09 novembre 2008

Matt Elliott - Howling Songs (2008)

Je me rappelle très bien de l’un de ses concerts, l’année dernière. C’était à Strasbourg, et, comme toujours, il était seul sur scène, en homme-orchestre, avec son sampler, sa guitare et ses pédales à effets. Pour moi, Matt Elliott, c’est avant tout ce créateur solitaire, qui construit son monde sans jamais regarder ailleurs que dans ses souvenirs, ses douleurs, ses tripes. Depuis le projet dark et brillant Third Eye Foundation (dont il était bien entendu l’unique membre) et sa drum and bass autiste et hantée, le Britannique a fait du chemin et conçu un univers unique, entre folk suicidaire, mélodies slaves et vapeurs alcooliques.

Refermant la trilogie entamée avec le génial Drinking Songs (2005) et poursuivie avec l’un peu moins réussi Failing Songs (2006), Howling Songs est sans doute ce qu’Elliott a produit de plus abouti dans sa carrière. Songwriter désormais incontestable, il ose une utilisation moins systématique des choeurs, ce qui lui permet de poser davantage sa voix et de s’affirmer comme un excellent chanteur, au timbre saturé de sensibilité. Un timbre grave et plein, presque celui d’un crooner, qui prend parfois des accents de Nick Cave ou Leonard Cohen. Des arrangements pop de “Berlin and Bisenthal” à la limpide “Song for A Failed Relationship” qui fait penser à Nick Drake, la lente évolution de Matt Elliott vers la chanson semble achevée. Moins de bruitisme et de larsens, plus de maîtrise émotionnelle : c’est ainsi qu’il parvient à produire de purs diamants noirs comme l’édifiante “Something About Ghosts” (en écoute plus bas).

Les sonorités plaintives d’Europe de l’est et de Russie (violons) sont encore plus présentes qu’auparavant, même si certains titres lorgnent vers une mélancolie à l’espagnole (guitares). Ce dernier point s’expliquant très facilement par la récente installation du musicien en Espagne - originaire de Bristol, il a quitté la France, où il vivait depuis quelques années, au lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy. Il avait d'ailleurs écrit "La Mort de la France", dispo sur sa page Myspace, à cette occasion. “The Kübler-Ross Model”, qui ouvre l'album, plante d’emblée le décor désolé qui était celui des deux premiers pans du triptyque. On ne s’attendait certes pas à sortir la boule à facettes et les spotlights, mais là, Elliott fait très fort en plongeant encore plus profondément dans le désespoir. Et lorsque perce un moment de joie, c’est toujours dans l’évocation d’instants révolus.

Howling Songs, ce sont les pérégrinations d’un poète vagabond abîmé, claudiquant d’un troquet hongrois à un pub londonien, d’où il regarde les cargos s’éloigner dans la brume et l’humanité se décomposer, plein d’une hargne muselée qui s’échappe parfois par spasmes (les envolées rageuses d’“A Broken Flamenco”, “The Howling Song”, etc...). Avec une plume presque naturaliste à la Dickens, il dépoussière les clichés sépias de la révolution industrielle, pleure la perte de l’être cher et attend le naufrage d’un monde auquel plus rien ne l’attache, dont il nous livre des images parcellaires. “What to do but cry ?”, s’interroge-t-il sur la dernière plage du disque. A l’écoute de ce concentré de mélancolie, on aimerait lui renvoyer la question.

En bref : Le plus beau et le plus triste de tous les albums du plus magnifiquement dépressif des musiciens britanniques. Rescapé de la drum and bass, Matt Elliott s’impose désormais en maître du songwriting folk-rock slavisant. Beirut peut aller se rhabiller. Absolument splendide.




Matt Elliott - Something About Ghosts.mp3

La page Myspace de Matt Elliott
Celle de son label (français!) Ici et d'ailleurs

9 Comments:

M.Ceccaldi said...

howls are not what them seem...

Fabien said...
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Fabien said...

L'absence de Matt Elliott sur DODB était indécente, je te remercie d'avoir remédié à cette faille et de nous avoir ainsi éviter la damnation... J'ignorais la sortie de ce nouvel opus du Britannique, je vais m'y engouffrer dès à présent. Tu parles d'un album plus obscur que les précédents, j'ai un peu de mal à imaginer ça mais ma curiosité et mon intérêt n'en sont que décuplés !

Ju said...

Waouh Dave qu'est-ce qu'il t'arrive? Tu écoutes des guitares? Je vais devoir me mettre à chroniquer de l'électro minimale moi maintenant. Non sans plaisanterie, ce disque est magnifique, je l'avais mis en fond l'autre soir en lisant Molloy (je ratrappe mon retard en Beckett) et ça le faisait grave. Merci pour ce post. A+
Ju

Ju said...

Et oui, Beirut peut aller se rhabiller!

Ju said...

Et oui, Beirut peut aller se rhabiller!

Dave said...

Héhé, oui, il ne faut pas se fier aux apparences. D'ailleurs je lirai volontiers une chronique tech-minimale signée Ju.

@Fab: Tu l'as écouté ? Alors, plus obscur ou pas ? En tout cas ça ferait un carton à Ibiza, non ?

Antoine said...

Peut-être qu'il fera un carton a Strasbourg. Je pense aller le voir lors de son prochain passage, le 21 à Stimultania (pour les gens de la région).

cosak said...

je viens de découvrir cet artiste, je ne connaissais pas honte à moi. par contre, ne comparez pas Matt à Beirut. Beirut est nostalgique mais pas mélancolique !!! les deux sont géniaux et différents!
bye bonne fêtes.
cosak.