19 octobre 2009

The Flaming Lips - Embryonic (2009)

Un double album pour les Lips, ça n’était jamais arrivé. Il y avait bien eu l’expérience Zaireeka en 1997 qui peut être vue comme un quadruple disque en un, mais un double jamais. Exercice périlleux s’il en est, le format double permet généralement aux artistes de sortir du cadre habituel, de s’exprimer sur la longueur, avec le risque de diluer son talent, de perdre l’auditeur ou de placer des titres inutiles au milieu de pépites que l’on oublie. Et des risques cet Embryonic en comportait un paquet. Nombreux sont ceux qui ont été déçus par le son en plastique du récent At war with the mystics. Son côté pop, la naïveté de titres comme "The Yeah yeah yeah song", le manque d’homogénéité. Mais la BO Christmas on mars sortie en 2008 avait esquissé la somme de travail réalisée pour Embryonic à savoir un véritable tournant musical en forme de challenge. Réinventer les Lips. Retourner aux fondamentaux. Retourner coûte que coûte au bizarre, quitte à perdre l’auditeur le plus flemmard au passage. Disons le tout de suite, Embryonic est un disque très difficile d’accès. Un disque sombre, long et flippant. Leur plus audacieux depuis Zaireeka.

Forcément conceptuel, -cette pochette folle- Wayne Coyne n’hésite plus et cite volontiers le mathématicien allemand Thorsten Wörmann. Selon lui, l’univers n’a pas de sens. D’où un sentiment de chaos ("Aquarius sabotage"), de douleur, de résignation. Lui et sa bande s’en sont allés et se sont remis aux jams krautrock des tous débuts. Finie la power pop, au placard les mélodies, rentrez-chez vous les ballades. Tout juste "Evil" rappelle un peu les flottements cinématographiques de "Do you realize", tel un interlude de douceur, de courte durée.

Faisant preuve d’une richesse musicale incontestable, le groupe d’ Oklahoma est à la fois génial et frustrant. Ecoutez le break tout en orgue à mi-parcours sur l’ultra torturée "Sea the leaves" et prenez-en de la graine. Et ce ne sont pas les apparitions surmédiatisées, inutiles et surtout indétectables de Karen O et MGMT qui y changent quelque chose, mais plutôt un retour à la grosse basse saturée ("Worm mountains"), aux guitares incisives, aux synthés abrasifs et surtout à une utilisation parcimonieuse des vocals. Il y en a en effet très peu sur ce qui s’apparente désormais à du space rock progressif. Prenez par exemple le revirement aérien de "Gemini Syringes" et ne me dîtes pas que vous n’y entendez pas le Pink Floyd. Et c’est assez rare pour le souligner tant le disque manque d’influences (un atout ?), même si l’on parle du Miles Davis Group ici ou là. Certains se sont laissés aller à évoquer la comparaison de "Chemical Brothers sous anti dépresseurs", pourquoi pas. La faute sans doute à un tempo qui traîne ("Your bats") et à une sensation d’étouffement, de claustrophobie.


Au milieu de tout ça, perdu entre ces 18 titres de freak’s vibe, se trouve le morceau le plus long de l’album, "Powerless", longue montée sinistre et éprouvante rappelant les premiers tics lipsiens. Wayne Coyne y maltraite sa guitare pour mieux vous laisser sur le carreau. "Convinced of the ex", titre inaugural de creepy kraut rock à la basse hypnotique est déjà loin derrière, tout comme "The sparrow looks up at the machine" qui lui emboîte le pas. Et on en revient à l’éternel problème des doubles albums : il y a tant à dire. En effet, quatre voir cinq des plus gros morceaux sont encore à venir. A commencer par le dépouillé "I can be a frog". Magistral pour certain, inutiles pour d’autres. Je vous parlais des Pink Floyd, et c’est bien d’eux dont il est encore question sur l’anthologique "Sagittarius silver announcement". Les harmonies vocales du Piper at the gates of down sont évidentes. Le Floyd dont Wayne Coyne envisage d’ailleurs de réenregistrer très prochainement le Dark side of the moon dans son intégralité.

