14 juillet 2025

The B-52's - Whammy! (1983)

Le 4ème long format des B-52's prend les fans à rebrousse-poil. Essentiellement acoustique jusqu'alors, le quintette d'Athens fort des hits revisités de Party Mix!  (1981), va en effet se piquer au jeu du synthétique. L'une des raisons principales étant le parti-pris du batteur Keith Strickland qui s'est lassé de son instrument et souhaite s'orienter davantage vers les synthés et la guitare. Celle-ci et on y revient, est encore tenu par le fabuleux Ricky Wilson, musicien adepte du less is more, au jeu et aux accordages inclassables. Ce dernier s'est fait connaître avec ses acolytes, son pote Keith,  sa soeur Cindy (chant) et Kate Pierson (chant, claviers) et Fred Schneider (chant parlé).

Le quintette le plus camp de la galaxie - les choucroutes des filles, leurs frusques improbables,  les membres tous queer excepté Cindy - ont déjà triomphé via deux précieux premiers albums plus communément appelés le jaune et le rouge ; comme l'on disait naguère le bleu et le rouge pour les deux compilations multiplatinées des Beatles. Sur le rouge intitulé Wild Planet et qui est peut-être son sommet créatif, les B-52's créent cette musique hybride faite de rock and roll fifties et de pop hédoniste. Les voix souvent à l'unisson de Cindy, enfantine et suraiguë,  et de Kate plus grave, chantent d'irrésistibles hymnes d'inspiration comics SF mâtinés de textes de séduction aussi bien soumis que mutins. Et tout ce petit monde gesticule sous le son aigrelet du Farfisa tenu par Kate. Pas de solo, pas de saturation inutile, l'esprit de danse et de fun est ce qui prévaut.
Après le semi-échec de Mesopotamia (1982) l'album précédent produit par David Byrne, un certain nombre de titres laissés sur le carreau lors de ces sessions sont remis en jeu pour Whammy!
Pour les raisons évoquées, la rythmique devient principalement synthétique et on en a un aperçu dès "Legal tender" qui chante la gloire de la contrefaçon de billets de banques. Le rythme est assez lent mais comme toujours avec les B-52's, assez lascif. Est-ce l'influence vaudou du studio de Nassau où est enregistré le disque ? En tout cas, "Whammy kiss" qui célèbre l'envoûtement par le baiser "whammy" devient très vite un autre classique du groupe. Tout comme l'hilarant "Song for a future génération" où en vrai geeks de culture trash, les membres du groupes se présentent tour à tour sous des atours de créatures SF. "Trism" a également ses airs futuristes bien que l'on ne sache trop s'il ne s'agit pas en fait d'une simple achronie. Pas besoin de chercher trop loin sur l'odyssée en absurdie de "Butterbean, envoyée au taquet avec la guitare twang tourbillonnante de Ricky. Que l'on retrouve également sur l'une des autres réussites de l'album (elles sont nombreuses) "Queen of Las Vegas" et son déchirant "Dont leave me..." asséné par Cindy.
Pour le reste, un inhabituel instrumental pour clôturer l'album ("Work that skirt") et une reprise plutôt anodine d'un morceau de Yoko Ono ("Don't worry") mais toujours plus écoutable que l'original et voilà le contenu d'un disque peut-être un peu trop passé sous silence mais l'un des favoris du groupe et qui mérite sans aucun doute d'être réévalué. Pour des raisons contractuelles, "Don't worry" sera retiré des futurs pressages et remplacé par "Moon 83", remix d'un morceau emblématique du premier album ("There's a moon in the sky")

Whammy! est aussi hélas le dernier album auquel participera intégralement le génial Ricky Wilson. Ce dernier atteint du syndrome HIV décédera brutalement deux ans plus tard et alors que l'excellent Bouncing Off The Satellites (1986) est en partie écrit. Raison de plus si besoin était,d'apprécier son jeu minimaliste et unique sur cet hymne clubbien qu'est Whammy!

En bref : le baroud d'honneur in extenso des B-52's dans leur mythique formation originelle. De la SF à gogo et des chansons délirantes toujours animées de l'esprit fun et danse du popotin des Fab Five d'Athens.

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09 juillet 2025

Death In June - But, What Ends When The Symbols Shatter? (1992)

Dans le grand chapelet de terminologies musicales, le terme "folk" a souvent été malmené voire affublé d'extensions absconses. Passe pour la scène acid-folk de Frisco encapsulée par Jefferson Airplane dans la bascule des seventies ; mais quid de la scène antifolk US du début des années 2000 qui désignait une espèce de punk acoustique certes, débraillé et lo-fi. Et que dire du courant neofolk de la décennie précédente.....de la folk sans doute mais plus blafarde et austère qu'autre chose ; en tout cas que vient faire le préfixe "neo" là-dedans. Dont acte.

Lorsque Douglas Pearce crée l'entité Death In June au début des années en compagnie de deux acolytes dont il se séparera très vite, sa musique est celle d"une synth pop industrielle très mélodique entre Cabaret Voltaire à son plus martial et...Depeche Mode à son plus primesautier. A partir de The Wörld Thät Sümmer (1986), tout est consommé et l'ancien punk anarchiste du groupe Crisis se retrouve seul aux manettes de son "groupe" phare, occasionnellement secondé par son complice David Tibet de Current 93 ; nous y revenons. Dorénavant, Death In June sera en outre largement associé à la scène gothique.

Il faut revenir sur le contexte sulfureux autour du groupe et de la personnalité de son leader. Déjà ce patronyme qui bien que son créateur s'en défende mollement fait référence à la Nuit des longs couteaux, synonyme de purge Hitlérienne envers ses opposants nazis. Mais Joy Division n'avait pas fait autre chose en s'affublant d'un nom dédié aux bordels das camps de la mort. La comparaison avec le légendaire groupe mancunien ne s'arrête pas là puisque dans cette 7ème oeuvre considérée comme la plus aboutie de Death In June, une statue issue d'un complexe sportif celui-là issu du Foro Italico de Rome, orne la pochette.
Douglas Pearce est un personnage torturé , connu pour ses outrances revendiquées : uniformes et decorum renvoyant à l'esthétique nazie, obsession pour les écritures runiques, une homosexualité exacerbée et assumée, la part sombre de l'homme, la guerre.... Cette dernière sert d'ailleurs de champ lexical à nombre de textes très noirs de But, What Ends When The Symbols Shatter? comme par exemple "The giddy edge of light". Les "disappointment", "dust", "sorrow" (l'admirable et hanté "The golden wedding of sorrow") abondent. Les guitares folk cristallines uniques sont désormais la marque de fabrique de Pearce sur ses disques, qui ne lésine pas ici sur les effets sonores et sur certaines enluminures de cuivres et de cordes qui lui confèrent une patine onirique. L'autre versant auditif du cauchemardesque masque de carnaval vénitien dont s'affuble le musicien très tôt dans sa carrière.
Les références littéraires et musicales abondent : Stuart Pearce reprend 4 musiques et textes d'une communauté gospel au destin mortifère mais on souhaite bon courage à quelque musicologue que ce soit de trouver la moindre ressemblance avec l'oeuvre du People's Temple's Choir dans la religiosité de "He's disabled", "The morning bench", "Because of him" ou "Little black angel".


