23 mai 2024

David Bowie - Young Americans (1975)

Débarrassé de ses oripeaux glam  David Bowie se pique de Philly Sound. Place donc à la soul teintée de disco déjà entrevue dans le "1984" de son dernier avatar Halloween Jack et entrevue dans Diamond Dogs.
Fini l'encombrant mullet, oublié l'éclair de Ziggy : l'artiste arbore désormais un look plus straight mais qui ne se départit pas d'une mine destroy émaciée, cheveux orange et cocaïné. Comme déjà sur le glacial David Live où le pas encore Mince Duc Blanc revisitait ses anciens tubes à la sauce noire blafarde.

De tous ses albums "mineurs"; Young Americans bien qu'ayant donné le formidable tube éponyme, est sans doute le moins cité. Les raisons sont multiples : virage musical à 180 degrés, songwriting inhabituellement partagé - seuls 5 des 8 titres sont de la main exclusive de Bowie, fait suffisamment inhabituel pour être signalé - reprise controversée du "Across the universe" des Fab Four en lieu et place du très queer "John, I'm only dancing (again)" initialement prévu ; et dont le positionnement sur l'album eût été idoine, présence envahissante d'un instrument réputé imbitable dans la pop, le saxophone dont l'exécutant David Sanborn est disparu au mois de mai. Enfin, l'artiste, en bisbille avec  son éditeur Tony DeFries, est d'humeur maussade ; ce qui rendons-lui grâce, ne transparaît pas sur le disque.
Accompagné d'un aréopage de choristes noir(e)s dont Luther Vandross future star Epic qui cosigne "Fascination", Bowie lance son 9ème album avec l'irrésistible morceau-titre, de ceux qui occupent une part de sa légende. Mike Garson est à nouveau du casting mais l'ensemble des accompagnants a grandement évolué. En plus du saxophone, Bowie bénéficie de deux recrues importantes qui occuperont une place de choix dans les années futures, les guitaristes Earl Slick (déjà entrevu sur David Live) qui joue sur deux titres et le formidable musicien porto-ricain Carlos Alomar omniprésent, et dépositaire de ce son reconnaissable entre tous, chaud et funky des oeuvres à venir. Dont on peut même arguer qu'il demeure le guitariste le plus emblématique de l'oeuvre Bowienne après l'inaltérable Mick Ronson.

"Young americans" bardée de références à la culture théâtrale britannique et qui cite même Lennon "I heard the news today oh boy" est l'incroyable preuve que David Bowie en homme-caméléon n'a pas son pareil pour assimiler et s'octroyer les styles et codes vocaux de ses illustres devanciers. Rien de lui ne sonne jamais cliché et il peut user du falsetto là où tant d'autres musiciens se sont fourvoyés ou se fourvoieront après lui. Etre funky quand on est blanc de peau, cela se mérite et ne l'est évidemment pas qui veut.
"Win" déjà hédoniste en diable précède "Fascination"; l'un des grands moments dansants du disque où le groupe mixte groove comme jamais. Ici tout exsude le sexe, le stupre comme aux plus belles heures de Sly and the Family Stone et de la mythique revue de James Brown. D'ailleurs, plusieurs musiciens sont débauchés de la Family et Alomar a lui-même accompagné le Godfather.
L'hédonisme, la réussite égomaniaque sont brandis en clichés un peu moqueurs sur "Win" et la fantastique et étirée "Somebody up there likes me" (près de 7 minutes). Dans laquelle s'invite pour la première fois de furtifs sons glaciaires de synthés tels qu'on en retrouvera dès l'immense Low. Ce titre est en revanche l'un des chants du cygne de Mike Garson qui ne renouera que sporadiquement avec Bowie deux décennies plus tard.
 Beaucoup d'encre a été versée sur le Lost Weekend Lennonien. Grâce lui soit cependant rendu ; car même si trois chansons prévues pour l'album dont "John, I'm only dancing (again)" en firent les frais, cela aura aussi permis de rappeler aux deux géants qu'ils étaient fans l'un de l'autre. D'où la présence que certains ont jugé incongrue et détonnante de "Across the universe". Mais surtout d'un monument annonciateur du disco naissant, l'imputrescible "Fame", composé à quatre mains par les deux hommes.

Young Americans fit un carton mais fut quelque peu rejeté par son auteur. Au-delà de la chanson-titre, formidable oxymore et épilogue de  l'étouffant Dogville de Lars Von Trier, l'on préfère en retenir le rôle fondateur dans l'oeuvre du grand David.

En bref : Bowie en parfait caméléon s'approprie avec évidence la musique noire. Et ce faisant revisite la soul de Philadelphie, rivalise avec ses maîtres funk et préfigure le disco. Disque mal aimé par son auteur, Young Americans est pourtant une splendeur et un disque fondateur.

