producteur de musiques électroniques en région parisienne. Il a créé son label, Loukoum Records, fin 2006 et compte déjà 13 artistes dans son "écurie". Petit entretien autour du métier de producteur et des changements provoqués par Internet.

Pour commencer quelle est la petite histoire de Loukoum Records ?

Sebastien Kocet : Loukoum Records fait de l'édition, de la production et de la distribution de musique électronique. La société a été créée en novembre 2006, dans la région de Paris. J'ai commencé par signer un artiste que j'avais écouté sur le site Jamendo, le site de musique copyleft. C'est un artiste électro qui s'appelle Gab Logan. Depuis j'ai signé 13 artistes sur Loukoum et j'ai produit, en tant que producteur exécutif, un maxi house, « Witches » de Superluxx, qui a été pressé et qui marche pas mal. Il est d'ailleurs en rupture de stock.

Loukoum ne vend que sur Internet ?

Pour le moment effectivement, je ne vend que de la musique « numérique ». Ce sont les plateformes de vente de musique en ligne, Virgin ou Djdownload par exemple, qui achètent mes titres. Ensuite elles les revendent à tous. Particuliers et professionnels de la musique comme les DJ. Mais mon objectif est quand même de m'orienter vers un support mécanique comme le vynil. Il y aura toujours des gens qui préfèreront le support mécanique, notamment les DJ pour mixer.

Pour toi, Internet a-t-il bouleversé le monde de la production musicale ?

Internet a invité les gens à travailler sur un autre support, dématérialisé. Ce qui génère forcément des économies. La distribution de musique a ainsi changé. Les stocks ne sont plus nécessaires et on réagit plus à la demande. Je ne crois pas cependant qu'Internet ait bouleversé complètement l'économie de la musique. Les majors ont investi le terrain du numérique et vendent de la musique en ligne. L'ingénieur du son est toujours présent. Tu vois, rien que sur le maxi que j'ai produit. Il y a eu trois mastering. Ca fait toujours partie du boulot des boîtes de production. Je pense qu'il y a encore une marge d'adaptation mais les majors vont évoluer. L'exemple de Kamini qui a avait fait une chanson en téléchargement libre et qui a été signé par Sony prouve cette adaptation ou du moins cette volonté de s'adapter. On observe aussi l'émergence de « net-labels », vendant de la musique numérique et parfois mécanique, mais ne travailllant que sur le support web.

Tu penses que les majors vont aller piocher dans le libre, comme dans un nouveau vivier à talents ?

C'est possible. Ce qu'il faut voir surtout c'est que la musique libre permet aux artistes de sortir plus facilement, de se faire connaître. Pour ensuite, signer sur un label. Internet nous permet, à nous producteurs, de connaître les créatifs. Souvent on s'extasie devant le nombre d'artistes amateurs qui font de la musique libre. Mais il n'y a pas plus d'artistes qu'avant je pense, c'est juste que le media Internet les rend visibles.

Est-ce tu crois qu'Internet peut avoir un effet uniformisateur sur la création musicale ? Genre chanter en anglais pour toucher un large public ?

C'est vrai qu'aujourd'hui beaucoup de nouveaux groupes français choisissent l'anglais, mais je ne crois pas que ce soit un effet pervers d'Internet. Simplement, Internet est un media, comme la TV ou la radio, et véhiculent des images. Il impose un style. Peut-être l'anglais fait-il partie de ce style.

Comment expliques-tu le succès de « Myspace » dans le milieu de la musique ?

J'ai connu Myspace à ses débuts, je me souviens. Le site s'est développé rapidement et touche un publlic très large et écclectique. Pour nous, labels, il nous permet de trouver plus facilement des producteurs de musique, des personnes qui font des sons intéressants. Le succès de myspace est qu'il est d'une utilisation simple et rapide. On peut mettre sa musique en ligne en quelques clics, y mettre son CV, ses contacts... En y ajoutant quelques scripts on peut créer une page stylée et sympa. De plus, c'est une communauté, musicale notamment, une sorte de microcosme. Forcément ça facilite les rencontres.