Passé l'odeur de soufre de notre homme qui s'offre deux parenthèses aérées et presque primesautières avec son complice de toujours David Tibet chanteur lead sur "Daedelus riding" et "This is not paradise", But, What Ends When The Symbol Shatter? amène des moments réellement enchanteurs - les notes tristes du piano de "Death is the martyr of beauty", 'The golden wedding of sorrow", "Ku ku ku" (non il ne s'agit pas du  sinistre KKK), "Hollows of devotion", le morceau-titre... Il faut donc faire fi de l'influence forcément Maurassienne présidant à l'oeuvre de guerre de T.S. Eliot infusée ici. Afin de se délecter de cette musique totalement obsédante et belle. Dont le crescendo final vers son locked groove n'est pas sans rappeler à nouveau......... Closer.

Flirter avec le Diable et en payer le prix de la censure ? Séparer l'homme de l'oeuvre ?  Il n'en a jamais autant question ici.

En bref : le parcours tortueux et sujet à caution d'un ex-ponte de la synth pop vers des territoires folk plus apaisés. On peut faire abstraction de la poésie et des textes très sombres de Death In June et reconnaître sa beauté à cette folk magnifiquement austère.

 



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04 juillet 2025

Sibylle Baier - Colour Green (1973 / 2006)

Il est des découvertes affolantes et qui ne sont aucunement usurpées par le cliché de l''artiste culte. D'ailleurs jusqu'en 2006, Sibylle Baier, musicienne amateur et actrice à ses heures, n'est pas encore une artiste culte puisqu'elle est une parfaite inconnue.
C'est en furetant dans le grenier de ses parents en 2004 que  Robby son fils musicien et producteur de son état, découvre des bandes magnétiques. Piqué de curiosité il les joue et découvre une bonne dizaine de vignettes chantées par la douce voix de sa maman. 
Le monde ébahi ne va pas tarder à découvrir Sibylle Baier.

Artiste aux multiples facettes, baignant dans un environnement ad hoc - son défunt mari était également saxophoniste et flûtiste - Sibylle Baier a un jour une épiphanie. A peine âgée de 20 ans et rendue singulièrement maussade par une morne journée de février dans son Allemagne natale, elle décide de tout plaquer et à l'instigation d'une amie, d'entreprendre une itinérance. Ce qu'on appellerait aujourd'hui un burn-out la mènera entre autres destinations en France. Rassérénée et apaisée, Sibylle immortalise ce jour de cafard en enregistrant seule chez elle avec sa guitare sa première chanson "Remember the day". Elle sonne les prémices de ce qui deviendra des années plus tard Colour Green ; soit 13 gemmes  guitare / voix toutes plus lumineuses les unes que les autres ; la quatorzième et dernière chanson de l'album (fabuleuse "Give me a smile") sera la seule à être  arrangée a posteriori -  sans doute par Robby -  avec force cordes et orgue. Toutes enregistrées entre 1970 et 1973. On entend encore le chuintement de la bande.

Les textes des chansons sont d'obédience domestique et ainsi emplis de quiétude ; qu'il s'agisse de promenades avec enfants au zoo ("Softy") ou de tricot ("Colour green"). Si l'on devait décrire la musique enchanteresse de Sibylle Baier, l'on pourrait évoquer les rêveries d'une Linda Perhacs, autre artiste folk culte, les enluminures psychédéliques en moins. Les chansons ont parfois des toniques très grave (le do# en dessous de la 6ème corde pour "Softly", ré# pour "William) ; les tonalités les plus utilisées demeurant si, do ré et sol#, principalement jouées en arpèges avec parfois des ruptures étonnantes ("Colour green"). Le reste des chansons parfois complexes ("Says Elliott", "Girl", "Wim" - un hommage à Wenders ?) est à l'avenant.  Pour les aficionados du metteur en scène, on peut apercevoir Sibylle Baier faire une douce apparition dans l'admirable Alice In Den Städten" (Alice Dans Les Villes), road-movie audacieux sorti en 1974 et absolument pas touchy malgré son sujet (Philip écrivain paumé, recueille Alice une gamine facétieuse et parcourt avec elle l'Allemagne pour la ramener chez elle). Sibylle y interprète la passagère du ferry qui fredonne alanguie "Softly" à 1'26''-1'27'' devant Alice et un autre enfant ravis.
La suite, on la connaît : Robby exhume les bandes et n'était un titre, les retouche à peine. Il les offre à sa maman à l'aube de son soixantième anniversaire. Stuttgart est déjà loin ; celle-ci ayant migré depuis lurette dans le Massachusetts, les chansons enfouies dans son inconscient. Plus aucun souvenir du journal intime mis en musique. 
L'un des quelques CD pressés atterrit dans le giron de........Jay Mascis (!) le leader de Dinosaur Jr. qui subjugué, entreprend de répandre la bonne parole. Le disque sortira finalement sur Orange Twin Record en 2006 avec également un premier pressage vinyle rapidement épuisé sur le label Isota.
Ce disque devenu classique sur le tard connaîtra et c'est heureux maintes rééditions.

En dépit des sollicitations, Sibylle Baier n'a pas donné suite à son maître coup d'essai et n'a jamais accepté non plus de tourner. Reste ce témoignage qui à l'écoute ne peut que nous faire frémir à l'idée que sans l'opiniâtreté d'un fils, la beauté sépia de Colour Green serait à jamais restée dans les limbes.

En bref : un choc. Un disque OVNI découvert et publié sur le tard par une artiste rare et précieuse.  Une voix de velours, des accords graves et des mélodies vague à l'âme belles à pleurer. On ne ressort pas insensible d'un tel disque pour lequel on remercie Robby, le fils initiateur du projet.



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29 juin 2025

TINALS - An 8 - Paloma (Nîmes) - 28/06/25

 

INFECTIOUS GROOVE

Moins d'occasions de s'enthousiasmer en ce deuxième et dernier jour de TINALS 2025.  Une fois encore, les meilleures choses se passeront en intérieur. Car une fois passé sous une chaleur accablante le set un peu pute de Almost Monday - le monde a-t-il vraiment besoin de nouveaux Arctic Monkeys dans leur virage rock de stade - retour en intérieur pour goûter à la soul jazzy gentiment ourlée de MRCY (photo ci-dessus), émanation d'un binôme chanteur et producteur. 
Un colosse du nom de Kojo Degraff-Johnson aux faux airs de Cee Lo Green distille une soul très roborative et finement exécuté par un aréopage d'excellents musiciens. Les nouveaux Gnarls Barkley ?


