17 février 2007

Godspeed You Black Emperor! - Lift your skinny fists like antennas to heaven!

En ouvrant ce disque, on tombe sur des dessins bien curieux. L'un d'eux représente deux hommes. L'un, masqué, en costard, porte une cravate ornée du sigle dollar, et coupe, à l'aide de longs ciseaux, les mains de l'autre. Sur la table, un contrat fraîchement signé. Et là-dessus, un titre d'un cynisme achevé : Lift your skinny fists like antennas to heaven ! Levons nos moignons, donc. C'est Faust revisité, mais c'est surtout une juste illustration, en négatif, de l'éthique d'un groupe hors-norme qui évite soigneusement les autoroutes du music-business. Chacun de ses albums, au fond, exprime la même sentence ultra-radicale : le capitalisme mène à l'Apocalypse - on adhère ou pas... Quoi qu'il en soit, la musique de Godspeed You Black Emperor!, quasiment dénuée de chant, s'apparente plus à un appel muet et fataliste à l'insurrection qu'à un objet de propagande pur. Si la révolte gronde, elle est purement musicale et reste informulée. Godspeed nous invite à grossir les rangs des esthètes-kamikazes pour qui rien n'est plus beau qu'un combat perdu d'avance.

Sorti en 2000, cet album est sûrement le plus abouti du collectif Montréalais. En apparence, il est plutôt hermétique. 4 plages de 22:30 minutes, sur deux CD, forment une unique symphonie, épique et ténébreuse. Le nom des titres n'est indiqué nulle part, mais le livret contient un mystérieux diagramme chronologique représentant les variations d'intensité de l'album. Ce mépris des formats imposés est revendiqué par ces artistes comme par tous ceux de l'intransigeant label Constellation (The Silver Mt. Zion Orchestra and Tralala Band, Fly Pan Am, Exhaust, tous plus ou moins liés à Godspeed ...) par lequel la version vinyle a été éditée, alors que le double CD est sorti chez Kranky.

Le disque navigue perpétuellement entre de flamboyantes envolées orchestrales et des phases d'extrême nostalgie, comme au début de la deuxième partie, lorsqu'un homme à la voix chevrotante se remémore son enfance avant de lâcher, dans une tristesse infinie : "They don't sleep anymore on the beach...". Parfois, la même note de violoncelle, le même larsen se prolongent jusqu'à la douleur, vous immergent dans l'angoisse et soudain, un puissant rayon de soleil éventre le ciel uniformément noir: grosse caisse, fine pluie de cymbales, distorsions suintantes, cordes lyriques, vont crescendo et portent une joie post-humaine, à l'abri du temps et de la contingence. Mais la félicité ne dure qu'un instant. Très vite, les guitares se taisent, le rythme retombe, et ne subsistent que les sons lointains d'un monde détruit, comme si on déambulait dans une ville ravagée. Au milieu de cette promenade, les échos étouffés d'un piano et une voix d'outre-tombe procurent des frissons à la limite du supportable.

"Lift your skinny fists..." est une chevauchée macabre qui allie la puissance organique des cordes à un rock progressif débridé, pour une orgie sonore éprouvante, mais inoubliable.
Godspeed You Black Emperor!, ou la rencontre de Wagner et Sonic Youth dans un abri antiatomique...






1 Comment:

Charles said...

Voici un groupe que j'écoutais sans entendre. Je possède en fait un bon nombre de leur CDs mais je n'y ai jamais porté plus d'attention. Les commentaires que tu as posé sur Lift your skinny fists like antennas to heaven ont suscité plus d'intérêt et donné du sens pour découvrir un véritable malaise finement gravé dans la chair de l'album.

Le titre m'a aussi étrangement rappelé l'histoire d'un chanteur dont certains connaissent déjà l'histoire voire l'hymne révolutionnaire:

"On amena Victor et on lui ordonna de mettre les mains sur la table. Dans celles de l’officier, une hache apparut. D’un coup sec il coupa les doigts de la main gauche, puis d’un autre coup, ceux de la main droite. On entendit les doigts tomber sur le sol en bois. Le corps de Victor s’écroula lourdement. On entendit le hurlement collectif de 6 000 détenus. L’officier se précipita sur le corps du chanteur-guitariste en criant : " Chante maintenant pour ta putain de mère ", et il continua à le rouer de coups. Tout d’un coup Victor essaya péniblement de se lever et comme un somnambule, se dirigea vers les gradins, ses pas mal assurés, et l’on entendit sa voix qui nous interpellait : " On va faire plaisir au commandant. " Levant ses mains dégoulinantes de sang, d’une voix angoissée, il commença à chanter l’hymne de l’Unité populaire, que tout le monde reprit en choeur. C’en était trop pour les militaires ; on tira une rafale et Victor se plia en avant. D’autres rafales se firent entendre, destinées celles-là à ceux qui avaient chanté avec Victor. Il y eut un véritable écroulement de corps, tombant criblés de balles. Les cris des blessés étaient épouvantables. Mais Victor ne les entendait pas. Il était mort." extrait de l'article Une nuit de terreur longue de dix-sept ans, l'Humanité du 31 janvier 2000.