Avec la liberté et l'autonomie que permet Internet, le travail des maisons de disques n'est-il pas en danger ?

Je ne le pense pas. D'une part car il y a toujours besoin de supports mécaniques et de plus les majors ont investi aussi le terrain du numérique. Et ne sont donc pas à la traîne. D'autres part car la production nécessite du savoir-faire. Il y aura toujours une phase mastering dans la production musicale. Cette phase c'est le domaine des maisons de disques et des labels. Ensuite, la fabrication de vynils et de cd nécessite des filtres spéciaux. Un autre domaine de compétence de la production. Les boîtes de prod' ne sont pas en danger, mais elles vont certainement évoluer.

Propos recueillis par fab.

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12 mai 2007

Elliott Smith - New moon (2007)

Et si nous parlions légende. Celle d’un auteur compositeur interprète disparu trop tôt pour rejoindre ses pairs génies hors pair, Jim, Jimi, Janis, Jeff et Kurt au panthéon de ceux qui marquèrent la musique par leur talent et leur personnalité. Certains avaient choisi la démesure, d’autres la prouesse technique, Elliott Smith lui, c’était la discrétion. Boulimique de travail, ce fut l’un des songwriteurs les plus doués de sa génération.

Parce qu’il est indispensable de connaître son histoire pour pénétrer le sens de ses mots et de ses notes, Elliott est né dans le Nebraska de famille musicienne. Accessoirement diplômé en philosophie et en sciences politiques, il compose ses premières chansons très tôt et devient vite un folk singer solitaire aux mélodies sophistiquées et énigmatiques. Le temps de 6 albums tous plus beaux les uns que les autres, il dépeint des univers sonores dont les thèmes sont la dépendance aux drogues, la dépression, la trahison, son quotidien en somme. N’échappant pas au cliché de l’artiste perturbé, sa consommation d’héroïne devient vite un problème et le mène à cette tragique nuit d’octobre 2003 où il est retrouvé mort à 34 ans, deux coups de couteau dans la poitrine. Officiellement c’est un suicide, officieusement l’enquête n’est toujours pas bouclée.

Sa présence aux Oscars pour la bande son du film de Gus Van Sant Will Hunting fut mal vécue. Alors que la consécration auprès d’un plus large public se profilait, le monde du rock indépendant l’accusait de trahison à cause de sa signature chez le tout nouveau méga label Dreamworks en 1998 aux côtés du pourtant non moins passionnant Eels. Lui même se considérait à l’époque comme un poisson rouge perdu dans un océan de requins.

Quoi qu’il en soit c’est aujourd’hui qu’est livré ce deuxième disque posthume après Basement on the hill, un double album de 24 titres recueillis lors de sessions d’enregistrement entre 1995 et 1997, période la plus prolifique pour Elliott qui correspond aux sorties de son album éponyme et de Either/or. Une chose est sûre, Elliott y est plus vivant que jamais, intarissable d’inspiration, on avait presque oublié à quel point ses productions minimalistes touchent au plus profond. Tout en douceur, les mélopées folk teintées de mélodies pop accompagnent une voix d’une pureté incroyable. Même après toutes ces années, on a l’impression de retrouver un ami, qui par ses mélodies simples et rêveuses accompagnées de guitare sèche nous plongent dans un état étrange.

Tantôt sublime, tantôt intimiste, la musique d’Elliott est un véritable hymne aux loosers, une preuve supplémentaire s’il en faut que la déchéance humaine est source de création. Pour une fois sur un disque posthume, la quasi totalité des titres sont effectivement inédits. L’occasion pour le fan que je suis (vous l’aurez compris) de ressentir la joie de trouver un trésor d’une valeur inestimable, l’assurance d’écouter 24 titres exceptionnels. C’est pourquoi je ne vous orienterai pas sur un titre en particulier mais plutôt sur la discographie du garçon que vous pourrez ensuite conclure par cet ultime adieu d’une étoile filante dans un ciel musical qui lui doit tant.