"C'EST SYMPA D'ETRE VELUS"

Gros barouf autour de l'une des dernières sensations noise de la scène britannique. Le public se précipite donc en masse pour voir DITZ, quintette de Brighton. Si les deux premiers titres entretiennent l'illusion, on s'ennuie assez vite car côté chansons, cela tourne en rond. Et on pose la question qui fâche : si le chanteur ne s'habillait pas en femme et n'avait pas l'idée joyeuse d'escalader la rampe de projecteurs, le groupe déchaînerait-il autant les passions ? Rien n'est moins sûr.

Le quatuor teuton Kadavar a fait sienne la devise de Manowar qui est que "même les sourds les entendent". Dès les premiers coups de grosse caisse de Tiger Bartelt, une déflagration nous percute le plexus. Ce dernier vêtu d'un seyant tee shirt filet sur poils envoie la purée tout comme ses acolytes bassiste (croisement improbable d'un Danyel Gérard longiligne et d'un Demis Roussos efflanqué) et le duo de bretteurs dont la présence ne déparerait pas au Hellfest. Il s'agit là d'un métal assez gras, serti de riffs bien juteux ; les voix sont limite pop et friendly, bien loin d'un doom stoner méchant que pourraient susciter leur dégaine. C'est convenu mais à vrai dire....assez jouissif.



SAVAGE OR WHEN THE WILD GOES MILD

A. Savage est la grande claque et l'une des rares satisfactions intégrales de ce TINALS. Déjà présent la veille pour un set acoustique, il se retrouve à nouveau dans un patio bondé et poisseux de sudation pour un medley de ses oeuvres solo. Si l'on soupçonnait l'un des hommes forts de Parquet Courts (ci-devant l'une des plus belles choses qui soient arrivées au rock indé ces 15 dernières années) d'être un mélodiste et un parolier de talent, on s'en veut un peu d'avoir passé sous silence son virage folk.
Armé d'une seule guitare, Andrew tient en haleine un patio hélas dissipé (effet de cuvette sonique oblige) et se révèle captivant de bout en bout au travers de morceaux qui sonnent déjà comme des classiques ("Hurtin' or healed", "Elvis in the army", "Thawing dawn"....)
Et de regretter qu'un si beau répertoire n'ait pas eu l'heur d'une Grande Salle sans doute plus adaptée pour son light-show intimiste qui eût forcé le festivalier à plus d'attention.
On reparlera d'A Savage et des Parquet Courts.
That's all folks.


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TINALS - An 8 - Paloma (Nîmes) - 27/06/25


THE SIX YEARS ITCH

Revenu d'un hiatus et d'une réflexion de près de 7 ans, le TINALS festival incontournable de la cité gardoise renaît de ses cendres. Affublé curieusement de l'extension "Beau weekend", le TINALS  a réduit la voilure, ne propose plus que deux jours de programmations, lesquels ne comportent plus de noms ronflants.
Qu'à cela ne tienne, une part belle a été accordée à l'éclectisme.
Très tôt, des jumeaux suédois Deki Alem (photo ci-dessus) de Göteborg affiliés à la maison Talent Boutique se proposent d'ambiancer la Grande Salle qui sera le théâtre de jolis moments. Et ils y parviennent par leur flow souple, arpentant la scène et secondés par un batteur très carré. Mélodique et aguicheur, leur rap enlevé est le premier coup de coeur de ce festival.

La soirée s'annonce bien. Qu'est-ce qui fait donc que les sets successifs en extérieur de BDRMM, Ghostwoman et des très attendus irlandais de Murder Capital nous laissent ainsi de marbre ? Un seul mot, les chansons. Ou plus exactement l'absence de chansons marquantes qui empêchent par exemple Murder Capital d'être les nouveaux Fontaines D.C. Enfin, on parle des Fontaines D.C punks énervés qui avaient enchanté la dernière édition du Festival. Pas de la baudruche de stade qu'est devenu ce groupe.

Rien à voir nonobstant avec le (nouveau) naufrage intégral de la tête d'affiche du jour DEATH IN VEGAS trahie par une scénographie forcément molle, un nouveau répertoire peu convaincant et surtout une ingénierie déficiente qui contraint le groupe ou plutôt ce qu'il en reste, à abandonner la scène pendant une bonne dizaine de minutes tandis que l'assistance déjà se clairsème.
Cette musique n'est définitivement pas l'apanage du live.


ROCK EN -SEN

On n'avait jamais entendu parler de Heave Blood & Die (photo ci-dessus). Ce très jeune groupe - la bassiste bondissante  toute menue a l'air d'avoir 14 ans - dispose de déjà quatre albums au compteur. Et dans une grande salle qui s'est quelque peu vidée, son rock inquiet aux ambiances assez paranoïaques ("Stress city", "Things that hurt", "Heatwave 3000") fait son petit effet. Avec son Korg obsédant et le chant enfiévré de Karl Loftingsmo Pedersen, ces norvégiens habités tiennent leurs promesses. 



PA BAYOU PA BAYOU PA BAYOU PA BAYOU LE LE

Mais la grande claque de ce premier soir fut incontestablement la prestation de l'admirable septuagénaire protégé de Dan Auerbach (Black Keys), Robert Finley (photo ci-dessus).
L'histoire de ce vétéran ancien technicien dans l'armée et auteur de son premier album à la soixantaine bien pesée, fait écho à celles des incroyables Lee Fields, Charles Bradley ou Naomi Shelton également célébrés en ces lieux.
Flanqué d'un jeune groupe et d'une Aretha grandeur nature à la voix de dingue au tambourin ; et dont on  apprend assez vite qu'elle est la fille aînée du maître de cérémonie, Robert Finley qui à défaut d'avoir une carrière longue comme le bras a dès son plus jeune âge chanté et joué de la musique dans sa Louisiane natale et par-delà, subjugue l'assistance. Nourri au blues et au gospel comme tant de musiciens noirs qui ont compté, le vieil homme fait valoir un tremolo de baryton qui n'est pas sans évoquer la profondeur de celui d'Isaac Hayes (!) quand dans les aiguës et avec plus de force, son timbre incroyable réveille le fantôme d'un Al Green pas moins.
Le show d'une grande musicalité venge tous les chants atones et les à-peu-près entendus précédemment.
Et on en ressort en se disant qu'on devrait interdire le falsetto aux blancs-becs qui n'en ont pas les capacités vocales. Ici l'authenticité prévaut. Merci Monsieur Finley et indirectement, merci Monsieur Auerbach !

