09 mai 2007

Philippe Carles, Jean-Louis Comolli, Free jazz black power (1971)

“Je pense qu'en Amérique les Noirs font preuve d'un don particulier dès qu'il s'agit d'exprimer leur propre conviction par l'intermédiaire de la musique. La plupart des Blancs ont plutôt tendance à considérer qu'il est indigne d'eux de montrer leurs souffrances, de montrer simplement tout ce qui touche aux sentiments et non à la technique... C'est pourquoi, à mon avis, l'homme noir a développé dans le domaine de la musique ce que l'homme blanc appelle jazz. Et je pense qu'à l'origine ce mot a été utilisé pour désigner une musique que l'homme blanc juge inférieure”

- Ornette Coleman -

Ni une nouveauté, ni une originalité. Plutôt un classique du genre. Free jazz black power démêle avec clarté les noeuds du free jazz et du militantisme black des fifties-sixties. Un bouquin passionnant et pédagogique, qui dépasse le cadre de la micro-histoire.


Philippe Carles est aujourd'hui rédacteur en chef de Jazz magazine et producteur à France Culture. Jean-Louis Comolli exerce sa plume dans les Cahiers du cinéma et Jazz Magazine, entre autres. Plutôt bien installés les bonhommes. Avant d'en arriver là, les deux comparses, quand ils avaient les cheveux longs et le joint à la bouche (!), faisaient chauffer leurs tourne-disques aux sonorités du jazz américain. Des grands noms à la pelle et une culture musicale déjà tatillonne. Leur collaboration, pour ce livre écrit à Paris en 1971, est oeuvre de passionnés. Finement documentée et soignée dans le style, elle marche dans les pas du critique américain Leroi Jones (plus tard Amir Baraka) et de son Blues People. A savoir, une vraie analyse du mouvement free. De sa portée politique, revendicative.


Les deux auteurs remontent aux work songs, chants des esclaves, pour établir une généalogie du free jazz. Même si, pour eux, le jazz a toujours été free, et les années 60 simplement une cristallisation de cette qualité, de ce désir/combat pour l'émancipation. Musique de lutte, d'indépendance, le jazz, et sa déclinaison free, sont mis en miroir du mouvement Black. A l'époque les black étaient panthers. En dépit d'une grille de lecture marxiste, l'ouvrage ne perd pas, plus de trente ans après, son acuité et sa précision. Etayé par de nombreuses déclarations et témoignages d'artistes. Archie Shepp et Ornette Coleman en tête. La mise en cause de l'oppression culturelle blanche domine le discours, acerbe et argumentée. Sérieux.


En somme, un classique à ne pas bouder, dense et partisan. Une critique de la société ségrégationniste américaine et de l'emprise de la critique blanche sur le monde du jazz de l'époque... La rencontre entre musique, histoire et luttes sociales. Un essai politique fin plus qu'une exégèse musicale hermétique et datée.

Carles (Philippe), Comolli (Jean-Louis), Free jazz black power, Paris, Gallimard (Folio), 1971, réédition 2003, 435 pages.

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