23 septembre 2010

Sóley - Theater Island (2010)

A quel point l’écoute d’un disque peut-elle être influencée par sa pochette ? Je me suis déjà surpris à attribuer à la musique d’un album, inconsciemment, la couleur de ses visuels. Et oh ! Celle-ci est brune, grise, sombre, bouh ! D'emblée elle annonce la couleur : le titre, Theater Island, place sans détour le disque dans son contexte d’origine, l’Islande. La jeune Sóley y pose, le regard triste, affublée d'un maquillage que l'on jurerait prêté par Fever Ray, histoire de poursuivre dans le glauque scandinave. Ce maquillage n’est pourtant pas non plus sans nous rappeler celui, haut en couleurs, arboré par Sin Fang Bous, son compère au sein de Seabear, sur la pochette de son Clangour sorti l’an passé sur Morr Music, label sur lequel Sóley est également signée. Elle en est même un négatif évident. L’album aussi.

Theater Island, de quoi donc retourner les clichés, celle d’une Islande peuplée de fées musiciennes chaleureuses et colorées, aux compositions gentiment régressives et twee. Le registre sur lequel joue ici Sóley est pourtant aussi celui de la femme-enfant : voix enfantine, référence à des personnages merveilleux, anglais imparfait. Mais il s’agit ici de révéler les coulisses sombres, le revers tordu de cette Theater Island, en enfonçant, discrètement, un poids malsain sur la poitrine de l’auditeur. Il faut cesser de rêver : l’Islande est une île, une île est une promesse de solitude, la solitude est une promesse de dépression.

Voilà donc ce qu’inspire cet album 6 titres, qui s’attache à donner forme à cette solitude. Et le résultat est assez brillant. Un certain groupe nommé Sigur Rós aurait isolé l’auditeur dans d’immenses paysages sonores. Sóley préfère jouer sur l’intime et l’isoler dans une petite chambre, dans laquelle ses notes de piano font les cent pas. L'instrumentation est minimaliste (piano-voix principalement, parfois soutenus par de discrètes cordes ou percussions), et l’ambiance ainsi créée rappelle l’intérieur de La Maison de mon rêve des sœurs Cocorosie. Le premier titre, "Dutla", se présente comme une sorte de lente chute d’Alice. Il s'ouvre sur une spirale d’accords de cordes étranges, et se poursuit sur un canon, que Sóley chante avec elle-même. Le morceau joue sur la tangente, dans la pénombre. Mais avec le glauque "Kill The Clown", la pianiste fait tomber l’album dans l’obscurité, au lieu de le faire léviter au pays des Bisounours.

À partir de là, le talent de Sóley s’exécute surtout à deux niveaux. Le premier est dans sa manière de retenir le lyrisme le plus longtemps possible, dans de belles et longues introductions ("Kill The Clown "et "Read Your Book" notamment). Le deuxième est dans les superbes spirales mélodiques que dessinent ces courtes séquences lyriques justement, après avoir été laissées en suspens pendant plus de la moitié de la chanson. Le seul refrain de "Blue Leaves "par exemple est, à ce titre, à tomber. Avant cela, les notes de piano de "Theater Island" tournaient autour de la fuite, de la poursuite, et de la mort dans un passionnant crescendo ryhthmique. Et, à la fin, même si les mélodies sont plus lumineuses après une longue et belle introduction encore, les paroles de "We will put her in two graves" enfoncent le clou gothique de ce beau disque sur l’isolement.

En bref : un beau mini-album de contes gothiques narrés sur des notes de piano qui font les cent pas dans une maison de poupée.




Le Myspace, et la page de Sóley sur le site du label Morr Music

À lire aussi : Frida Hyvönen - Until Death Comes (2005)

La vidéo de "Blue Leaves" :


1 Comment:

Nickx said...

Déjà, super content de te revoir sur DODB - à défaut d'in the flesh !

Ensuite, soulagé de voir que l'obsession scandinave est toujours là !

Enfin, toujours avide de tes chroniques je suis, car je ne me suis pas encore remis de la découverte de Sin Fang Bous, que j'avai négligemment zappée !

A bientôt et au plaisir de te relire !