04 avril 2007

Prince - Black Album (1987 / 1994)

L'histoire du Black Album est emblématique du personnage complexe, à la fois détestable et génial, qu'est Prince. En 1987, un an après le double album Sign O' The Times, il enregistre 8 morceaux qu'il prévoit d'abord de sortir sous le nom de Funk Bible. Il les compile finalement dans un disque noir, sans titre et sans nom. 100 éditions promotionnelles sont lâchées dans la nature avant qu'il ne décide subitement de laisser l'album au placard. Dans sa schizophrénie délirante, alimentée par un usage abusif de drogues, Prince s'est en effet créé un double qu'il a affublé du pseudonyme unisexe Camille. Or, Camille n'est pas satisfait(e) de ce que fait Prince. Mais alors pas du tout.

Camille aime Dieu, l'amour, le soleil et déteste les paroles lubriques et violentes de son alter-ego. Il (ou elle) veut désormais se faire l'apôtre du divin. Dès lors, la carrière du Love Symbol entame une triste phase de déclin qui ne cessera qu'avec le splendide Rainbow Children de 2001. Et pour inaugurer ces quatorze ans de trou, en lieu et place du Black Album, l'artiste sort Lovesexy, l'un de ses plus mauvais albums, une sorte de guimauve merdique, ridicule, saturée de bonnes intentions. Gide disait qu' on ne fait pas de bonne littérature avec des bons sentiments. On peut être d'accord ou pas, mais la formule convient assez bien à la musique de l'auteur de Purple Rain. Alors que Lovesexy est pétri d'amour et sans intérêt, l'album noir est un condensé de sexe et de haine qui ravira tous les amateurs de funk. Jamais le nain de Minnéapolis n'avait été si brutal.

Ses paroles, d'abord. Auparavant, pour parler de cul, il était plutôt dans la suggestion, y allant de sa petite métaphore. Ici, ça dégouline clairement, ça sue, ça fornique de manière complètement obscène. Le disque regorge notamment d'orgasmes simulés (dans Superfunkycalifragisexy en particulier). Une ambiance très gangsta se dégage de l'ensemble, d'autant que Prince rappe beaucoup plus qu'à l'accoutumée. Quant à la musique, elle est aussi d'une sauvagerie inédite. Evidemment il y a la petite ballade pourrie sans laquelle Prince ne serait pas Prince - ce coup-ci, c'est When 2 are in love. Mais les sept autres titres ne font pas dans la dentelle, avec des boîtes à rythmes qui s'entrechoquent (80's obligent), des hand clappin' et des distorsions qui se superposent. La caisse claire est si lourde sur certains titres qu'un mal de crâne peut facilement survenir.

Le son ressemble à s'y méprendre à du George Clinton : de la pure P-funk, surchargée de cuivres, de keyboards hurlants et de parties de basse en slapping à la Marcus Miller. C'est 2 Nigs United 4 West Compton que je retiendrais si je devais choisir un morceau. Cet instrumental speedé résume parfaitement l'esprit orgiaque de ce disque, initialement destiné à fermer les clapets de ceux qui trouvaient Prince trop pop.

Epilogue : après la décision de Camille, le Black Album devient l'un des albums les plus piratés de tous les temps - on parle de 500 000 bootlegs vendus. Les collectionneurs déboursent jusqu'à 5000 euros pour posséder une édition originale. En 1989, un groupe enregistre même, en Allemagne, une version très bien imitée qui disparaît des bacs au bout d'une semaine. Ce n'est qu'en 1994, lorsque Prince vide toutes les vieilles bandes de son placard pour plier son contrat avec la Warner, que sort officiellement l'objet de toutes les convoitises.

En bref : un des disques les plus méconnus de Prince. Une bombe funky sans concession à (re)découvrir absolument.


2 Comments:

Nickx said...

Un peu sur le tard par rapport à ta chronique et surtout parce que je suis en train de réévaluer l'oeuvre du Nain Pourpre, je ne peux que m'étonner devant l'étroitesse d'esprit dont tu fais preuve à propos de Lovesexy. Rejoignant ce faisant moult critics de l'époque qui avaient émis un avis mitigé sur ce disque.
Il faut savoir que Lovesexy bénéficie d'une production princière ce qui convenons-en, n'est peut-être pas le critère le plus important à retenir lorsqu'on évalue une oeuvre enregistrée.
Néanmoins reste la musique et certains morceaux de fou : "Alphabet St", "Anna Stesia", c'est du poulet ? "Dance on" c'est aseptisé ?

Alors bien sûr, l'excellent Black Album est plus cru, plus cul, plus moite ; mais de ça on se fout. Certains albums d'Isaac Hayes sont plus sirupeux et moins staight que d'autres ; ça ne les rend pas moins bons.

La vérité moins réductrice et péremptoire ("une guimauve merdique"?!) se situe sans doute entre les deux. Rincés face à la productivité officielle et parallèle de l'Artiste, les journalistes ont sans doute voulu à un moment donné passer à autre chose, saturés qu'ils étaient par tous ces sons, tous ces albums de Prince qui en plus les fuyait.
Raison pour laquelle ils ne retinrent que les les très bons Diamonds And Pearls et surtout ! le Love Symbol comme étant dignes d'intérêt à partir du virage plus "anonyme" de Prince, ses changements d'identité, tout ça.

Comme tu le rappelles, il y eut ensuite The Rainbow Children, mais pas que. On peut mentionner The Gold Experience, The Vault...OLd Friends For Sale, Chaos And Disorder, Exodus One Night Alone et j'en oublie qui côtoient les vraies bouses que sont effecvtivement les Emancipation, Rave Un2 The Joy Fantastic ou 20Ten.

Voila. Et "When 2 R In Love", franchement on a vu pire comme ballade. :)
Bien à toi.

Nickx said...

Relisant ta chronique, je note que tu mets l'accent sur l'équation un peu spécieuse Prince + Bons Sentiments = Mauvais Disques.
Et que dans le même temps tu rends(à juste titre d'ailleurs)justice à The Rainbow Children.
L'exemple est sans doute mal choisi ; car consécutif à la perte de son enfant (époque Emancipation) Prince choisit de se convertir au New Age et fraye avec Jehovah. Ce faisant, The Rainbow Children (et cet état de chose lui sera parfois reproché) n'est qu'Amour dégoulinant.

Ce CQFD n'engageait donc que son auteur. :)))),