18 mars 2015

The Four Seasons - The Genuine Imitation Life Gazette (1969)

Pour la majorité d'entre nous, les Four Seasons représentent ce groupe un peu formaté et légèrement daté, auteur en son temps de tubes doo-wop imparables tels que "Dawn" ou "Big girls don't cry". Et même s'ils ont écoulé des millions de disques, notamment pour le compte de la prestigieuse écurie Motown, l'histoire ne les a pas vraiment retenus. Mais en 1969 -année bénite-, en pleine mode des disques concept saturés d'arrangements plus alambiqués les uns que les autres, tout le monde veut faire son Sgt Pepper. Et The Four Seasons, aidés par Jake Holmes (à qui l'on doit le magnifique Watertown de Sinatra), réussit là où tant d'autres ont échoué. Malgré de bonnes critiques lors de sa sortie, The Genuine Imitation Life Gazette est un four commercial. Pire que ça, tout le monde l'a oublié. Et pourtant, bien heureux celui qui écoute aujourd'hui ce disque pour la première fois, et qui découvre sans s'y attendre, un ovni à classer non pas juste en dessous mais au même niveau qu'un Pet Sounds, Odessey And Oracle ou Their Satanic Majesties Request.


Et comme un grand disque ne vient pas sans une grande pochette, les Four Seasons ont tout donné avec un objet de toute beauté qui donne ses lettres de noblesse au format vinyle. Gros fold-out cover avec inner-page en sus assorti d'un journal de huit pages, on pourrait passer des heures à le parcourir sans jamais avoir tout vu. A noter d'ailleurs que cet effet faux journal a été le premier à inspirer Lennon pour son Sometime In NY City ou encore Jethro Tull avec Thick As A Brick. John Lennon qui était d'ailleurs un très grand fan de cet album.


Mais qu'en est-il vraiment de la musique? Profondément ambitieux, les Four Seasons emmenés par Frankie Valli (ici à son meilleur) dressent une satire de l'American Way Of Life à l'aide de structure symphoniques épiques et complexes, avec des harmonies vocales stellaires dignes des Beach Boys, grands maîtres en la matière. Le tout généralement couvert par un tapis de cordes, cuivres et effets de harpsichord, mais surtout des idées en veux-tu en voilà, à en jeter par les fenêtres, assez pour une carrière complète. En 45 minutes excessives, ces garçons là délivrent un chef d'oeuvre baroque de pop psychédélique largement sous estimé.


Quel titre aborder ici ? Tous les citer ne rimerait à rien puisqu'ils sont TOUS indispensables. Je ne parlerai que de mes coups de coeur. En tout premier, loin devant, ce morceau extraordinaire qu'est "Saturday's father", grande ballade hantée qui n'en perd pas une miette. Ultra lysergique et dramatique, le morceau d'apparence simple regorge d'harmonies en colimaçon, jusqu'à son final intransigeant. "Mrs Stately's garden" est un autre joyau en termes d'up-tempo jazzy façon Kinks. Enfin je garderai aussi le titre éponyme de l'album, complètement classe et épique, qui ne peut s'empêcher sur la fin de glisser du Beatles ("Hey Jude"). Rien à voir avec le reste de leur discographie mais totalement indispensable.

En bref : la note 5 étoiles a été inventée pour ce genre de disques, qui se comptent sur les doigts d'une main, et qui amènent une révélation à chaque fois qu'on les écoute. Tout simplement l'un des plus grands disques de son époque. De la Pop avec un grand P.




12 Comments:

Nickx said...

Avec leur physique d'hommes de main de Fantomas (la photo des vestes de chasse à courre), ces gens là étaient plus connus comme un orchestre ritalo-yankee sucré pas désagréable, et effectivement passablement délaissés des encyclopédies.

Alors qu'ils ont pondu l'imputrescible Beggin' et ont été rien de moins qu'introduits au Rock'n'Roll Hall of Fame et ce dès 1990, excusez du peu !

Cet album, véritable gemme, est à classer aux côtés d'autres merveilles cachées de l'an béni 69 comme L'? de Dick Rivers aussi baroque !

Et ce son là doit pas mal son tribut effectivement aux Beach Boys, je trouve d'ailleurs ce disque carrément supérieur à Pet Sounds qui n'a jamais été de toute façon mon BB préféré.

Ca sent la chine de nuit fébrilement exhumée des catacombes de Aux 33 tours ça ; un choix tout aussi original que fondateur.

M.Ceccaldi said...

je ne doute pas de la valeur de cet album, dont je ne connais que les morceaux postés par JU ; mais à la même époque, il y a un pur ovni qui à mon avis défonce tout, c'est Zappa et ses mothers.Une fois qu'on a écouté on évalue un peu tout différemment de cette période : Beatles, Stones (que j'apprécie), beach boys, n'arrivent pas à leur niveau d'écriture musicale et de maîtrise instrumentale.

Nickx said...