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20 mai 2024

The Damned - Machine Gun Etiquette (1979)

Il est de ces renaissances qui ne frappent pas que les individus new-born. La pop musique contient en effet de spectaculaires métamorphoses. Prenez les Damned par exemple, l'une des deux trois plus grandes incarnations punk de Grande-Bretagne. Personne n'aurait misé un kopeck sur eux lors du départ de leur guitariste et unique compositeur Brian James. C'est pourtant par cette défection là -James parti former les Lords of The New Church avec trois autres mercenaires du rock- que les Doomed car tel est leur nom d'emprunt lors de cette parenthèse erratique, vont renaître de leurs cendres.
Et le premier changement notable est le glissement de Captain Sensible à la guitare, l'ex Saints et alccolisé Algy Ward prenant sa relève à la basse, contribuant pour beaucoup à un jeu beaucoup plus hooligan que son prédécesseur. Dès lors, le reste des Damned historiques va se muer en un redoutable combo au sein duquel tout le monde le Captain en tête va composer. Il s'agit sans doute là d'une des plus spectaculaires et sans doute unique réincarnation de l'histoire récente du punk.

Passés essentiellement maîtres dans l'art du single marquant - car les punks n'ont peu ou prou pas réalisé d'albums valant le coup in extenso- The Damned passent en 1979 à la vitesse supérieure et vont signer tour à tour trois albums fondateurs, en faisant valoir aussi leurs influences garage et psychédélique.
Après tout, nos hommes ne singeraient-ils pas Shadows of Knight au verso de leur futur Black Album ? Enfin,  l'esprit punk et iconoclaste était encore là ; il n'y a qu'à voir l'hymne d'ouverture balayé par la Rickenbacker de Ward, ce "Love song" souverain, l'un de leurs plus parfaits hymnes ("je serais l'ordure si tu étais la poubelle", magnifique). Et que dire du morceau titre, aussi connu sous sa citation "Second time around" qui envoie tout bouler ; pas de doute, les Damned n'ont pas perdu leur esprit potache ; d'ailleurs sur son portrait de pochette intérieure, Rat gratte le cul de la Statue de la Liberté.
On n'en est pas encore au prog ni aux digressions sur Rimsky-Korsakov donc. Quoique...
Sur le troisième single "I just can't be happy today", pas une note de guitare à signaler mais une ligne de synthé saturée et obsédante. Et sur "Plan 9 channel 7", les Damned lâchent les chevaux de leurs obsessions Pink Floydiennes tout en les combinant à d'alors obscures références aux petits hommes verts ; Ed Wood n'étant pas encore remis au goût du jour. Avec toutefois, un tempo qui demeure rapide, faut pas déconner non plus. Machine Gun Etiquette est ainsi rempli de brûlots emportant tout sur leur passage.
Aux morceaux cités, il conviendrait d'ajouter 'Melody Lee" qui trompe son monde avec son intro altière au piano, et surtout surtout, un exceptionnel brelan de chansons qui relègue à tout jamais le précédent guitariste des Damned aux oubliettes. Avec "Noise noise noise", venu à point nommé après le "Neat neat neat" de Damned damned damned (!) et sur un rythme toujours Keith Moon de Rat, les indomptables de la scène punk donnent tout. Et dynamitent même leurs autres idoles MC5 sur une incroyable relecture de "Looking at you". Où l'utilité de la reprise prend ici tout son sens car on est bien loin ici de la version scolaire et bâclée de "I feel alright" du premier album.

Enfin, il y a ce morceau définitif où la guitare on ne plus inspirée du Captain envoie les Damned dans une autre dimension. Qui aurait pensé quelques années plus tôt ce groupe capable d'une telle inventivité lors du break d'anthologie de "Anti-pope" ! Le morceau envoie un pont à couper le souffle sur lequel tous les gimmick de guitare, des accords ligne claire aux montées en bend et un solo digne des plus grands, sont là.
Lorsque "Liar" qui n'aurait pas déparé sur le premier album laisse la place à "Smash it up" sur lequel Scabies se fait presque motorik et Dingerien, l'on se dit que nos irréductibles se sont assagis. Pas du tout, il s'agissait d'un leurre leurre leurre.

Les Damned signaient là leur premier manifeste d'importance dans une période qui allait se révéler extrêmement faste pour eux. Et bientôt les faire culminer avec leur ultime chef d'oeuvre, le méconnu Strawberries.
Les splits maintes fois annoncés, les fâcheries entre Captain et Rat, les coupes de cheveux goth de Dave....et tout le reste, appartiendraient désormais à l'histoire.

En bref : l'acte de naissance significatif sur album de l'un des plus importants groupes de la scène punk londonienne. Qui signait là un premier chef d'oeuvre post-punk. D'autres allaient suivre.

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