03 janvier 2009

VA - I like it like that (2008)

La salsa n'est pas une musique que l'on écoute confortablement installé dans son salon, l'on en conviendra. Globalement réservée aux pistes de danses échauffées et moites de quelques clubs pseudo-cubains ou hispanisants de notre hexagone, elle ne fréquente que très rarement nos platines, pour ne pas dire jamais. Elle est une musique populaire mais, paradoxalement, méconnue ou ignorée.

Pour nous tous, les labels Because et Mr Bongo organisent un cours de rattrapage, livré sous forme d'une double compilation à la pochette, il faut le dire, bien disgracieuse. Ce point de détail oublié, un premier disque rassemble une série de remixes des plus grands titres du label new-yorkais Fania, créé en 1964 et véritable Motown de la salsa et des musiques afro-caribéennes, accompagnés, dans une seconde galette, des versions originales. I like it like that, oeuvre d'intérêt général, fait amende honorable et redore le blason d'une musique quelque peu flétrie par le temps. Au-delà de cela, elle livre également une kyrielle de réappropriations réussies et rafraîchissantes, toujours respectueuses et parfois audacieuses, qui donne tout son attrait à cette grande réouverture de catalogue musical. Un travail de grande qualité, documentaire et créatif, qui n'est pas sans rappeler celui accompli depuis des années par les Anglais de Soul Jazz Records. Je pense en particulier aux compilations Nu Yorica Roots!, Tropicalia ou encore New Orleans Funk.


Fania a commencé son histoire au milieu des sixties comme une petite entreprise, co-fondée par le compositeur dominicain Johnny Pacheco et son avocat Jerry Masucci. Dès le second album produit par le duo, Heavy smokin' de Larry Harlow en 1965, le label trouve sa griffe. Des arrangements foisonnants et modernes associés aux sons traditionnels afro-caribéens de la salsa, du boogaloo (sorte de soul music latine) et du jazz latin. La paire de producteurs met sur orbite une rafale d'artistes à succès, particulièrement reconnus pour leurs prestations live. Celia Cruz, Ray Barretto, Ruben Blades, Willie Colon et Hector Lavoe parmi les plus fameux. Avec eux, Pacheco forme le supergroupe Fania All Stars (ci-dessous) et sévit à Greenwich Village lors de concerts endiablés devenus depuis légendaires. Leur performance au Cheetah, un club de Manhattan, en 1971, restera dans toutes les mémoires. Editée en cd la même année, elle deviendra le disque de musique latine le plus vendu de tous les temps.



Tous les plus grands hits du label new-yorkais sont présents dans I like it like that et passés au crible du remix. Pour ce faire, rien n'a été laissé au hasard et un casting de grande classe a été réuni. Pour ne citer que quelques noms, on peut évoquer le grand « Little » Louie Vega (Masters at work), Gilles Peterson, 4 Hero, Ashley Beedle (Ballistic brothers, Black science orchestra...) ou encore Andy Smith, le dj de Portishead. Bref, des pointures.


C'est le producteur et remixeur londonien Aaron Jerome, grand adepte du 2-step, qui s'y colle en premier pour une version subtile de tube planétaire de Peter Rodriguez qui a donné son nom à la compilation. Enchaînée avec le titre instrumental « Happy soul with a hook » de Dave Cortez, de solides gages de qualité nous sont d'emblée délivrés. Ce ne sont pas les Bugz in the Attic, avec leur scintillante track disco-funk, qui désavoueront leurs précédents camarades. A base de synthétiseurs et de basses montées sur ressorts, le collectif de dj's britanniques lustre le titre de Willie Colon et Ruben Blades, « Plastico », et ménage une piste de décollage royale à la voix divine de Blades. Vient ensuite Louie Vega. Le new-yorkais d'adoption, grande prêtre de la musique house des années 90, propose un travail de remix léger sur « Mi gente » d'Hector « La voz » (la voix) Lavoe. Une version respecteuse de l'original mais presque trop timorée. Peut-être faut-il rappeler ici que Louie Vega est le neveu de Lavoe et en déduire une certaine retenue de la part de l'ex-Master at work.


Aucun des 15 titres en présence sur I like it like that ne jure ou ne dépareille réellement, du reste, un sommet semble être atteint avec « Saona » de la chanteuse Nora Morales, recomposé ici par l'illustre Gilles Peterson (ci-contre), fondateurs des labels Acid Jazz et Talkin' Loud. Peterson est littéralement touché par la grâce et propose la plage la plus profonde et enivrante du disque. Sept minutes de groove hypnotique, d'accords de piano baroques et destabilisants, de voix spectrales et de transe synthétique. C'est tout simplement délicieux. God loves Gilles Peterson ! Je serais tenté de vous dire que pour ce seul titre I like it like that mérite le détour. Je ne le ferai pas, ce serait faire offense aux quatorze autres réussites qui l'accompagnent.


En bref : Réouverture luxueuse du catalogue du label new-yorkais Fania, véritable mythe de la musique latine et caribéenne des années 60-70. Une série de remixes délicieux, servis par quelques pontes de la musique électronique, et accompagnés de leurs versions originales. Entre leçon d'histoire et travail de (re)création, une double-compilation d'intérêt général. Mention spéciale à Gilles Peterson pour sa version sublime de « Saona » de Nora Morales.





Plastico – Willie Colon & Ruben Blades (Bugz In The Attic).mp3

Saona – Nora Morales (Gilles Peterson).mp3


Hector Lavoe, « Mi gente » :





« Introducing » the Fania All Stars (live au Cheetah en 1971 et extrait du film Our latin thing) :




« Quitate Tu » par les Fania All Stars (live au Cheetah) :


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