Pour ce qui est de l'écriture musicale, ne serait(ce que pour les symphonies de poche des Beach Boys et des morceaux les plus inventifs des Beatles, je pense que tu te fourvoies ; après s'il est question de maîtrise instrumentale louvoyant sur le jazz, évidemment....mais là on parle d'autre chose !

Et puis Zappa pouvait être chiant et démonstratif parfois, n'a pasfait que des bons disques, loin de là !

La vérité, c'est qu'il faut prendre ce disque des Four Seasons pour ce qu'il est : une madeleine pop à multi-couches, remarquablement arrangée et juste écoeurante comme il faut, des choeurs, des harmonies, des violons, des breaks comme s'il en pleuvait, à s'en repaître !

Je te suis quant à l'exigence de qualité, car moi-même j'ai tendance à devenir réac de nos jours, car 90% de ce que j'écoute me désole ou au mieux me divertit cinq minutes....mais gardons nous de devenir élitistes, car ce Four Seasons est très, très bon !

Tiens, un dernier exemple pour aller dans ton sens, même si tout le monde ne peut pas jouer free hein, et qu'il existe aussi du mauvais free !

Je n'ose le dire à mon camarade Jack Briggs qui le vénère, mais j'ai découvert le Trout Mask Replica de Captain Beefheart il n'y a pas si longtemps, et j'ai fait un effort surhumain pour mener l'écoute à son terme !

Et c'est un fan d'Ornette Coleman et des trucs les plus jusqu'au-boutistes de Sun Ra qui te parle...

M.Ceccaldi said...

Bien sûr beatles et beach boys ont su être inventifs, mais ils n'ont pas les mêmes moyens musicaux,une science musicale aussi poussée: science du rythme, des arrangements, connaissance de l'harmonie.ils ont fait de trés belles choses, mais ils n'incarnent pas pour moi un absolu musical comme Zappa : musique savante ET populaire/déconnante, musique écrite, ultraécrite ET plages de liberté pour l'improvisation inspirée (on ne peut pas dire que Zappa récite des plans tout faits quand il prend un solo), travail sur les voix, cohabitation de la musique contemporaine, du RNB, de la soul, amour des voix. Question maîtrise instrumentale, là évidemment y a moins polémique, ringo starr ne valant le quart d'un terry bozzio ou d'un vinnie colaiuta. J'aime les beatles mais j'admire zappa.

Ju said...

HIPHOP à son sommet de réactionnaire. Je ne vois même pas l'intérêt de parler de Zappa dans ce commentaire. Du genre "oui c'est pas mal ton truc mais mon truc est mieux"... Oui et alors ? Ou, non et alors ? J'aime aussi Zappa (il m'a fallu du temps, et heureusement que Hot Rats et Grand Wazoo m'ont ouvert la porte, parce que la plupart des trucs écoutés auparavant étaient d'un chiant inécoutable au possible) mais à quelle heure c'est un artiste populaire ? Combien de personnes sur cette planète peuvent citer ne serait-ce qu'un seul titre de Zappa? Sa moustache est populaire certes, mais pas sa musique.
Et puis oui, on a qu'à dire que MacCartney ne sait pas faire d'harmonies et d'arrangements lol.
Dans ce cas on attend tes chroniques.
Pour finir sur une bonne note, je me suis régalé cet après-midi à réécouter l'Incredible Dude de Shellac.
PS : rien à foutre de la maîtrise instrumentale, vive l'émotion !
( ;

M.Ceccaldi said...

eh bien mon cher ju
je ne suis pas réac puisque le réactionnaire pense que "c'était mieux avant", or là nous parlons d'une période historique trés précise (la fin des sixties), et je dis que certains groupes sont surévalués pour cette période (parce que ton post m'a évoqué cette tendance à la surévaluation de certains groupe, c'est tout, et non parce que four seasons ne vaudrait rien). si j'étais réac, je n'écouterai que la musique du passé, et pas dude incredible. il te suffit de regarder la disco de zappa sur discog pour te rendre compte du nombre de pressages et de versions pour chaque album, et tu verras que sa musique est savante ET populaire ; si zappa est perçu comme musique élitiste en France, ce n'est pas le cas aux states ; quand à la maîtrise instrumentale, elle peut virer à l'exhibition vide bien sûr (genre steve vai) mais elle est la condition nécessaire pour exprimer des émotions. et je préfère mille fois victims family aux ramones, messhuggah à motorhead : tu vois je compare ce qui est comparable.

Ju said...

Ok, tout est pardonné ( ;

Nickx said...

Pas tout à fait : je récuse toujours la supériorité présumée des Mothers, en terme d'arrangements, et de recherche de l'harmonie : tant au niveau vocal que des structures, les Beach Boys continuent d'enfoncer beaucoup de monde ; quant aux Beatles, les innombrables trouvailles de studio, allant du cri de la mouette à l'impro de l'orchestre philarmonique en plein morceau, lequel était l'assemblage de deux créations différentes, confine au génie ; et Tomorrow Never Knows et A Day In The Life ne sont là que deux exemples parmi plein d'autres !