Pas encore d'extrait de New Moon sur Radio Blog et trop ancien pour qu'il y ait un Myspace donc je vous mets un ancien morceau que j'aime bien, Clementine:



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11 mai 2007

Interview d'Antoine Moreau - "Avec Internet, l'économie de la musique a explosé"

Antoine Moreau est l'initiateur de la licence « Art libre », une licence d'auteur qui donne l'autorisation de copier, diffuser et transformer librement des oeuvres, sans pour autant se les approprier. C'est le « copyleft » (logo ci-contre), en lieu et place du « copyright ». Un modèle calqué sur celui des logiciels libres et qui doit favoriser la (re-)création artistique.

Dans le sillage de cette idée, de nombreux sites d'Art libre ont été créés comme le reconnu Jamendo, qui propose aujourd'hui plus de 3000 albums copyleft. Entre amateurisme et art militant. Antoine Moreau nous parle (brièvement) de l'impact d'Internet sur l'industrie et la production musicale.


Dans quelle mesure Internet a bouleversé l'économie de la musique ?

Antoine Moreau : Tout d'abord, il faut dire que l'économie ce n'est pas seulement la valeur marchande d'un produit. C'est aussi le transport. Avec Internet, le transport de la musique a été révolutionné. L'économie purement marchande de la musique a ainsi explosé. Tout le « business model » de l'industrie musicale a été remis en cause. Dans le même temps, le matériau CD a perdu, me semble-t-il définitivement, sa capacité à générer de l'argent. Aujourd'hui, dans la musique on gagne de l'argent grâce aux concerts, plus grâce aux ventes d'albums. Même si on a toujours fréquemment un Arctic Monkeys pour vendre des millions de disques. Pour le moment, on peut constater que l'industrie musicale n'a pas réussi à s'adapter aux dernières évolutions du net, le peer-to-peer en tête. Une acclimatation sera nécessaire, une adaptation à l'économie du numérique, qui est bien différente.

Internet contribue-t-il, selon vous, à la création musicale ?

On peut penser que le mythe du grand artiste, à la carrière sans fin, n'est plus d'actualité. Aujourd'hui, la création artistique est le fait d'artistes mineurs, par opposition justement à ce mythe du grand artiste, de l'artiste majeur. C'est une multitude d'artistes mineurs qui fait la création vivante, en mouvement. Une création qu'Internet véhicule et rend possible. Internet peut être considéré à bien des égards comme une oeuvre d'art en soi, une méta-oeuvre d'art. Aujourd'hui, c'est le moment de la musique « pour tous, par tous ». Internet a bien évidemment un effet positif sur la création, un effet presque explosif. On est encore dans le chaos créatif, et c'est justement là qu'entre en scène l'idée de la licence « Art libre » qui pose une éthique claire. On peut participer à la création mais on ne s'approprie pas ce qu'ont fait les autres.

Comment résumer l'apport d'Internet à la création ?

Internet c'est un tryptique : l'autocréation, l'autoproduction et l'autoproclamation. On crée, produit et se proclame artiste de son propre chef. L'oeuvre se diffuse ensuite comme du bouche à oreille, de postes en postes.

Dans ce schéma, il n'y a plus de place pour les labels ou les maisons de production ?

L'économie de la musique a été bouleversée par Internet. Les labels et majors vont devoir s'adapter aux nouvelles technologies de l'information et de la communication pour survivre. Leur travail va certainement évoluer et leur démarche s'orienter vers des contrats de distributions et de licence. La place de la production, au sens de production technique et musicale professionnelle, va nécessairement se réduire. Cela va de pair avec la fin du mythe de l'artiste majeur. Les maisons de disque se verront peut-être limitées à des activités de communication et distribution pour des produits sans cesse renouvelés.