Je vous épargne les descriptions détaillées de "Silver trembling hands", seul et unique possible single (Ahahaha, pardon, c’est nerveux) de l’album ainsi que celle du monumental et intransigeant morceau final, "Watching the planet". A ce stade-là -celui du douzième album studio-, l’on peut définitivement affirmer qu’il ne s’agit plus d’esbrouffe. Les Flaming Lips sont un véritable groupe, qui prend des risques (Embryonic impossible à jouer sur scène?) et qui mérite amplement son 9.0 sur Pitchfork au passage. Est-ce que ce disque se vendra pour autant ? Certainement pas. Pourtant dans un monde parfait, tout le monde devrait écouter ça au casque au moins une fois.

En bref : Le disque le plus étrange, bizarre et organique des Lips à ce jour, c’est dire. Un double monument qui ne se laisse pas apprivoiser facilement, témoin de l’avancée d’un groupe majeur à un tournant important de sa carrière. Indispensable cette année, pour chaque fan et chaque détracteur.





Le site officiel

L’album en streaming

A lire aussi : The Flaming Lips - Zaireeka (1997)

"See the heaves", à écouter au moins jusqu’au revirement à 2’25", le plus léger et anecdotique "I can be a frog" et le "single" "Silver trembling hands" :





19 Comments:

Anonyme said...

Excellent album! 2009 démarrait en trombe avec le "Merryweather Post Pavilion" des Animal Collective (que j'ai découvert grâce à votre critique) et s'achève avec fracas avec l'"Embryonic" des Lips... 2009 l'année des freaks? En tout cas bonne critique ;) J'attendais avec impatience le moment où vous alliez chroniquer cet album qui m'a redonné espoir en Wayne Coyne et sa troupe de musicos! Très dense et très bon, voilà qui promet de longues (et de passionnantes) heures d'écoute. Continuez comme ça, votre blog est vraiment sympa!

Un fan des Lips et d'Animal Collective (:D), entre autres

M.Ceccaldi said...

the yeah yeah yeah song m'avait un peu fâché avec ce groupe ; mais là je vais réessayer.

Nickx said...

Un seul mot : très belle chronique, qui donne envie d'écouter !
Même si je ne suis pas particulièrement fan de ce groupe !

Dave said...

Pas mieux ! Je m'y plonge dès ce soir...
C'est Friedman à la prod ?

Ju said...

@ Anne Onyme : Merci beaucoup pour ton très sympathique commentaire . Et merci aussi pour ceux qui font ce blog, des retours comme ça, ça fait toujours plaisir non?

@ Hip Hop : Et pourtant malgré ce que je dis j'adore The Yeah Yeah Yeah Song, elle met une de ces pêches !

@ Nickx : Tu y viendras Nickx, tu y viendras... Oublies ce concert qui t'a déçu et replonge toi dans les premiers albums.

@ Dave : Eh comment c'est l'ami Dave à la prod ! Tu me diras ce que tu en penses.

En tous cas merci pour ces commentaires, c'est motivant!

A+
Ju

Unknown said...

En voilà une sacrée bonne chronique! Si avec elle les Lips ne deviennent pas numéro un du Top psyché !
C'est vrai que cet album m'a bigrement secoué les ouïes quand je l'ai entendu la première fois. A la deuxième écouté c'est pire, on se dit qu'on doit être à l'écoute d'un des albums de l'année !

Charles said...

Très bon album. Merci ju pour ta critique très ajustée :).

Nickx said...

Le single est effectivement ...un peu chiche !

Sinon, les deux autres titres sont très bien !

Pas encore écouté l'album, mais il faut dire qe je ne télécharge pas, MOI !

Ju said...

C'est pour ça que j'ai mis le lien de l'album en streaming...

Tu sais ce que c'est le streaming Nickx? C'est en direct, sans télécharger, sisi je te jure (-:

C'est toi qu'est chiche !

Adrien l'Anonyme said...