Après, il y a aussi l'affaire de l'émotion dont parlait Ju, affaire éminemment subjective si elle en est, mais aussi celle de l'inventivité ne tenant pas forcément lieu de technicité - à ce sujet, tu conchies les Ramones, e tu t'enflammes pour les Melvins qui ne sont pas spécialement appréciés les uns les autres pour leur virtuosité !

Mais là n'est même pas le propos : Ju a été assez éclairé dans l'exhumation de ce chef d'œuvre des Four Seasons que peu de gens connaissent (absent des anthologies, tout ça !) ; et donc il s'agit là davantage d'un travail de réhabilitation que d'exacerbation d'une valeur sûre. Si le monde n'a pas besoin quon lui répète que Beatles, BB voir Zappa étaient géniaux, il a besoin qu'o lui rappelle de temps en autre qu'il existe des disques présumés petits qui peuvent arracher la tête.

Et ce Four Seasons en fait partie.

Scorcha said...

Merci Ju pour cette découverte :).
Des autres petits disques comme celui-là, c'est quand tu veux ^^.

M.Ceccaldi said...


avoir des discussions qui s'éloignent un peu de l'intention première du post, je trouve ça trés intéressant.
il me semble qu'il y a plusieurs manières d'être musicien, et je ne veux pas faire mon prof de philo, mais le qualificatif de "génie" ne se résume pas à un synonyme de "très très très bon".quelqu'un qui compose une musique trés riche, qui arrange pour toute sorte de configuration (jusqu'au Big Band genre grand wazoo), qui chante,qui adopte la forme groupe puis la dynamite en cherchent à s'entourer des meilleurs musiciens, en exigeant le meilleur d'eux mêmes, sur des dizaines d'albums, qui sait improviser sans replacer des vieux plans entendus mille fois, qui est aussi à l'aise dans le RNB, la soul, le hard rock, le doo wop, la musique expérimentale, la musique contemporaine ultra chiadée, le collage sonore, qui sait tromper son monde en proposant des chansons pop entrelardées de breaks vertigineux qui feraient aujourd'hui cauchemarder le meilleur des musiciens s'il devait les jouer, qui sait aussi composer des chansons toutes simples renversantes (uncle remus), des opéras, qui a 1500 disques de blues chez lui mais qui s'inspire des Varese et Stravinsky, qui est capable de jammer avec archie shepp, roland Kirk..et.... pierre
Boulez, ben je dis que y en a pas beaucoup des gars comme ça. et je ne retrouve pas ça chez les scarabées et les garçons de plage.
que j'adore, sauf qu'il faut jeter quand même la moitié de la discographie ! personne ne me fera écouter les beatles avant rubber soul, pour moi c'est du même niveau que des comptines pour enfant en tonalité majeure IV/V/I "pipi caca".
Quand au ramones, je les aime beaucoup tu vois,parce que j'aime le punk sous toutes ces formes, ils savent faire des chansons, comme dirait Ungemuth, mais c'est tout : ce sont vraiment des brêles mais qui ont su faire quelquechose de leur faible moyen musicaux. quand aux melvins, c'est vrai que les derniers albums sont plutôt un peu bourrins et moins intéressants, mais écoute ozma, bullhead, lysol, houdini, stonerwitch, hostile ambient takeover(le top!), et tu m'en diras des nouvelles.
en tout cas, exhumer de chouettes/géniaux( comme on voudra) disques, c'est vraiment intéressant, que ce soit four seasons ou zigzag.

Nickx said...

Ok avec ça.

Mais tu noteras qu'il n'a jamais éré question de labelliser les Four Seasons "génies", ou même Brian Wilson ou qui on voudra qu'on adore ici ; le thème est sans doute un peu fort, et dans un art que Gainsbourg avec un peu de cynisme décrivait comme mineur, le nom de Bach correspond davantage à l'idée qu'on se fait d'un génie !

Après, et ceci n'est pas une charge contre Zappa qui est et restera effectivement un artiste important de son temps doublé d'un mec admirable qui a plus que soutenu les artistes metal, les Dead Kennedys et autres lorsque ceux-ci croulaient sous la censure, les génies peuvent être chiants et abscons parfois.....et le Zapp n'a évidemment pas échappé à la règle !

Je ne me suis pas remis de l'écoute de Trout Mask Replica, je crois...

Nickx said...

Non mais je sais ça, j'en parle dans le 3ème post du sujet :) : Trout Mask Replica est un album de Captain Beefheart, probablement le plus connu d'ailleurs !

Comment ne pas évoquer le Captain alors que lui et Zappa étaient comme des frères, ont enregistré sur les mêmes labels, participaient incestueusement aux séances de l'autre, et avaient une démarche bruitiste, basée sur l'impro et parfois la cacophonie similaire !

L'œuvre de Zappa est beaucoup plus riche et variée bien entendu.