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13 juin 2025

The Beach Boys - Sunflower (1970)

Avant que l'affaire ne tourne au sale avec les inévitables fâcheries fratricides, une inspiration en berne et l'irruption dans la saga Wilson du redoutable Dr Landy, voici l'un des derniers grands actes de bravoure des Beach Boys. Après cela il restera le sommet Surf's Up (71), Holland (73) et ce sera à peu près tout. Tous les membres du groupe sont photographiés dans un bel et rare unisson ; ce qui est rare. Al Jardine manquait à l'appel sur les premiers albums surf et était remplacé par David Marks. Entre temps revenu de ses années d'étude, le même Jardine manquait à nouveau la photo d'illustration sur le voilier pour Summer Days (and Summer Nights!!) de 1965 pour cause de dysenterie.
Brian absent des tournées du groupe dès 1965, n'étant pas davantage préoccupé par les visuels, se révélait absent de ceux de 20/20 en 69, l'une des nombreuses réussites des apprentis surfers postérieures au trauma Smile.

Et cette atmosphère idyllique et d'harmonie familiale retrouvée est présente dès le recto : les 6 membres d'alors dans un mood hippie de circonstance se font tirer le portrait avec les enfants de chacun. Tout le monde participe à l'écriture. Brian Wilson même en retrait depuis quelques années, parvient toujours à caser son brelan de merveilles. Ici celles-ci s'appellent "This whole world"; mini symphonie de poche d'à peine 2 minutes avec carillons, rupture harmonique étonnante et magnifiée par Carl devenu depuis "God only knows" puis l'album Wild Honey (67) l'emblématique chanteur lead. Puis c'est "All I wanna do" composée à l'ancienne avec Mike Love, ballade douce-amère où le timbre flûté et métallique du cousin fait à nouveau le métier. Puis "Cool, cool water" en ces années de conversion baba écolo clôt le 16ème opus de façon légère
Dennis qui non content de battre, chante et compose divinement depuis peu, signe et interprète l'inhabituellement enjoué "Slip on through" introductif. Mais tout le monde se souviendra de la déchirante "Forever" annonciatrice des  "4th of July" et "(Wouldn't it be nice (to live again)" à venir et de son Pacific Ocean Blues (77). Impossible de passer sous silence non plus "It's about time" également amenée par le plus SWAG des frères Wilson. Et que tous ceux qui sont toujours restés dubitatifs devant la puissance de rockeurs des Garçons de la Plage écoutent prioritairement ce titre dont il existe plusieurs versions live incendiaires sur Youtube. Et une nouvelle fois la puissance vocale de Carl emmène le titre très haut.
Album préféré de Bruce Johnston et il y a probablement lien de cause à effet; ce dernier se voit confier 2 titres. "Deirdre" est une ballade délicate co-chantée avec Brian et préfigure la tendre "Disney girls (1957)" d"un an plus tard. "Tears in the morning" inaugure les-chansons-des-Beach-Boys-qui-ne-sonnent-pas-comme-des-chansons-des-Beach-Boys telles qu'on on en retrouvera notamment dans Holland.  Mélancolique, douce-amère et soulignée d'accordéon, c'est peu dire que ce titre détonne. Il est arrangé par notre Michel Colombier national, tout comme le rageur "Got to know the woman" de Dennis et "Our sweet love" titre mineur d'Alan Jardine.

Album disparate et beaucoup plus hétéroclite que ne le sera son grand frère Surf's Up, un petit peu foutraque aussi, Sunflower est néanmoins un album terriblement attachant et qui encapsule très bien la diversité et le talent hors du commun en ce qui concerne le songwriting de ce groupe à nul autre pareil qu'était harmoniquement et vocalement les Beach Boys.
Et révèle définitivement un groupe sachant rocker; bien loin des sages chemises à rayures des années surf.

En bref : album sonnant comme une véritable compilation mais n'en étant pas une. Tout le talent d'écriture des Beach Boys et de ses divers membres se révèle ici avant de réapparaître de manière encore plus éclatante avec Surf's Up l'année suivante. Hippie Hippie hourrah.

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07 juin 2025

The Jesus Lizard - Epicerie Moderne (Feyzin) - 04/06/25

(de gauche à droite ; David Wm. Sims, Mac Mac Neilly, David Yow et Duane Denison)
)
Dans la foulée de l'excellent Rack leur album de reformation célébré en 2024, les mythiques Chicagoans de The Jesus Lizard s'offrent une belle tournée européenne. La France n'est pas ignorée : c'est ainsi qu'après une date à l'Elysée Montmartre, c'est au tour de la Capitale des Gaules et plus exactement sa banlieue d'être visitée.
Et l'on constate très vite que bien que sexagénaires bon teint; ces dépositaires hard core aux sonorités jazz uniques n'ont rien perdu de leur superbe. Puisque dès le 3ème titre ("Mouth breather"), les premiers rangs sont déjà imbibés de bière et que l'ineffable et très alcoolisé David Yow fait le show. Bien qu'abîmé comparé à ses trois comparses qui portent beau,  et assagi (il ne pisse plus sur le public), Yow a très vite un nombre déraisonnable de slams à son actif. Vociférant et à grand renfort de glaviots, il ouvre le set avec "Puss" un vieux classique qui a fait la gloire du groupe lors d'un split single avec Nirvana.
Les "Fuck Trump" abondent forcément, le son est nickel ; en particulier les riffs incendiaires que cisaille Duane Denison qui demeure l'un des plus brillants bretteurs de la scène punk US, le JJ Burnel de la six-cordes pour le port même si moins exubérant. Avec 7 titres, Rack est forcément à l'honneur avec une mention spéciale pour "Grind" et "Alexis feels sick". Tous les albums sont passés en revue à l'exception notable et justifiée de Blue (1998); sans doute l'album le moins réussi du quartette. Et surtout le seul orphelin de Mac Mc Neilly, le très racé batteur parti à l'époque sous d'autres cieux. Avec David Wm. Sims il forme une section rythmique démoniaque.
Les trois musiciens ne laissent que peu de répit à David Yow pour s'adonner à ses frasques car tel un Panzer, la machinerie des ex-acolytes de Steve Albini ne faiblit pas et enchaîne. L'incroyable limpidité du jeu de Denison fait d'harmoniques, d'écarts de phalanges et de glissandos au bottleneck particulièrement sur 'Blue shot", "Thumper" et "Thumbscrews" de ce qui demeure leur sommet - l'album Shot de 96 - fait merveille.
Et de ressortir rincé d'un show de 23 titres long de deux heures et ponctué de deux rappels placés sous ls signe du stupre et de la sueur. A aucun moment on ne leur en voudra de ne pas avoir joué "Dancing naked ladies".
Quel groupe.


