14 avril 2010

MGMT - Congratulations (2010)

En voilà un papier délicat à écrire. Après le carton Oracular Spectacular en 2008, on peut dire que le duo new-yorkais était attendu au tournant, d’une part pour le traditionnel difficile "virage du deuxième album" et d’autre part parce qu’étant tombés bien malgré eux dans le vilain et méchant "mainstream", MGMT devenait une cible facile à tous les pourfendeurs de sons dits "trop faciles". Que n’a-t-on entendu à leur sujet. "Imposteurs" a-t-on crié ! Aussi je ne voulais pas m’engouffrer dans la facilité de ne porter que peu d’écoutes à l’objet, pour n’en livrer qu’un bilan tranchant joué bien avant la partie (je ne vise personne). J’y ai donc passé du temps, de la première écoute presqu’expérimentale avec le bon vieux Fabien, jusqu’à ce jour où je connais Congratulations par cœur.

Sans trop de conteste l’album le plus attendu de l’année -il y a longtemps qu’un premier album n’avait pas remporté tant de suffrages-, Congratulations a été "leacké" très tôt, à tel point que Ben et Andrew l’ont finalement mis en écoute gratuite et intégrale depuis longtemps, alors que le disque n’est toujours pas sorti. Nouveaux temps nouveaux mœurs. Ce qui ressort des premiers avis : "Il n’y a pas de tubes". Au moins on est prévenus, point de "Time to pretend" ou de "Kids" à l’horizon, du contre pied radical au doigt d’honneur il n’y a qu’un pas. Oracular Spectacular était en ce sens bien plus facile d’accès que celui-ci, c’est certain, et on ne pourra jamais leur reprocher d’avoir succombé au chant des sirènes FM.

C’est donc bien plus dans l’esprit entrevu sur l’Ep Metanoia que débarque cette fois-ci le groupe. Morceaux bouillonnants, à tiroirs, qui changent d’idée à chaque instant, production au cordeau, références improbables, c’est tout ça que l’on retrouve sur ce nouvel album immédiatement adopté par les Inrocks qui le qualifient carrément d’ "œuvre pop totale". Je n’irai pas jusque là non plus. Mais je lui trouve de sacrés qualités tout de même. J’adore ce côté "trop d’idées par morceau" comme on le trouvait chez Todd Rundgren, mais aussi les élans baroques à la Bowie. Accrochez-vous, pour écrire ce disque les deux amis ont principalement écouté Felt, Monochrome Set, Television Personalities, Julian Cope, Magazine, Parliament, les Isley Brothers ou les Kinks. Bim ! Ca donne pas dans la facilité non plus.

Mais alors les chansons ? Parce que c’est quand même ce qu’il y a de plus important. Commençons par mes préférées. "It’s working" : bouillante, informe, cheap et pourtant si jouissive. Je vole en apesanteur tout le long de ce titre, jusqu’à son envolée finale si rétro dans la forme, et si moderne dans le propos. Les idées n’arrêtent pas d’affluer et nous happent littéralement. Le deuxième c’est "Flash delirium". Tombé très tôt dans le domaine public de la toile, ce morceau ne m’avait moi-même que moyennement convaincu, et puis j’y suis rentré, et il est en fait complètement fou. Du bon gros Dave Fridmann (crédité au mixage, mais en fait bien plus présent que ça). Les morceaux sont mixés en même temps qu’ils sont enregistrés et ça se sent. Selon l’humeur et le volume sonore, c’en serait presque un sommet de pop ce morceau.


D’autres plages ne déméritent pas non plus. "I found a whistle" remporte aussi mon adhésion. Véritable slow du futur, il plane très très haut (encore une fois, écoutez l’apothéose finale) en apologie des drogues douces et psychédéliques. Sonic Boom (Spaceman 3) à la production n’y est pas pour rien non plus. Congratulations est en fait un album assez perché, certifié THC. Tout comme "Congratulations" (premier titre écrit) et "Someone’s missing", toutes deux low-tempo mais non exemptes de surprises. Ben et Andrew composent en spontané, ce qui explique l’effet poupées russes. "Nous faisons la musique qui nous manque" disent-ils.

