14 août 2008

Jeremy Jay - A Place Where We Could Go (2008)

Le glam-rock est-il mort? Pour qui n'en a retenu que le rock'n'roll et les poses ridicules, définitivement. Mais il réapparaît parfois, réduit en jean et T-shirt, sous sa plus belle forme, soit celle de ces grandes ballades à-propos héritées de Hunky Dory (Bowie), Electric Warrior (T-Rex), ou de Steve Harley & Cockney Rebel. Et l'on craque à chaque réapparition, pour cette production délicate de guitares aigües et de batteries de coton. Dès les années 90 le glam était revenu nous hanter, nous tromper, nous jeter de la poudre aux yeux : Supergrass ou Guided By Voices avaient repris le flambeau. En ces années 2000, nous passerons sur Of Montreal et autres, puisque A.C. Newman avait déjà placé la barre bien plus haut avec The Slow Wonder (2004), tandis que Destroyer, avec Streethawk : a Seduction (2000) s'était directement élevé au rang des grands de 71-74, n'en déplaise aux passéistes.

Les pop-songs de Jeremy Jay sonnent, et c'est jouissif, incontestablement glam. Mais le jeune homme en propose une version tordue, déformée par les réverbérations de sa voix de crooner, magistralement enregistrée par Calvin Johnson. Et cette voix se balade avec une classe folle sur des compositions parfaites et parfaitement produites dont "Till We Meet Again" est le sommet judicieusement placé à mi-album, juste après une escale à Aspen ("Escape to Aspen"), dont la mise en scène rejoint celle, inoubliable, de The Fall (sur Fall Heads Roll). Mais ce ne sont qu'exemples, car chaque chanson exerce un pouvoir, qui va même au-delà de l'émotion pop. L'ensemble est vraiment excellent, et concis, et cohérent. Les chansons durent moins de trois minutes et s'enchaînent sans temps mort. Même si les tempos sont lents, Jeremy Jay ne laisse aucune place à une mélancolie hors de propos.

Cette voix! Le chant du jeune crooner fait montre du même dandysme et du même détachement que celui de Jarvis Cocker. Mais aussi de la même gravité que celui de Ian Curtis. Au lieu de jouer de leur brillance aveuglante, Jeremy choisit d'assombrir la pièce, et d'égarer ses chansons dans des méandres obscurs. Obscurs objets de fascination. Jeremy Jay déambule, et l'auditeur avec, dans un monde nocturne dont on aperçoit les éléments au gré des lampadaires ou des spotlights. L'instrumentation est très réduite : le décor de "While the City Sleeps" se compose d'une basse lancinante et sensuelle, de snaps et d'une voix qui ne le sont pas moins. Au fur et à mesure des pas, le frisson se fait aussi inquiet qu'excité. Les rues sont désertes, et résonnent d'échos tout droit venus du monde industriel du Désert Rouge. Les gens font-ils la fête ailleurs? Les rejoindrons-nous? Car ceux que l'on a croisés jusque là portent certes des vêtements flamboyants, mais leur visage est blême. La production de Calvin Johnson est si datée que le disque nous apparaît comme un objet du passé revenu nous hanter avec une voix d'outre-tombe. La pochette annonce la fin de l'album après le magnifique "Someone Cares". Mais il poursuit sa route sans se soucier de sa mort annoncée, avec un titre sans titre de toute beauté. C'est un monde de morts-vivants qui reviennent s'amuser, beaux et élégants.

Ce premier album porte une esthétique très marquée, et se développe autour d'une ligne directrice très forte. Mais il ne peut être déjà considéré comme une griffe, comme une introduction au style Jeremy Jay. Il y a seulement réuni ses titres les plus glam, justement. Ce qui peut décevoir les passionés qui suivent le musicien depuis plusieurs mois au gré de ses chansons postées très régulièrement sur Myspace. Car ces morceaux, à l'instar du single "Airwalker" ont un pouvoir de fascination bien plus grand encore que ceux réunis sur A Place Where We Could Go. Une sorte de funk grave et froid, glacé par des notes de clavier new-wave. Et alors qu'on espérait un grand disque de funk étrange, Jeremy sort un petit album de glam bizarre. Mais peu importe, le talent du garçon est immense, et ses chansons sont si précieuses que l'on craint qu'elles nous échappent.
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En bref: De la pop glam au son patiné, assombrie par une grande voix de crooner caverneuse. Des compositions qui se baladent fièrement au-dessus de leurs contemporaines. Une collection de titres excellents qui ne témoigne même pas assez du talent de leur auteur. Une invitation à écouter ses inédits fascinants, forgés dans un funk froid et sombre.




Son Myspace, une mine d'or à creuser.


A lire aussi: Destroyer - Trouble In Dreams (2008)

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"Someone Cares" en vidéo:
Et "Escape to Aspen" en live:

1 Comment:

Anonyme said...

merci Manu,
Pia ;)