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02 mai 2025

Hugh Cornwell - Cargo de Nuit (Arles) - 01/05/25

 Rendez-vous avec la légende des Hommes en Noir pour ce jour de travail chômé. En formation très resserrée - une basse, une batterie et c'est tout - l'autre homme fort des légendaires Stranglers des 15 premières années, armé de sa Telecaster revisite pendant près de deux heures son riche répertoire.

Le line-up très dépouillé détonne par rapport à la palette sonore à laquelle nous avait habitué les Etrangleurs : cela fait certes un drôle d'effet d'ignorer ainsi les parties de claviers de frère Greenfield sur la bagatelle de 8 titres (!) extraits de l'oeuvre du groupe mythique. Mais étonnamment, c'est pratiquement "Strange little girl" et sa revigorante partie de basse qui s'en sort le mieux. Et sans doute un "Nuclear device" envoyé du feu de Dieu sur lequel Hugh n'oublie pas son fantastique monologue sur l'Australie.

C'est peu dire qu'en comparaison des morceaux-que-tout-le-monde-attend, le répertoire récent de l'Homme en Noir ferait presque un peu chiche. Comment en effet lutter face à de tels monuments que "Tank", "Nice 'N' sleazy", les morceaux précédemment cités ou l'infernal "Duchess", peut-être la plus belle composition de Cornwell à ce jour. Alors, il y a bien ici ou là quelques couacs - ce solo de guitare irrémédiablement raté sur "Golden brown" ; malgré ce la magie opère encore chez ce monsieur à l'âge vénérable dont le timbre, le grain de voix et l'humour tongue-in-cheek demeurent inusables.

En rappel, notre homme enfonce le clou avec "White room", formidable reprise extraite de son premier effort solo Nosferatu dont l'album va faire prochainement l'objet d'une réinterprétation intégrale lors d'une tournée britannique. Et comme "Goodbye Arles" n'existe pas au répertoire (op cit Etienne Déconing), le set se conclut donc par une revigorante "Goodbye Toulouse".
No More Heroes, qu'il disait ?


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07 mars 2025

The 13th Floor Elevators - The Psychedelic Sounds Of The 13th Floor Elevators (1966)

L'album qui encapsule les années psychédéliques du garage US ne contient pas l'ombre d'un effet psychédélique. Bon il y a bien une cruche électrifiée à l'arrière-plan mais pourquoi pinailler !
Roky Erickson et ses deux assesseurs que sont le guitariste Stacy Sutherland et Tommy Hall l'homme à la cruche créent leur quintette en 1966 en compagnie de deux sbires et d'emblée le groupe obtient un succès local et texan ultime avec l'un des plus grands hymnes qui soient : ce "You"re gonna miss me" échappé des Spades et composé par Roky est l'hymne repris par à peu près tout le monde et pas uniquement par des groupes punk  à chien. On note notamment la cover marquante synth pop de Jad Wio au milieu des années 80.


Roky Erikson né Roger comme un autre célèbre frappadingue contemporain, a déjà fait sien avec ses copains l'adage de la fumette et des drogues psychotropes. C'est l'époque où de grands gourous et essayistes tels Thimothy Leary valident l'ouverture des portes de la perception. L'éphémère carrière du groupe ne sera d'ailleurs que suites de descentes de police et de mains basses sur de la marijuana quand ce ne seront pas les sacro-saints buvards qui vaudront à leurs détenteurs de sérieux démêlés avec les forces de l'ordre.
"You're gonna miss me" trône en bonne place sous sa chatoyante pochette au centre de laquelle se trouve l'Oeil de l'élévation humaine secondé au verso par le signe cabalistique de la pyramide ascensionnelle. Tout un programme.
La musique dans tout ça ? Elle est irrésistible et ce que l'on entend derrière la cruche quasi omniprésente qui imite le roucoulement du pigeon dans "Roller coaster", ce sont des chansons remarquablement écrites et qui pour une fois ne donnent pas dans les seuls slogans hédonistes amoureux du type "I need you so bad baby". Peu de résonances blues ou rhythm and blues dans la musique du groupe texan contrairement à nombre de leurs confrères de la même époque si ce n'est sur la lancinante intro de "Kingdom of heaven" qui n'aurait pas déparé une bande-son de David Lynch. Tout sonne...différent même si le groupe s'est nourri de ces mêmes influences à travers des reprises de Bo Diddley.
 Et gimmick remarquable, pas une once de distorsion sur les guitares, aucun effet de flanger, feedback ou wah wah tellement empreints de leur époque. Autre élément à mettre au crédit des Elevators assurément. Dans ce disque sans temps mort, on note ces autres hymnes parmi les plus représentatifs du groupe que sont "Fire engine" lui aussi abondamment repris ainsi que "Tried to hide" réhaussé tout comme "....miss me" de l'harmonica de Roky.
Quand il ne jouait pas au possédé nasillard poussant des cris de hyène, le leader du groupe culte, savait être aussi ce chanteur formidablement touchant. Ainsi enfin débarrassé de la cruche, l'homme assène dans le magnifique "Splash 1 (Now I'm home)" ces douloureux et déchirants "I've seen your face before / I've known you all my life / And though it's new / Your image cuts me like a knife" prouvant s'il en était besoin que loin d'être cruche, le légendaire groupe Texan tel que décrit par le musicien rock critic Gilles Riberolles, disposait en plus d'un leader cinglé d'un son épuré qu'aucun autre groupe garage ne pouvait lui envier.

Deux autres albums incontournables même si forcément moins réussis du fait de la démise progressive de Roky en proie à des tourments psychiatriques et carcéraux allaient suivre. Dont notamment Easter Everywhere (1967). Mais aucun ne réunirait autant de folie et de sauvagerie que ces Sonorités Psychédéliques, premières de cet intitulé dans l'histoire de la pop.

En bref  : avec une première occurrence du mot "psychédélique" et sans l'ombre (ou presque) d'un artifice sonore, le coup d'essai des Thirteen Floor Elevators du grand fêlé Roky Erickson demeure l'une des pierres angulaires du garage US.