Deux autres parties sont pour le moins anachroniques. Ce "Song for Dan Treacy" d’inspiration fortement TVP’s on s’en doute. Et "Brian Eno" qui lui s’applique plutôt à déglinguer les Buzzcocks ?!? Les deux ne ressemblent à rien mais marchent à tous les coups. Et limite, ce serait le morceau fleuve de 12 minutes "Siberian breaks" qui m’aurait le moins convaincu moi qui suis habituellement friand de ce genre d’exercice. Il est pourtant aussi bavard et foutraque que les autres, allez savoir.

On est rassuré de voir que les deux loustics sont de grands amateurs de musique et surtout que l’on n’est pas prêt de leur dicter un chemin tout tracé. Après cette année folle, ils sont revenus épuisés et troublés (ils n’étaient pas forcément prêts pour le succès, Oracular Spectacular était une blague entre potes à la base) mais ont livré un deuxième album haut en couleur (tout comme la pochette, qu’on aime ou qu’on déteste), qui dégoûte et qui rend heureux en même temps.

En bref : tels deux Tom & Jerry sous LSD, MGMT donne un deuxième album complexe à ceux qui voudront bien l’écouter pour de vrai, au casque de préférence, ne serait-ce pour profiter à fond de tous les sons de Fridmann et Boom qui emplissent l’espace sonore de manière prodigieuse. Meilleur que le premier ?





Le site officiel, le Myspace et l’album en streaming

A lire aussi : MGMT - Oracular Spectacular (2008)

"Flash delirium" et "It’s working" :



12 Comments:

LadyDay said...

C'est une très bonne chronique ! C'est rare je trouve qu'on entend un peu de tout et n'importe quoi sur les avis de cet album. Mais là, c'est bien. (j'aime bien le fait que la question de la fin soit laissée en suspense aussi).

Adrien l'Anonyme said...

Mouais, un grand merci à Fridmann tout de même... Plus cohérent que le premier album mais moins surprenant, à mon sens ni meilleur ni moins bon, "Congratulations" se cache derrière des références auto-proclamées et de nombreuses ruptures pour masquer un manque évident d'originalité et d'inspiration. L'album est plutôt honorable, mais me semble à bien des égards vain, surtout dans son recyclage maladroit et moche de sons rétro et pseudo-psyché... "Oracular Spectacular" a mis le public dans sa poche, "Congratulations" semble prêt à en faire de même avec la critique (quoique : la note de Pitchfork me semble juste pour le coup, malgré une critique un peu ambiguë)... Pour ma part MGMT me laisse toujours (relativement) autant de marbre.

Benjamin F said...

"Dave Fridmann (crédité au mixage, mais en fait bien plus présent que ça)", je n'en suis pas si persuadé... En fait globalement tu y as ressenti des choses que je n'ai même pas entrevu. Les multiples écoutes n'y ont rien changé, je trouve que ce MGMT manque de chansons et de générosité. Loin des stupides combats sur l'aspect mainstream du groupe, je préférai lorsqu'ils ne se perdaient pas sous leurs influences :)

Nickx said...

En fait, je crois que ce qui est reproché à ce groupe, c'est principalement son succès insolent ! Un succès qui dépasse....ajouté à une propension à décevoir live, pour ceux qui les ont vus - ce n'est pas encore mon cas !

Ce que j'ai entendu ne m'apparaît pas fondamental, et passera je pense, encore moins l'épreuve du temps que le 1er album, qui était surtout une suite de (bons) gimmicks, mais qui s'essoufflait dans la durée !

De la belle ouvrage de studio, de la part de deux jeunes blancs-becs plutôt doués ! 0n attend encore l'album de la consécration cependant !

Sinon Ju, je ne sais quand tu as écrit ton "brouillon", mais le 14/04, l'album était bel et bien sorti ! J'en tenais le vinyle fièrement entre les mains, la veille !

Benoit said...

je trouve que l'album se bonifie au fil des écoutes et, qu'une fois la déception passée de ne pas retrouver ce qu'on avait aimé dans le précédent, l'album vaut quand même le détour avec ce son 60s qui me rappelle un très bon album de l'année 2008 : The Last Shadow Puppets - "The Age Of The Understatement"

Ju said...

@ Metanoia : Merci !

@ Adrien : Moins surprenant ? Mouais, moi il continue de me surprendre à chaque écoute..

@ Nickx : Pour la date de sortie oui je m'en suis rendu compte après, mais ça faisait déjà tellement de temps que je l'écoutais sans jamais l'avoir vu dans les bacs. Maintenant c'est réparé puisque je me suis procuré la sacro saint vinyl en question hier après-midi !