Propos recueillis, au bout du fil, par fab.
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10 mai 2007

Tuxedomoon - Half Mute/Scream with a view (1979/1980)

Tuxedomoon fait partie, avec Tangerine Dream et bien d'autres, de ces expérimentateurs sonores bien difficiles à classer. Un groupe d'avant-garde qui, à la fin des 70's, avait déjà totalement intégré les machines dans son processus de composition. Un groupe hors-temps et hors-modes - hors-tout, à vrai dire, qui torpille les frontières du rock, de la new-wave et du jazz.

Reformé en 2004, 16 ans après le split, Tuxedo continue à sortir des galettes de très haute tenue. Un nouvel opus est même prévu, cette année. Mais le meilleur disque de ce collectif - fondé à San Francisco avant de se baser à Bruxelles - demeure son premier album, Half Mute (1980), auquel a été greffé le 4 titres Scream with a view (1979) quelques années après. Un chef-d'oeuvre auquel un petit cercle d'initiés voue un culte inconditionnel, et qui mériterait une plus large reconnaissance.

Il s'ouvre sur "Nazca", où s'étale la ténébreuse solitude d'un saxophone dans un désert de cordes et de grincements dissonants. A la fin du morceau, le cuivre esseulé part dans des aigus vertigineux, annonciateurs des phrases free jazz explosives de "59 to 1", une chansonnette punk délurée à la rythmique simpliste. Steven Brown s'impose dès ces deux premiers titres comme un saxophoniste totalement original, au souffle lyrique et glaçant, capable de créer une intimité précieuse avec son auditeur. C'est encore le cas sur "KM, seeding the clouds", longue plage neurasthénique (plus de 11 minutes) où Blaine Reininger place des intonations à la Bowie sur un tapis d'effets industriels perturbants.

Volo Vivace, autre point d'orgue de Half Mute, est une sorte de fugue tzigane où le violon de ce même Reininger et la basse guerrière de Peter Principle rappellent certaines pièces minimalistes de Philip Glass. Tuxedomoon est ainsi, passant du coq à l'âne à chaque morceau, disséquant le cadavre du mouvement punk tout juste défunt sur "What use" et "Where interests lie" ou ciselant une ambient torturée sur "James Whale" et "(Special treatment for the) Family man". Avec, pour persistante toile de fond, une angoisse bien compréhensible à l'aube de ces impitoyables années 80 qui nous ont vu naître.

En bref : Half Mute est un parfait testament de la vague expérimentale et planante qui déferla sur l'Europe et les Etats-Unis de la fin des 60's au début des 80's. Un petit moment d'Histoire, sombre et secret, à ranger près de Brian Eno, Kraftwerk et Cluster, entre le rock choucroute et l'électronica.




Une version live de "Nervous guy" & "Volo vivace" à la télé italienne, avec un duo de présentateurs et un décor qui tuent:


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09 mai 2007

Mark Murphy - Love is what stays (Henrik Schwarz remix) & Henrik Schwarz - Walk Music EP (2007)

Lors de mes emplettes à Paname le week-end dernier, je suis tombé sur deux excellents maxis de l'Allemand Henrik Schwarz. Deux disques très différents où s'expriment une fois encore la polyvalence et le talent de ce jeune producteur. Nouveau gourou de la deep-house à la teutonne, il avait déjà prouvé, fin 2006, avec sa contribution à la série de compiles DJ Kicks (!K7) qu'il voyait plus loin, plus large que l'électronique, jusqu'aux rivages argentés de la disco et aux îles bleues du jazz.