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31 décembre 2024

Julian Cope - Friar Tuck (2024)

Qui pour intituler l'un de ses titres "Will Sergeant blues" ? Julian Cope bien sûr qui a plus que bien connu le guitariste de Echo and the Bunnymen. Celui-ci faisait partie de la même valeureuse scène liverpuldienne de la fin des années 70 et jusqu'au milieu des années 80.
L'inénarrable druide auto-proclamé fan de krautrock et de musique psyché nous revient avec son 30 ème album (mais il s'agit peut-être de son 35 ème). Tout en évoluant dans un relatif anonymat car en dehors de ses terres galloises et britanniques dans leur ensemble, personne n'a eu l'heur de s'intéresser ni même de consacrer quelques milliers de signes au géant de Deri lors de la sortie de ce disque sur l'inamovible label Head Heritage

Point de krautrock ici mais une nouvelle oeuvre intemporelle sans chichi ; de belles ballades à la guitare parsemées de wah wah et saupoudrées du Mellotron de rigueur,  un chant assuré et serein bien loin des outrances de ses débuts. Julian Cope ne vieillit pas : la plupart de ces 12 titres auraient pu être enregistrées à l'époque bénie de Peggy Suicide, Jehowahkill ou Interpreter ; le grain reste le même. Combien de disques de cette qualité a-t-on pu écouter même en cette année fertile année 2024. Mais à l'image des tournées désormais dévolues à des festivals de bikers outre-Manche (pour faire vite) de ce personnage fantasque, fécond et ultra-créatif,  la  musique de Julian Cope se mérite.
De l'avis de tous les aventureux qui ont risqué une oreille à ce très dépouillé nouvel album, Friar Tuck qui désigne le Frère et dévoué serviteur de Robin des Bois - le précédent album de 2023 s'intitulait Robin Hood - compte déjà parmi les meilleures oeuvres de l'artiste de ces 20 dernières années.

On retrouve l'appétence pour les mots et jeux d'esprits du Druid dans la simple et belle "Too Freud to rock'n'roll too Jung to die" parée de 4 accords et citation de Brain Donor, l'un des actes musicaux des années 2000 de Julian. La vacharde et speedée "You gotta keep your halfwits about you" lui emboîte le pas. Puis  arrive "Four Jehovahs in a Volvo state",  comme du Stereolab accéléré qui ferait des turlutes à Eno. Introduite par une basse accorte car c'est après tout l'instrument premier de Julian "The dogshow must go on" a des faux airs de "Queen-Mother" de l'excellent 20 Mothers (95), et après ! Le toujours féru d'occultisme, d'histoire et de magie fait une pige du côté de Guillaume le Conquérant sur la magnifique ballade "1066 & all that" - il en a usiné comme ça des dizaines - pas moins. Dans cet album d'une petite quarantaine de minutes et au format idoine quand on sait combien l'artiste a parfois pu se montrer prolixe, seule "Me and the Jews" (la judéité, une marotte de l'artiste) atteint et dépasse même les 7 minutes.
Objet de fascination et de répulsion tendant parfois à l'ambiguïté, la religion est une nouvelle fois au centre d'un disque de Julian Cope. Empreint de paganisme; le disque fait la part belle aux obsessions païennes de notre homme. "Done myself a mischief" est une charmante chanson d'auto-apitoiement non dénuée de dérision qui (presque) clôt un disque revigorant et débarrassé de toute exégèse superflue. Les divagations religieuses de Cope ne sont en effet pas toujours à prendre au sérieux.

Julian Cope, plus que jamais to cope with, signe un nouvel album en apparence badin mais qu'on aurait tort de dédaigner maintenant qu'il a été découvert. Une vraie réussite.

En bref ; le retour en forme du Druide qui dans la plus grande discrétion ajoute néanmoins une nouvelle pierre angulaire à une oeuvre déjà plantureuse. On attend maintenant les concerts.

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29 décembre 2024

Les Mercuriales - Les Choses M'Echappent (2024)

La France a toujours prisé un rapprochement entre pop et littéralité. Les exemples les plus évidents et qui viennent à l'esprit sont ceux de Dashiell Hedayat et plus près de nous le brillant exercice de style signé Michel Houellebecq, celui d'avant l'association avec Jean-Louis Aubert s'entend.

Jean-Pierre Montal est un auteur qui a déjà publié plusieurs romans dont le petit dernier La Face Nord fait aussi écho à ce premier album des Mercuriales.
Les Choses M'Echappent démarrent comme du Léo Ferré millésimé 1970, annonçant le talk-over à venir, reminiscent de la gouaille contestataire d'un Diabologum (fameux groupe toulousain indé des 90's) qui aimait dans un mode noisy déverser aphorismes et digressions vachardes mais hilarantes sur la condition humaine. Avec cette fois ci non pas un Dali mais un Lacan habité qui introduit et débite sur la mort lors d'une conférence. La mort est d'ailleurs présente à tous les étages
 ("Qu'il paraît long ce mois de décembre / Depuis que j'ai lu ton nom dans le journal :15 heures, stricte intimité, Cathédrale Saint-Charles"), mais cette fois-ci avec un background musical qui évoquerait davantage les riches heures d'un Kat Onoma, plus jazz feutré menaçant que noisy métaphysique donc.
Jean-Pierre Montal écrit bien, sans chichis et accompagné d'un aréopage de rock critics (le bassiste Thomas E. Florin, le batteur Sam Ramon), d'un saxophone (Stanislas de Miscault), du multi-instrumentiste Fred Collay (guitare, flûte, orgue) va à l'essentiel. Avec comme but avoué de sonner davantage comme Lou Reed et J.J. Cale que comme Robert Plant ou Freddie Mercury (dixit Montal). Qui ne se départit jamais d'un certain humour ("Je pratique le tir", meilleur morceau du disque) :
 "Je pratique le tir dans un monde usé / Je pressens le pire mais sais m'amuser / Je pratique le tir dans un monde usé / En ligne, je tiens en respect".
Dans un disque où les influences cinématographiques abondent, du Feu Follet et Maurice Ronet dans "Les choses m'échappent"   à l'imper mastic et au feutre Melvilliens de "Je pratique le tir" et du superbe texte de "Trilogie" ("En trois actes, bien souvent tout est dit (...) C'est ainsi que ce maudit rythme ternaire palpite derrière chaque vie"). 

Jamais sentencieux , le style à la fois sardonique et détaché de Jean-Pierre Montal rappelle aussi grandement ceux de Philippe Pigeard et de feu son groupe Tanger pour ce qui est de savoir happer et créer une atmosphère dans de fausses apparentes jams, tout au long de morceaux longs et qui allient beauté textuelle et musicalité roborative : on écoute Les Mercuriales autant qu'on s'envape de sa musique. 
S'il fallait une dernière preuve du bon goût de ce groupe "à la française", ce serait cette relecture dépouillée du remarquable "Dying on the vine " de John Cale jadis enregistré par son auteur dans d'affreux gimmicks de production années 80, et présent ici en bonus track dans son plus simple appareil.

Le disque-essai de l'année,  racé et sans prise de tête. Indéniablement.