@ Benoit : Je trouve aussi qu'il se bonifie avec les écoutes.. cependant je ne vois pas trop le rapport avec Last Shadow Puppets.. à la rigueur sur quelques passages galopants à cordes, mais pas plus..

A noter effectivement, je n'avais pas encore vu, que Pitchfork a mis la même note de 6.8 aux deux disques. Et j'aime plutôt bien comment ils finissent aussi leur papier : "They can write songs. Hopefully, next time they won't try to jam two dozen of them onto a nine-track album." C'est pas faux.

Nickx said...

Qu'est-ce que les gens de Pitchfork doivent penser alors des gens de Of Montreal ou bien de Todd Rundgren !

Adrien l'Anonyme said...

@ Ju : Quand je parlais de "surprise", c'était surtout au niveau du son : le 1er album "semblait" donner naissance à un groupe néo-hippie électro-pop (un truc dans le genre), un tant soit peu nouveau, le second est "juste" un album type prog-psychédélisme rétro (désolé pour les noms barbares... les étiquettes ne sont pas mon fort).

@Nickx : Je n'ai pas trop saisi le sens de ton commentaire, mais pour moi MGMT se rapproche plus de Todd Rundgren que d'Of Montreal... surtout par leur mauvais goût!

En fait ce que je reproche à MGMT c'est de jouer (plus ou moins) les Tarantino de la musique : recycler des bons groupes pour en faire un truc tiède et mou, qui fera dire à certains "tiens ça me fait penser à ça, quelle culture musicale ils ont!" ou encore "mmm 30 ruptures de rythmes/de mélodies/de tempo dans un morceau de 12 minutes, bravo!"...

Pour le coup Of Montreal avaient sorti un album vraiment appréciable dans une optique similaire (enfin du moins pour cette enchaînement de ruptures), la différence c'est qu'il était mille fois plus sincère et moins poussif que "Congratulations".

Nickx said...

Je m'en référais simplement à la citation de Ju concernant Pitchfork, à savoir cet art consommé de la pièce montée mélodique au sein d'un seul et même morceau !

Dont Todd Rundgren s'est fait en son temps le dépositaire !

Raoul Duke said...

D'abord merci. Merci de ne pas avoir sorti la chronique 'pilote automatique' qu'ont sorties la plupart des sites et blogs...blah blah...pas de singles...blah...suicide commercial...kids...ump...références beach boys...trop d'idées en même temps. merci d'avoir pris le temps d'écouter d'album, d'en faire un peu le tour.
Sur la musique je trouve que l'album mérite ses 4.5 étoiles, tourbillons d'idées brillantes et de chansons mémorables - meme si la derniere face (vinyl of course) est un peu bancale. Je trouve les gens très difficiles en ces temps ou dans le top 10 américain il n'y a pas un groupe de rock à guitare, que le prépubère Justin Bierber et la créature de synthèse lady gaga règnent sur le monde...alors bravo MGMT pour continuer à nous faire rever, à attendre le disque pendant des semaines, à acheter le vinyle le jour de sa sortie comme si on vivait dans les sixties. (je vous rassure je n'ai pas 60 piges). J'apprécie tous les challengers type animal collective et of montréal mais je trouve déséquilibré de leur coller des 10/10 à chaque sortie, quand mgmt fini avec 7 et quelques sur metacritic, soit moins que ...Beach House ..mouais...moins que Charlotte Gainsbourg (soyons sérieux).
Un post un peu long et un peu décousu, un peu siberian breaks quoi.

Nickx said...

On ne colle pas des 10/10 ou des 5/5 systématiquement !

Par ailleurs, on ne va pas (re)faire le faux-débat/procès aux Animal Collective : leur dernier album était une pure merveille que les MGMT ne sont pour l'instant pas tout à fait en mesure d'égaler !

Malgré tout le bien que je pense de ce groupe qui se fait démonter sous le fallacieux prétexte qu'il est hype !

Alors qu'il est aussi très talentueux ! Mais il lui manque encore ce supplémént d'âme...

Inès said...

"Meilleur que le premier ?" Possible, moi je l'adore en tous cas que se soit It's Working, Flash Delirium, Brian Eno, I found a whistle & Congratulation .
Très bon article !