03 avril 2012

Art Blakey and the Jazz Messengers - Moanin (1958)

Voilà du jazz qui saura séduire le lecteur moyen indie pop-rock de DODB, même le plus récalcitrant. La formule s'appelle Hard-Bop : vélocité des premiers bopeurs + retour aux sources de la musique afro-américaine (blues et gospel), le tout dans une combinaison consacrée (deux soufflants, trompette et ténor sax, piano, contrebasse et batterie). Tellement véloce que Horace Silver, pianiste participant aux premières moutures historiques du groupe, trouvait ça "funky"... Le tout au service de mélodies simples et directes, loin de la conception que les non amateurs se font du solo de jazz comme paraphrase infinie et illisible. L'album réunit, en effet, les titres les plus connus des Jazz Messengers et du Hard-Bop en général : "Moanin" et "Blues March".

Le titre d'ouverture "Moanin", fut un tube (qui finit par donner son titre à l'album sur un second pressage), mais il a pour moi un statut très singulier. Avec le solo de Lee Morgan, c'était la première fois que j'entendais des sons aussi étincelants et excitants, c'était la première fois que j'entendais les possibilités d'une trompette jazz, en terme de hauteur de son et de phrasé. La première fois peut-être aussi que j'allais vers un musicien non parce qu'il était reconnu par un sens commun de la critique (je n'avais jamais entendu parlé de lui) mais à partir des sons qu'il produisait. Il est là le son des Jazz Messengers, pas seulement dans le jeu de question-réponse entre le piano et les cuivres qui ouvre le morceau, mais aussi dans cette trompette staccato, aux aigus si précis et piquants, ce phrasé souple, rythmé par de fines altérations, qui font le style soul et funky de Lee Morgan, reconnaissable entre tous.


"Are you real" joue des possibilités de décalage entre les deux cuivres, sur une mélodie pop simple et rayonnante, composée par le ténor sax Benny Golson. Après avoir dansé sur "Moanin", vous vous retrouvez à chanter à tue-tête une mélodie du bonheur. La face A s'achève sur un titre délicieusement évocateur, "Along came Betty", dont le thème, joué à l'unisson par les cuivres, a été inspiré par une jeune femme prénommée Betty, et plus particulièrement par sa démarche. Il s'agissait pour le groupe de capter "l'effet musical de sa grâce et de sa féminité". Le tempo et le jeu lié des cuivres suggèrent cette démarche, tandis que les chorus dressent un portrait plus détaillé de la jeune femme et de son pouvoir de séduction. Là encore la trompette de Morgan est épatante.

La face B s'ouvre sur l'affolant "The drum thunder suite", où les maillets foudroyants de Blakey deviennent le centre organisateur d'une suite de trois thèmes qui nous propulsent à Hollywood, entre film noir, film de gangsters et suspens hitchcockien. C'est l'autre merveille de l'album. Mais il y a aussi le fameux "Blues March", où comment parvenir à faire swinguer une marche militaire, clin d'oeil aux fanfares de la Nouvelle Orléans.

Le dernier titre - seul standard de l'album : "Come rain or come shine"- prouve que les ardeurs hardbop sont compatibles avec un beau standard bien mélodieux.

En bref : le disque de Hard-Bop parfait, mélodieux, dansant, gorgé de tubes et de sonorités éclatantes.





"Moanin", version album :


"Moanin", version live, Belgique, 1958 :

5 Comments:

Dave said...

Grand disque en effet. Et la performance de Lee Morgan est d'autant plus remarquable qu'il n'avait que 20 ans lors de l'enregistrement ! C'était 5 avant la sortie de son classique The Sidewinder (à écouter absolument si ce n'est déjà fait)...

Dave said...

5 ans avant...

Nickx said...

Décidément, mon Jérome n'écoute plus que du jazz, et finit par en chroniquer, après avoir fait des rapprochements pertinents dans tout ce que les titres d'albums indé cités récemment dans nos pages contenait !

J'ai perso découvert Art Blakey il y a quelques années par l'entremise de mon pote anglais Jack, bretteur chez les Monologues !

Traumatisé depuis des lustres par Coltrane, je m'offre en ce moment un petit revival Don Cherry/Ornette Colemean du plus bel effet !
Après la pop, vive le bop dans DODB ?

M.Ceccaldi said...

On peut écouter ce Lee Morgan en tant que leader (tom Cat, ou the sidewinder), avec Coltrane (blue train), art Blakey et d'autres encore.
et oui, Nickxx, j'ai fini par totalement basculé dans le jazz, et mes oreilles en veulent toujours plus... Il faut lire les pages de Kerouac sur les concerts bop, dans on the road, elle est là l'essence du jazz, pour moi.
bises

Nickx said...

Alors c'est promis, tu ne mettras pas le 12ème disque des Arctic Monkeys dans ton top de fin d'année ?