En bref : nouvelle tentative (réussie) hexagonale d'un crossover littérature / pop music. Textes marquants et une patte sonore qui rappelle bien de nos artistes chéris d'ici

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22 décembre 2024

Georges Delerue - L'important C'est d'Aimer (1975)

Ce disque (un CD) n'existe que par son inclusion dans un très beau coffret US réalisé par Mondo Vision en 2009 regroupant également le DVD de l'oeuvre magistrale de Zulawski. Jusqu'alors, seule une poignée de thèmes du film dont la fameuse "Ballade dérisoire" était sortie sur un album Barclay compilant des oeuvres de Georges Delerue. Voici enfin réunie la vingtaine de minutes précieuses de musique habillant L'Important C'est d'Aimer

 Georges Delerue ? Sans doute l'un des plus discrets représentants de la riche scène de compositeurs de musiques de films à la française. Une carrière exceptionnelle riche de trois cents oeuvres dont les soundtracks mais pas la plus médiatique ni la plus citée. Une propension sans doute à verser davantage dans la composition classique et orchestrée avec moins d'incursions pop que ses congénères - il y en a dont le mythique "The brain" aux côtés de The American Breed pour Le Cerveau (1969 ) - ce qui explique cette moindre médiatisation. S'il fallait associer Delerue à un autre grand nom, l'on songerait volontiers à Philippe Sarde et notamment à son Barocco sortie à la même époque pour la majesté des arrangements de cordes et de dissonances parfois bienvenues à la Bartok.
Ses climats  inquiétants font la part belle à la tension des films de Delerue: qu'il s'agisse par exemple de la fabuleuse fresque Les Deux Anglaises et Le Continent (1971) de Truffaut ou du  méconnu Comme Un Boomerang (1976) avec Alain Delon contenant en sus des breaks jazz, tout Delerue exsude la sentimentalité. Mais pas au sens mièvre où on pourrait l'entendre : il s'agit au contraire d'une sentimentalité à fleur de peau comme sur le dérangé L'important C'est Daimer. Ou l'histoire d'un beau ténébreux journaliste (Fabio Testi) qui s'éprend d'une actrice de cinéma X (fabuleuse Romy Schneider) et qui au gré des tournages, s'immisce dans sa vie privée qu'elle partage avec un oisif désaxé (convaincant et tourmenté Dutronc) ; et essaie au milieu d'une galerie de personnages frappadingues (Claude Dauphin; Gay Mairesse, le terrifiant Klaus Kinski), de la sauver de sa condition et d'un milieu gangrené par le mal ainsi que la mafia qui la fait souffrir. Et ce faisant, la pousse à son corps défendant dans la fange et l'amoralité de personnages tous plus détraqués les uns que les autres.

Dans ce chaos brillamment exécuté, émerge un thème magnifique de cordes avec de beaux violoncelles majestueux et graves, rapidement interrompu par un marimba et un glissando de timbales qui leur font écho. C'est toute la psyché malade des personnages qui fait corps avec la musique de Georges Delerue. Qu'il s'agisse de la mythique scène de rencontre entre le journaliste et l'acteur psychotique (Kinski) et son amant metteur en scène (grimaçant et méconnu,  Guy Mairesse fabuleux) intitulé par chez nous "Ballade dérisoire" qui a dû plus qu'inspirer le générique de Maigret version Crémer écrit par le très estimable Laurent Petitgirard (les deux thèmes sont très proches), des répétitions théâtrales torturées de Richard III avec timbales, orgue et vibraphone inquiets, de la partouze gargantuesque et ses cordes haletantes saccadées et agressives ("Payback"), tout est à l'avenant. Retenons aussi l'intense "Zimmer's fight" où Zimmer "homosexuel de bonne famille" (sic) personnage de Kinski crée la discorde et fait le coup de poing après une désastreuse représentation théâtrale à grand renfort de vibrations de timbales et d'accords de piano frénétiques.

En 1976, l'Académie des Césars sans doute sous le coup de l'émotion avait décerné pour sa première édition le prix de la meilleure musique au Vieux Fusil de François de Roubaix qui bien sûr avait ses qualités émotionnelles. Nul doute que cette année-là, le sésame aurait du revenir à Georges Delerue au même titre que Romy Schneider légitimement lauréate dans sa catégorie. Pour cette partition sublime et déployant des climats équivoques, faisant intensément corps avec l'intrigue et les personnages du film.


En bref : sans doute le grand oeuvre de l'un de nos plus essentiels musiciens et compositeurs de films. Une oeuvre étouffante mais belle et troublante servant d'écrin au chef d'oeuvre d'Andrzej Zulawski.-

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Top Dodb 2024


C'est l'heure du traditionnel top albums Dodb 2024, ou plutôt DES tops albums puisqu'il n'y a quasiment plus rien en commun entre les 4 chroniqueurs (dont 1 actif). Au final 33 artistes à découvrir ou redécouvrir. Qu'on ne nous dise pas qu'il pas qu'il n'y a plus de musique qui sorte. Et bonne année !


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13 décembre 2024

The The - Ensoulment (2024)

C'est l'un des retours inattendus de 2024. Cela faisait tout de même un quart de siècle qu'on n'avait plus trop de nouvelles de Matt Johnson; même si on savait que l'homme à tout faire de The The n'avait jamais cessé de composer ni de produire de la musique, essentiellement de l'illustration et des musiques de films, souvent sous format numérique et sous le manteau. Or, pour ce qui est de la pertinence du comeback, l'on n'avait pas entendu pareille réussite que celui de My Bloody Valentine dans les années 2010.

Chacun a son The The, celui électronique et post punk des débuts de  Soul Mining (1983) et Infected (1986), celui plus torturé du culte Mind Bomb (1992) ou de l'acclamé Dusk (1993), ces deux derniers qui bénéficiaient en sus de la guitare princière de Johnny Marr, excusez du peu. Nul doute que Ensoulment  soit amené à occuper une place de choix pour les aficionados de ce "groupe" à nul autre pareil.
Résumons l'affaire : c'est un Matt Johnson qui achève à fleur de peau la tournée de Mimd Bomb quand il apprend la mort de son jeune frère Eugène, qui le chavire. Le groupe n'explose pas encore et Matt lui rend d'ailleurs un fort bel hommage avec "Love is stronger than death" sur le très roots et solaire Dusk, ultime moment de grâce médiatique.
Puis les déveines s'enchaînent, la mort rode ; la maman de Matt Johnson ne survit pas au drame familial et s'ensuit un premier hiatus jusqu'à NakedSelf -entre temps sera sorti le remarquable album hommage à Hank Williams Hanky Panky en 1995. NakedSelf construit et écrit en partie avec des épées comme Eric Schermerhorn (guitare) qui a joué avec Bowie et Iggy, engendre une certaine confusion. Quelque peu boudé par la critique l'album pourtant excellent ne résiste pas à la cohabitation tapageuse entre le guitariste et le bassiste Spencer Campbell qui erratique tape sur tout ce qui bouge dès qu'il est contrarié. Epuisé et vidé, en proie aux affres de la paternité, Matt se retire de son  célèbre avatar sur la scène musicale, voyage, écrit et diffuse de la musique essentiellement instrumentale, le parolier roué qu'il est se sentant vidé de toute substance.
La mort, celle du frère aîné responsable de toutes les pochettes du groupe sème les graines d'un retour créatif, celui d'allier à nouveau texte et musique en 2016 ; cela donne "We can't stop what's coming'", nouvelle merveille de single. Des dates sont prévues mais s'ensuit ....la pandémie. Ainsi qu'une intervention sur les cordes vocales du chanteur en toute urgence.