Il n'est donc pas surprenant de retrouver Henrik aux manettes d'un remix de Mark Murphy, légende américaine du jazz vocal des années 50 et 60, revenu en grâce l'année dernière avec un bel album sur Verve. Ce "Love is what stays (remix)", une perle de house jazzy, ne quitte plus ma platine. La voix suave de Mark Murphy se cale sur un beat pénétrant et une ligne de basse évoquant le hard-bop funky d'un Horace Silver. Mais l'originalité essentielle du morceau, dans sa version album (présente en face B), c'est la présence de l'orchestre symphonique de Berlin, transformé pour l'occasion en big-band Gershwinien. Menés par un piano solo, hautbois, clarinettes et violons remplacent donc saxophones et trompettes. Ces parties symphoniques, Schwarz les utilise avec parcimonie dans son remix. Il les espace au maximum pour en faire, au-delà de leur puissance mélodique, des éléments rythmiques structurants. Un travail totalement accessible et dansant bien que d'une érudition imposante.




Daté du 26 mars, "Walk Music" est moins jazzy, mais tout aussi fin. Une voix inhumaine, vraisemblablement enregistrée à l'envers, ponctue un morceau psychotique, voire complètement obsédant. Henrik Schwarz, toujours dans la retenue, éparpille des micro-samples de violons et de courtes nappes synthétiques, multiplie les va-et-vient rythmiques et les répétitions maniaques. Sur l'autre face, on retrouve la version "2003" du titre, où les violons s'effacent et la basse prend le dessus. Il s'agit d'une version live retouchée en studio, plus proche du son primitif du titre. Les aficionados des beats saignants trouveront donc leur bonheur en b-side. Les autres, les rêveurs impénitents en particulier, préféreront sans doute la mouture "2007" pour alimenter leurs très riches heures de scotche raffiné.



La page myspace d'Henrick Schwarz



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Philippe Carles, Jean-Louis Comolli, Free jazz black power (1971)

“Je pense qu'en Amérique les Noirs font preuve d'un don particulier dès qu'il s'agit d'exprimer leur propre conviction par l'intermédiaire de la musique. La plupart des Blancs ont plutôt tendance à considérer qu'il est indigne d'eux de montrer leurs souffrances, de montrer simplement tout ce qui touche aux sentiments et non à la technique... C'est pourquoi, à mon avis, l'homme noir a développé dans le domaine de la musique ce que l'homme blanc appelle jazz. Et je pense qu'à l'origine ce mot a été utilisé pour désigner une musique que l'homme blanc juge inférieure”

- Ornette Coleman -

Ni une nouveauté, ni une originalité. Plutôt un classique du genre. Free jazz black power démêle avec clarté les noeuds du free jazz et du militantisme black des fifties-sixties. Un bouquin passionnant et pédagogique, qui dépasse le cadre de la micro-histoire.


Philippe Carles est aujourd'hui rédacteur en chef de Jazz magazine et producteur à France Culture. Jean-Louis Comolli exerce sa plume dans les Cahiers du cinéma et Jazz Magazine, entre autres. Plutôt bien installés les bonhommes. Avant d'en arriver là, les deux comparses, quand ils avaient les cheveux longs et le joint à la bouche (!), faisaient chauffer leurs tourne-disques aux sonorités du jazz américain. Des grands noms à la pelle et une culture musicale déjà tatillonne. Leur collaboration, pour ce livre écrit à Paris en 1971, est oeuvre de passionnés. Finement documentée et soignée dans le style, elle marche dans les pas du critique américain Leroi Jones (plus tard Amir Baraka) et de son Blues People. A savoir, une vraie analyse du mouvement free. De sa portée politique, revendicative.


Les deux auteurs remontent aux work songs, chants des esclaves, pour établir une généalogie du free jazz. Même si, pour eux, le jazz a toujours été free, et les années 60 simplement une cristallisation de cette qualité, de ce désir/combat pour l'émancipation. Musique de lutte, d'indépendance, le jazz, et sa déclinaison free, sont mis en miroir du mouvement Black. A l'époque les black étaient panthers. En dépit d'une grille de lecture marxiste, l'ouvrage ne perd pas, plus de trente ans après, son acuité et sa précision. Etayé par de nombreuses déclarations et témoignages d'artistes. Archie Shepp et Ornette Coleman en tête. La mise en cause de l'oppression culturelle blanche domine le discours, acerbe et argumentée. Sérieux.


