02 mars 2007

Marvin Gaye - Trouble Man (1972)

C'était l'époque des Black Panthers, des peignes plantés dans les afros, des macs arborant des vestes en skaï et des plumes sur leurs chapeaux. L'époque où les noirs d'Amérique se créaient enfin leurs héros, de l'inspecteur Shaft à Sweet Sweetback, et où James Brown hurlait à s'en craquer les cordes "Say it loud! I'm black and i'm proud!". Pour accompagner les tribulations cinématographiques de Robert Hooks ou Pam Grier, les plus grands musiciens composaient de véritables bijoux, souvent bien supérieurs aux films eux-mêmes. En général, ces disques sortaient sous les fameuses étiquettes Stax ou Motown. C'est sur ce dernier label que parut, en janvier 1973, l'une des plus belles bandes originales que je connaisse, celle de "Trouble Man", entièrement composée par Marvin Gaye.

Bien moins célébré que "What's going on?" (1971) ou "I want you"(1976), ce chef-d'oeuvre est pourtant l'un des lieux où le génie du roi Marvin pour l'orchestration se dévoile avec le plus d'indécence. La sophistication extrême de cet album n'a rien d'étonnant quand on sait que son auteur était véritablement obsédé par les arrangements. Ici s'enchevêtrent de discrets pianos, de caressants cuivres et une guitare satinée, là le wah-wah d'une basse et de frissonnants violons . Comme souvent à l'écoute du maître, une terrassante sensation de pureté s'élève, gonflée par une voix inimitable, cristalline, peut-être la voix la plus love qu' aie jamais possédé un homme. Son timbre, sur certains morceaux, a la couleur du drame, et nous rappelle que, deux ans auparavant, le chanteur avait perdu Tammi Terrell, l'amour de sa vie. D'autres plages, plus enjouées, distillent un groove californien de circonstance - Marvin Gaye avait posé ses valises à Hollywood, cette année-là.

Eclipsé par les deux énormes succès que furent "Shaft" d'Isaac Hayes (1971) et "Superfly" de Curtis Mayfield (1972), autres monumentaux classiques de la Blaxploitation, "Trouble Man" assèche mon stock de superlatifs. Un de ces disques de chevet qu'on a envie de garder pour soi. Mais bon, puisque c'est vous...

Comment choisir parmi ces treize titres ? Peut-être en suivant les arabesques sonores de Trevor Lawrence et son saxophone, déchirantes sur "Poor Abbey Walsh", suaves et impressionnistes sur le "Theme From Trouble Man" avant d'attraper une fièvre funky pour "T Stands For Trouble". Mais que dire de ce "T plays It Cool", qu'on croirait enregistré hier, et où Marvin annonce, avec son synthé moog, la venue prochaine de la musique électronique? Le disque ne durant que 38 minutes, le plus raisonnable reste de se l'enfiler cul-sec en offrant une petite pensée à ce très grand monsieur, tué par son père le 1er avril 1984, date funeste pour tous les souljunkies.
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Un extrait :



Et la bande-annonce du film, pour se mettre dans l'ambiance ("Now I'm comin' to get yo honky ass !") :

4 Comments:

Ju said...

Une bien belle pièce de 1972 mon cher Dave pour une musique que l'on n'a pas forcément l'habitude d'écouter en dehors des films eux mêmes. J'ai été surpris par le côté très jazz de l'ensemble et le peu de présence de la voix de Marvin. Effectivement un grand disque.

Adrien Potocnjak-vaillant said...

Bande annonce mythique. C'est cool d'être black, quand on y réfléchit à deux fois. ça déchire, se son, sinon. Too smooth.

Dave said...

Tu as raison, c'est le 8 décembre 1972 que ce disque est sorti. Sinon, c'est vrai que Marvin chante peu sur "Trouble Man", parce qu'il se plie aux contraintes de la musique de films. Je trouve que ces contraintes donnent sa force à l'album. Les rares parties chantées n'en sont que plus belles. D'ailleurs je crois que je vais promptement foutre le CD et me payer un petit "Don't Mess With Mister T"!

VadeZ said...

I agree. L'album est surpuissant.