Euh, serais-je le seul à trouver "I Can Be A Frog" géniale (la vidéo aussi)? Complètement barrée mais magnifique, toute en simplicité (et Wayne qui se retient de rire à 0:39 :D)... Des chansons comme ça j'en redemande :-)!

Anonyme said...

Super chronique, superbe album. une surprise. un album complet ultra bien articulé. Wayne coyne is back. Mention speciales a EVIL et Watching the planets.

Nickx said...

Je n'avais pas vu le lien streaming Ju, désolé !

Sinon, battage du record de nombre de posts en vue pour Flaming Lips ?

Pour mémoire Animal Collective ont fait 19 cette année, The Whitest Boy Alive et Empire of The Sun ont fait 18 !

Petite curioité : tous ces albums ont des chances de bien figurer dans le palmarès de fin d'année !

Bon, pour Empire Of The Sun, je ne pense pas ce que je dis, bien entendu....

Ju said...

Double album, doubles commentaires, c'est normal (-:

Francky 01 said...

Hello.
Belle chronique qui donne vraiment envie d'écouter ce disque. J'avais également été déçu par "At war with the mystics". Mais après une rapide écoute sur deezer, même si elle a été déroutante, on sent que ce double album est vraiment du meilleur cru. Les Flaming Lips ont-ils retrouvé leur folie originelle ? J'en ai bien l'impression !!! A +

Nickx said...

Ayé, ai écouté l'album !
Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne laisse pas d'intriguer !

Pas un chef d'oeuvre d'un bout à bout certes, car trop long, trop touffu, trop dense....mais un sacré ramassis de réussites !

Il est obsédé par l'astrologie, le Coyne ? Entre les Poissons, les Sagitaires, les Gémeaux, les Vierges et les Scorpions, y'a de quoi faire !!

Certainsmorceaux kraut ou electro sont des tueries, je pense aux deux premiers, ou à certains instrus ! De manière générale, n'étant pas un maniaque de la voix enrubanée du chanteur, je préfère quand la voix est trafiquée, ou que les vocaux se réduisent à leur plus simple expression !

Je ne sais que trop penser de ce disque ; probablement ce que j'ai entendu de mieux de ce groupe - et ça n'est pas difficile !- mais un disque qui ne laisse pas indifférent, vraiment, avec de vrais belles et surprenantes sonorités, et qui, pour toutes ces raisons, pourrait rester !

Let's wait.....

Adrien l'Anonyme said...

Il faut que je m'achète Zaireeka :D

Nickx said...

Ju ne te dira pas le contraire,
lui qui ne s'est pas encore totalement remis de l'écoute quadridimensionelle de Zaireeka, tout nu, dans la position du lotus, et toutes bougies éteintes !

Ju said...

Oui d'ailleurs il faudra que je reprévois une écoute de Zaireeka, dans le nouvel appartement, en équipe cette fois-ci.

Plutôt d'accord avec toi Nickx, même si perso la voix enrubanée de Coyne ne me gêne pas outre mesure donc... Mais c'est vari que quitte à être dans ce trip là, je préfère aussi les instrumentaux.

Ce que tu as entendu de mieux du groupe? mais as-tu vraiment écouté les 12 albums studios aussi?

Voilà, je suis donc le 18ème commentateur, Empire of the sun est battu, c'est un moindre mal.

Vivent les Lips !

Ju

Adrien said...

Il est vrai que la voix de Wayne Coyne peut déconcerter, tant sa technique vocale est limitée (quand il ne chante pas tout simplement faux). Mais perso je trouve que c'est justement ce qui donne leur charme aux Lips, cette voix un peu brisée qui peine à se poser correctement. Avant j'avais du mal, mais maintenant je considère que Wayne Coyne est essentiel, il m'émeut même en voulant chanter des choses trop compliquée pour lui : on sent qu'il se donne à 200% et ça reste plus qu'appréciable! L'exemple qui me vient à l'idée (parmi tant d'autres) est "Slow Motion" de The Soft Bulletin, le chant de Coyne est complètement à côté de la plaque mais c'est ce qui le rend si attachant... Enfin voilà c'est un peu comme ça que je le ressens :-).