En somme, un classique à ne pas bouder, dense et partisan. Une critique de la société ségrégationniste américaine et de l'emprise de la critique blanche sur le monde du jazz de l'époque... La rencontre entre musique, histoire et luttes sociales. Un essai politique fin plus qu'une exégèse musicale hermétique et datée.

Carles (Philippe), Comolli (Jean-Louis), Free jazz black power, Paris, Gallimard (Folio), 1971, réédition 2003, 435 pages.

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08 mai 2007

Radicalfashion - Odori (2007)

Curieux objet que nous propose le petit label électro de Chicago, Hefty records. Odori, projet du pianiste japonais Hirohito Ihara, nous convie à une ballade aquatique ultra-sensorielle. La rencontre d'Erik Satie et d'une électro organique. Pour nous accueillir, quelques gouttes d'eau enfantent dans leur chute d'un écho métallique. Et se font de plus en plus denses. Mes pieds sont déjà dans l'eau. Ni radical, ni fashion, Hirohito Ihara se met au travail au piano, en fan avoué de Ravel. D'une douce mélancolie. De rares grésillements électroniques se superposent. La piano reste à l'honneur.

Avec la complicité du compositeur américain Carl Stone, sur les titres “Thousand” et “Usunibi”, le vague devient plus expérimentale. Musiques électronique et classique se tutoient, communiquent. Le piano s'évapore. Instant d'apnée dans les profondeurs. Je nage. Et curieusement vole l'instant d'après. Porté, transporté par la musique.

Ihara crée les ambiances les unes après les autres. Véritable peintre sonore impressionniste. Des voix samplées se font leur place dans “Shunpoudoh” pour nous surprendre d'un rythme cahotant. Sur “Photo dynasmo” la partie vocale est plus fantomatique et évasive. Nous entraînant dans des brouillards et des vapeurs hasardeux. Une forêt embrumée. J'erre dans un monde mystérieux, dont les intonations m'évoquent la couverture glaciale de l'album Last resort du danois Trentemoller.

L'accouplement d'un jeu de piano classique et de sonorités électroniques audacieuses est parfait, synbiotique. Hirohito Ihara nous berce, nous fait disparaître, nous rend vulnérable, nous égare. Dans une nimbe de fluides. La balade s'achève avec “Mask”, dernière plongée dans les profondeurs qui voit la mélancolie du japonais se distinguer à nouveau. Beau, doux et vibrant. Cocoonesque.


Un disque poétique d'électronica impressionniste. Bruitisme et sons concrets épousent les envolées lyriques du piano d'Hirohito Ihara avec sensibilité et justesse. Tout simplement merveilleux. A écouter dans votre bulle.









Pour faire un peu de promo à la très surprenante maison chicagoanne Hefty, je vous invite à jeter une oreille dans le très ambiancé Arriving at night, du jeune australien Victor Bermon. Plutôt soigné.


Radicalfashion






Hefty records






Victor Bermon
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06 mai 2007

My brightest diamond - Bring me the workhouse (2006)

Une fois n’est pas coutume pour un premier album, Bring me the workhouse touche directement là où ça fait mal. Shara Worden de son vrai nom est une américaine pure souche, membre quasi permanent de l’équipe de Sufjan Stevens mais surtout issue d’une famille de musicos de première catégorie. Cet étrange mélange d’une éducation musicale nourrie au biberon de la formation classique et à la bière du rock indépendant accouche ici d’un disque qui parle à l’âme au travers de titres hors du temps et des modes.

Avec classe, ce petit bout de femme fait preuve d’une présence vocale et d’une inspiration époustouflante. C’est peut-être cela que l’on appelle le talent. Car c’est sa voix qui interpelle dès les premiers rugissements où on se croit à entendre ni plus ni moins qu’un Jeff Buckley réincarné en dame, avec toute sa grâce. A la fois introspection, confession et poème, BMTW nous récite des souvenirs d’enfance, des ambiances, des joies comme des peines. On y trouve le lyrisme d’une Beth Gibbons, la composition d’une Kate Bush, du Björk même.