Matt Johnson a donc toujours su tirer de ses blessures matière à chansons formidables. Il remet ainsi le couvert sur ce qui n'est que son 7ème album sous l'entité The The mais qui est un déferlement de refrains, de transitions, de mélodies et de textes tous plus magnifiques les uns que les autres. Certains estampilleront l'oeuvre comme du classic-rock;  à la papa, pas tout à fait folk et même plutôt pop à l'ancienne. C'est un disque très organique et qui grâce soit rendue aux ingénieurs du son, sonne incroyablement ; il est rare que l'on souligne cet aspect mais c'est un fait : Ensoulment (l'âme en anglais, même si l'assonance ensoleillement vient à l'esprit), est un disque lumineux, apaisé et qui même en proie au deuil, ne donne jamais dans le pathos : superbe "Where do we go when we die?", hommage au père décédé à la veille du retour live de The The au Royal Albert Hall. 
Ensoulment n'est pas dénué d'humour ni de distance,  s'offre même encore et toujours des piques bienvenues envers la politique états-unienne et plus généralement des lobbies politiques de ce monde ("Kissing the ring of POTUS", "Cognitive dissident"). Il moque l'art de la séduction virtuelle ("Zen and the art of dating"). Si Matt pleure un âge d'or sur le magnifique single "Some days I drink my coffee by the grave of William Blake", il manie aussi l'auto-dérision (le misérabilisme de son séjour hospitalier sur la pantelante "Linoleum smooth to the stockinged foot"

L'osmose d'un groupe resserré autour notamment du guitariste Barrie Cadogan  (de Little Barrie, anciens chouchous de la scène UK) et rehaussé des choeurs de Gillian Glover (fille du bassiste de Deep Purple) transpire à travers ce qui est le disque marquant de cet automne.
Désormais, la grande question sera d'établir laquelle de toutes les chansons sur la mort qu'a écrites Matt Johnson est la plus belle, la plus remuante : la réponse à "PhantomWalls", vibrant hommage maternel de NakedSelf pourrait bien se trouver sous les arpèges majestueux de "Where do we go when we die".

En bref : le retour en grâce de l'un des derniers grands songwriters anglais. Un splendide recueil de chansons pop boisées comptant d'ores et déjà parmi ce que Matt Johnson a fait de mieux.

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07 décembre 2024

Daisy Rickman - Howl (2024)

Celle-là, on ne l'a pas vu venir. Un peu comme son compatriote Jim en 2023, Daisy Rickman a publié au cours du printemps un album enchanteur. Qui est cette jeune femme sévissant dans l'anonymat le plus total et publiant à compte d'auteur son deuxième album après un coup d'essai intitulé Donsya A,n Loryow ("Dance to the moons" NDA) et passé complètement sous les radars ?
Une multi-artiste que l'on peut dépeindre comme pastorale, hippie autodidacte, peignant ses propres pochettes et versée dans l'ésotérisme le plus radical. Qui affole déjà la hype et ses compteurs ; ses deux disques déjà réédités après des tirages confidentiels à 300 exemplaires, s'échangeant à prix d'or sur le Net.

Daisy Rickman vient de Mousehole dans les Cornouailles, vit encore chez ses parents et après des débuts que l'on devine communautaires au sein des folkeux Broadside Hacks (?), décide d'embrasser seule une carrière solo, placée sous le signe de l'isolement post-pandémique et des éléments dont son plus emblématique : le Soleil. Qui ici n'a rien d'une étoile noire en fin de vie puisqu'il irradie sur pas moins de la moitié des titres qui l'invoquent - "howl" en cornouaillais dans le texte désigne en effet le soleil. Nous nous trouvons ici face à un album qui au-delà de l'oecuménique scène folk de la terre de Daisy Rickman, n'est pas sans évoquer les obsessions culturelles et mythologiques d'une PJ Harvey dédiant un album entier (I Inside The Old Year Dying en 2023) aux  cultures du Dorset dans leur dialecte local. A écouter en lisant Signé Olrik, la concomitante aventure de Blake &Mortimer donc.
Eprise de folk anglaise historique, il ne fut pas étonnant de voir Daisy Rickman frayer aux côtés du mythique guitariste de Suede Bernard Butler, pour un tribute à la gloire de Bert Jansch. Comment en effet ne pas imaginer la jeune femme toute de robes immaculées et de toges vêtue ne pas vouer un culte à la riche scène du début des années 70, celle des essentiels Fairport Convention , Steeleye Span, Pentangle ou autres Curved Air.
Toutes les chansons de Howl sont comme des mantras ; "Howl" le morceau-titre consistant par exemple en une boucle de sitar : guitares en bourdons accordées très bas - la figure tutélaire de Nick Drake est évidemment également omniprésente ("Bleujen an howl", "Omlesa", "Howlsedhesow") - on pense à Nico un peu ("Falling through the rising sun", à Karen Dalton, à Vashti Bunyan (sans le côté bêlant) ; mais à la vérité le timbre grave de Daisy et son style s'apparentent davantage à ceux de Sibylle Baier, géniale chanteuse culte d'ascendance allemande découverte à l'orée des années 2000.
Oeuvre sans label, Howl  donne à entendre de la guitare 12 cordes, du sitar, du violon, de l'accordéon, de la contrebasse, du banjo, du bouzouki, de la clarinette, du violoncelle, des synthés et même de la batterie sur un titre (l'hypnotique "Winter solstice") ; tous ces instruments sont exécutées par un elfe des Cornouailles.

En véritable concurrente de Sun Ra sur son thème de prédilection, Daisy Rickman réentrouvre l'âge d'or d'une pop introvertie qui telle celle émanant du celtique John Martyn ou de son frère d'armes Nick Drake, n'en oublie non plus pas d'être lumineuse.
L'auto-production à son zénith pour une artiste qui se mérite et est d'ores et déjà appelée à devenir culte.

En bref  : on ne fera pas plus astral ou plus folk dans son recueillement que le Howl de Daisy Rickman en 2024. Tendrement recommandé à la communauté elfique de Lord Of The Rings. Et pas seulement.



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