06 juillet 2013

Omar-S - Thank You For Letting Me Be Myself (2013)

Pour tout prospecteur d'électronique qui se respecte, Alex "Omar" Smith figure parmi les incontournables de l'Underground. En un peu plus d'une dizaine d'années, il s'est imposé comme un pape dalleux des bas-fonds, dont les sorties sont (presque) aussi attendues que la fumée blanche au Vatican. De son Saint-Siège à la Motor City, ses productions sont autant de bulles que son label FXHE se charge de diffuser. Avec pour seule religion celle du "Be Yourself", Omar-S ne sera jamais que lui-même. Et ne fera jamais rien d'autre que du Omar-S. Chacun de ses morceaux fait l'objet de cette même structure dépouillée de tout ornement et de superflu. Parce qu'il se défend de faire dans l'esthétisme - il a publié bon nombre de ses vinyles en White Label, sans indication apparente dessus -, on peut facilement deviner qu'il se fout totalement de l'étiquette. On ne peut cependant objecter que sa musique ne relève d'aucune astreinte particulière. Entre house et techno analogique, ses productions sont le plus souvent austères et minimalistes, et semblent profondément ancrées dans le territoire de Detroit.


La musique comme une ascèse. Thank You For Letting Me Be Myself n'échappe pas à la règle. Dans ce nouvel opus entièrement dédié à ses fans, Omar-S prend au mot ceux qui lui conseillaient de "rester lui-même", de ne pas changer sa manière de concevoir et de produire de la musique. Alors que bon nombre de ses confrères tentent de faire évoluer leur style avec le temps, Omar-S refuse encore toute sorte de compromis. On a pu néanmoins entrevoir ces derniers temps une légère évolution - des vocaux et des instrumentations - notamment avec la participation de la chanteuse L'Renée sur l'excellent maxi SEX ou encore aux manettes du tout aussi excellent Tonight d'Aaron "Fit" Siegel. Le monolithe Omar semblerait finalement avoir accepté de mettre un peu d'eau dans son vin. Un excellent choix puisque ces deux maxis figurent parmi les meilleurs. Omar-S a donc décidé de s'ouvrir légèrement plus et de faire partager ses connaissances et savoir-faire avec des invités qui le lui rendent bien. C'est avec le plus grand plaisir qu'on a eu la chance de voir apparaître dans ses productions de légères touches de soul et un rendu funky qui ne se laissait que très peu entrevoir pour ses auditeurs. Les productions FXHE étant généralement assez exigeantes.

Omar-S ne se situe pas dans le commerce du produit fini. C'est comme si ses morceaux étaient autant de pierres rares - de qualité inégale - qu'il conserverait dans un état brut. Il revient à l'auditeur d'effectuer le travail de l'artisan, celui de polir, chasser les impuretés et de donner une forme finale à l'objet livré par le producteur. C'est peut-être en cela qu'il est si difficile d'appréhender le travail du personnage. Généralement, lorsqu'on lance un titre ou un album d'Omar, on est un peu déconcerté. C'est sale, peu avenant, râpeux, peu ou prou produit. Une écoute au casque est fortement recommandée : il ne respecte aucune convention et ne fait aucun effort pour se faire entendre par quelqu'un qui ne connait pas son travail au préalable. Il est de la même manière extrêmement difficile d'expliquer pourquoi on aime (ou pas) ses morceaux. La musique d'Omar-S est profondément hermétique. Elle se situe tout à l'inverse de l'immédiateté. Inintelligible si l'on a pas passé un maximum d'écoutes dessus. Cela faisait d'ailleurs plusieurs mois que j'avais à disposition cet enregistrement sans pouvoir en venir à bout. Et il faut encore que je m'y reprenne aujourd'hui.


Si les principaux reproches que l'on peut formuler à son égard sont, entre autres, que sa musique est parfaitement chiante, je ne peux m'empêcher de penser que ces critiques négatives relèvent purement et simplement de l'incompréhension. Sans aller jusqu'à défendre la moindre de ses productions - dont certaines m'ennuient aussi terriblement - on ne peut cependant que saluer sa démarche d'auto-production et son indépendance. Musicalement, il est vraiment difficile d'écouter et d'apprécier, par exemple, "I Just Want" en entier à moins d'être défoncé au crack, de côtoyer les rats d'égouts et de passer ses nuits dehors enveloppé dans un carton puant posé à même une bouche d'aération de métro. C'est peut-être pour cela qu'Omar-S reste aussi peu compréhensible. Il est l'illustration sonore de ce que nous cherchons à cacher. La misère, la pauvreté, la galère, la honte aussi. La réussite au final. Faire tourner un vinyle d'Omar-S chez soi reviendrait à inviter dans son appartement une sorte de Boudu transatlantique qui viendrait dérégler nos habitudes coutumières et bourgeoises de nos sociétés développées. Omar fait peur. Il n'en a rien à faire. Il continue son bonhomme de chemin sans se préoccuper du regard qu'on porte sur lui et son travail.

Il faut se rendre à l'évidence. Les sons qu'il utilise matérialisent l'univers dans lequel il évolue. Si je ne suis, pour ma part, jamais allé à Detroit, il existe suffisamment de reportages, photos, vidéos, et d'écrits pour se représenter le niveau de vie général de la ville. C'est pauvre, suintant, délabré, rouillé, décrépit, à l'abandon. Le chemin inverse de l'American Way Of Life. Sa musique est un slang en elle-même. Les titres des morceaux de l'album parlent d'eux même : "Ready My Black Asz", "Thank U 4 Letting Be Myself", "Be Yoself", etc. Il ne me semble pourtant pas nécessaire d'être noir, d'avoir fait de la prison et d'être accro à la meth pour apprécier Omar-S. Comme s'il le fallait pour apprécier le rap. Ce qui rend son approche difficile, c'est que contrairement aux rappeurs, il n'utilise pas de mots. Seulement des sons. Alors pas la peine de scanner l'album dans son ensemble. Je ne m'arrêterai que sur les morceaux qui m'ont vraiment interpellé. Les deux premiers : "The Shit Baby" est pour moi l'une des plus belles réussite de l'album. Et aussi un des morceaux qui s'éloigne le plus de son style habituel. La première minute est plutôt brutale. Un beat sec auquel se superpose une ligne de basse cradingue et là, magie... Un certain D. Taylor touché par la grâce vient plaquer ses accords sur un Yamaha CP-1 pour un morceau qui entre directement dans mon top 10 de l'année. Le deuxième, "Thank U 4 Letting Be Myself", est du pur Omar-S. Un ligne rythmique simplifiée au maximum. Quelques claviers qui arrondissent les angles et un orgue sorti de nulle part qui confère au morceau une dimension quasi-religieuse. Le dernier, qui conclue également l'album, est "It's Money In The "D"". Une petite merveille. Section rythmique plus que présente, où seules quelques légères nappes s'entremêlent avec finesse.

En bref : s'il n'est vraiment pas facile d'appréhender Thank You For Letting Be Myself, il s'inscrit comme l'un des grands albums de cette année. De même, Alex "Omar" Smith mérite également de figurer parmi les grands producteurs d'électronique actuels et que l'on s'intéresse à sa musique de plus près.









3 Comments:

Nickx said...

Le titre fait méchamment écho à Sly and the Family Stone !

Cyril said...

Rien que pour CP-1Played... je vais me prendre le vinyle et écouter cet hermite musicien, ou ce musicien hermite ...
Merci pour la découverte!

phil blogue la music said...

c'est hyper minimaliste.
J ai pas l'habitude.