Artiste au champs musical large, elle compose en même temps un quartet à cordes intitulé Thousand shark’s teeth et se livre cette année à l’exercice périlleux du remix de ses propres titres sur Tear it down que je n’ai pas encore eu la chance d’écouter. Désespérément folk et profondément moderne, BMTW a conquis critiques et public par ses rythmes lancinants et addictifs. Aucune chance que vous ne soyez pas séduits vous aussi.

Si Gone away vous embarquera très loin dans sa langueur passagère, Dragonfly lui emboîtera le pas. Changement de genre avec les hurlements cardiganiens de Freak out et surtout le brouillard magique qui plane sur Disappear. La tristesse assumée de The good and the bad guy devrait sincèrement vous achever et vous faire replonger pour de nombreuses autres écoutes, toutes plus enrichissantes les unes que les autres.




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05 mai 2007

Assassin – Académie mythique (2006)

Si vous aviez oublié que « dans le hip-hop y’a des gens concernés » - ce que je peux tout à fait comprendre, ayant moi-même la mémoire courte et une tendance à rejoindre les « déclinologues » du rap français -, si, donc, vous êtes des francorapophiles frustrés – n’ayons pas peur des néologismes -, je ne peux que vous conseiller de vous replonger dans la discographie d’Assassin. Ou le groupe qui a élevé le rap au niveau de la dissertation (ou l’inverse).

Et plutôt que de faire la chronique d’un des albums de ce groupe pionnier du rap hexagonal – je ne saurai lequel choisir -, remercions-les d’avoir mâché le travail avec Académie mythique, un best-of sorti l’année dernière et qui retrace, en 16 titres, une décennie de rap militant. De « Note mon nom sur ta liste » (1989) à « Au fond de mon cœur » (2000).

Mais surtout – et c’est là que je veux en venir – le CD est accompagné d’un DVD contenant video-clips et lives du groupe. En fait ce sont surtout les clips qui m’intéressent ici, et ce pour deux raisons : 1) ils sont carrément méconnus par rapport à ceux de NTM ou IAM (je ne parle pas de Diam’s, veuillez m’excuser…). 2) ils déchirent grave. C’est dit.

Ca commence avec « L’écologie : "Sauvons la planète !" » (1993). Outre le fait que Rockin’Squat et Solo y assènent des lyrics il est vrai indémodables mais avec tout de même quinze ans d’avance sur les politiques, le clip est franchement bloquant, alternant extraits en noir et blanc de rappeurs encapuchonnés gesticulant dans une cave, et images en couleur d’éléphants braconnés ou d’essais nucléaires. « L’homme [qui] organise sa destruction » est incarné par le visage bouffi d’un fumeur de cigare bagousé pouvant tout à la fois représenter « un monde […] préférant le profit » : la fumée envahit peu à peu l’écran autour du bout incandescent du cigare, tandis qu’une toux insistante se fait entendre.

On enchaîne avec « L’odyssée suit son cours » (1995), de loin mon préféré. Dans le tube cathodique, un Doctor L fardé – clown ou magicien ? – nous aspire dans le laboratoire de la folie : la caméra, malmenée, navigue dans un décor aseptisé où une faune grimaçante et détraquée s’agite autour d’un lit d’hôpital…

Dans « Shoota Babylone » (1996), le même Doctor L invite deux enfants dans un train fantôme, pour une plongée de trois minutes et demie dans les souterrains du monde moderne. Dédale parsemé de pièges et de tentations. Voyage initiatique autant que pédagogique : « Quand on parle de Babylone, on le prend comme symbole pour illustrer le monopole qu'exercent les structures dirigeantes en métropole, à l'égard des minorités qui forment une majorité sur ce globe. »

On ne s’attarde pas sur « Undaground Connexion » (1996), très bon titre en featuring avec Supernatural, mais dont le clip n’est pas à la hauteur. Passons directement à « Touche d’Espoir » (2000), réalisé par Jan Kounen (Doberman, mais aussi le très peu réussi Blueberry). Un anneau de lumière descend sur Paris : Rockin’Squat, rappeur « connecté au cosmique », se transforme en une panthère noire qui va déambuler dans la capitale, du Père-Lachaise à l’Assemblée nationale, en passant par les couloirs du métro où officient b-boys et graffeurs.

Enfin, l’efficace « Sérieux dans nos affaires » (2001) juxtapose images nocturnes en sépia et fragments de « plus de quinze ans de carrière, la justice nique toujours sa mère » : extraits de concerts, passages en studio et autres tournages de clips. Des mots tagués apparaissent à l’écran pour venir appuyer les lyrics.

Il y a bien aussi, en bonus, le clip d’un titre solo de Rockin’Squat (cela dit, est-ce qu’Assassin ce n’est pas déjà un peu Rockin’Squat en solo, depuis le départ de Solo, justement ?…) : mais ce « Libre » (2004) n’est pas au niveau des morceaux historiques du groupe, donc je m’arrête là.

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02 mai 2007

Pantha du Prince - This Bliss (2007)

Nous ne sommes qu'en mai. Pourtant j'ai déjà envie de considérer 2007 comme un grand cru dans le domaine des musiques électroniques. L'heure est à l'ouverture, après le rigorisme des années minimales. Non pas que le séduisant adage "less is more" ne soit plus d'actualité. Mais à la délicieuse répétition métronomique de la tech minimale, dont les Allemands sont rois, s'incorporent peu à peu les attributs de la techno dite émotionnelle, qui revient très fort alors qu'elle n'était plus qu'un cadavre il y a encore trois ans. Voici donc le retour des nappes profondes, des cordes et du lyrisme assumé!

Une nouvelle génération de dj's/producteurs incarne, souvent sans le savoir, ce mouvement qui s'affirme au fil de disques qui pourraient rapidement devenir des classiques. Hendrik Weber aka Pantha du Prince (aka Panthel...) est l'un d'eux. Mais lui sait où il va - le sait-il trop? Car monsieur est un intellectuel, qui n'hésite pas à citer Warhol et Beckett parmi ses principales influences. Sur son site perso, il est question de "romantisme digital". Or l'essence du romantisme de Baudelaire, Delacroix ou Chopin, c'est de se laisser submerger par les sensations, puis, grâce à une maîtrise irréprochable des moyens, d'ordonner et d'harmoniser ces vagues d'émotions... mettre de l'ordre dans son chaos intérieur, en somme. Tout au long de This Bliss perdure effectivement cette impression d'une musique qui s'échappe et se rattrape sans cesse. Bien sûr, ce n'est pas du Chopin... Loin s'en faut. Mais cet album, sorti chez Dial Records et distribué par l'inévitable Kompakt, scrute à sa façon les mêmes terres mélancoliques et les mêmes cieux opaques.

Si toute cette théorie vous irrite, contentez-vous de faire tourner votre platine et de confier votre cerveau à cette épopée druggy et comateuse, idéale pour les nuits insomniaques et les petits matins frissonnants. Laissez fondre votre cortex dans les basses rondes et distantes, les rythmiques heurtées et l'élégant psychédélisme d'Eisbaden et Moonstruck. Confrontez-le ensuite aux carillons mystiques de Walden 2. Si vos deux hémisphères en réclament encore, jetez-les dans l'abysse de Saturn Strobe, le meilleur titre de l'album, avec ses violons progressifs et orgasmiques. Avalez enfin quelques petites Seeds of Sleep en guise de somnifère. Et allez vous coucher, humilié et heureux: Pantha du Prince vous a vaincu.

En bref : l'album de nuit parfait pour les amateurs de musique électronique allemande.



www.panthaduprince.com
www.myspace.com/panthaduprince

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