07 juin 2007

Leadbelly - Blues & folk singer (2004)

La mythologie folk américaine est riche en icônes. Parmi eux, Huddie William Ledbetter, plus connu sous le nom de Leadbelly, contribua indéniablement à façonner les traits du « folk singer », héros musical du 20e siècle. Quelques années avant Woody Guthrie et Pete Seeger, en véritable père-fondateur.

Sa musique est profonde, viscérale. Elle chante la ségrégation, la misère et le quotidien des petites gens. Une complainte pleine de noblesse et lustrée par les années, mais un artiste néanmoins difficile d'accès. Par la rareté de ses disques d'une part mais aussi par leur rusticité d'autre part. Hormis les austères Library of Congress recordings, peu d'enregistrements de qualité sont réédités aujourd'hui. Blues & folk singer, sorti en 2004 dans la série « sagablues », palie ce manque avec la compilation d'une vingtaine de titres de l'artiste de Louisiane. Des chansons remasterisées à Paris, dans le Art & Son studio, et qui couvrent la période 1935-1946. A la fois plongée dans l'histoire américaine et retour aux sources de la folk music.

On ne peut évidemment parler de Leadbelly sans évoquer son parcours personnel mouvementé, indissociable de son identité folk. Le monsieur naît dans une plantation près de Mooringsport en Louisiane dans les années 1880. Sa date de naissance est par ailleurs sujette à caution, certains avançant 1888, d'autres 1889. Bref. Il prend rapidement son indépendance et vivote de sa guitare et plus occasionnellement de ses bras sur les chantiers. Le bonhomme est réputé vantard et bagarreur. En 1918, il est condamné à 20 ans de prison pour avoir tué un homme au cours d'une échauffourrée. Il en sortira sept ans plus tard, la légende racontant que sa libération était due à une chanson écrite au gouverneur du Texas, Pat Neff. Retour à la case prison en 1930, pour Ledbetter, cette fois-ci pour tentative de meurtre. L'homme n'est pas un tendre, loin de l'image romantique et mélancolique des chanteurs folk de la seconde moitié du vingtième siècle. C'est par ailleurs en prison que Leadbelly est découvert par deux musicologues : John et Alan Lomax. C'est ainsi que les premiers enregistrements du singer voient le jour, grâce à un équipement mobile de la Bibliothèque du Congrès. En 1934, l'artiste est gracié, suite à une pétition remise par les Lomax au gouverneur de Louisiane.

Dès lors, Leadbelly se consacre pleinement à la musique et emménage à New York, chapeauté par les deux frères producteurs. Il enregistre avec l'American records corporation mais ne rencontre pas le succès. Le registre blues imposé par le label lui sied mal. Chronique ordinaire de sa vie, en 1939 le chanteur est à nouveau emprisonné pour violences. A sa libération, il découvre une scène folk new yorkaise bouillonnante et se lie d'amitié avec Guthrie et le jeune Pete Seeger. Dans la première moitié des 40's, il livre ses meilleurs titres pour le compte de RCA puis de Moe Asch, qui créera le fameux Folkways records, et multiplie les collaborations avec des jeunes pousses en devenir. A son actif, de nombreux « hits » qui exerceront leur influence sur des générations de chanteurs folk, rock, pop et country. On peut citer notamment « Goodnight Irene » (qui sera repris par le groupe de Seeger, The Weavers), « New Orléans (House of the rising sun) » et encore « Where did you sleep last night » (repris entre autres, faut-il le préciser, par Nirvana).

La liste des artistes ayant trouvé inspiration dans le répertoire de Leadbelly ne saurait être exhaustive mais on peut signaler, en passant, Creedence Clearwater Revival (reprise de « Midnight special »), les Rolling Stones (avec leur emprunt à « Bourgeois blues »), The Animals évidemment, Johnny Cash, Mark Lanegan et même la Mano Negra (reprise de « Rock island line »). Sans oublier toute la garde du folk US de Seeger, qui écrivit une chanson sur Leadbelly, à Dylan.

Couvrant une décennie d'activité du chanteur (1935-1946), Blues & folk singer offre une gracieuse porte d'entrée vers l'univers de ce « nasty guy du folk ». Le disque est découpé en deux parties. La première regroupe des travaux aux intonations blues et, sans surprise, s'intitule « The bluesman ». Quant à la seconde, la plus intéressante à mon goût, elle réunit des morceaux plus folk sous le titre « The songster ». On retrouve ainsi « Rock island fire », « Midnight special », « Goodnight Irene » et « Where did you sleep last night ».

Le son est suranné mais noble et chaleureux. Indubitablement estampillé « Lousiane », expression de la fierté et de la condition d'un peuple oppressé. Ainsi en témoigne « Take this hammer », chant de la servitude nègre qui nous renvoie inmanquablement à des images cinématographiques (à défaut d'autre chose), dans la lignée du film O'Brother des frères Coen ou du Ragtime de Milos Forman. La voix de Leadbelly communique l'émotion à merveille dans des mélopées fortes en intensité et en humanité. Du « folk roots » si l'on peut dire. La partie instrumentale est éthérée comme le veulent les canons de la musique folk. Accompagnement en second plan de la guitare du chanteur et ponctuellement incursions d'un accordéon ou d'un harmonica.

Pas nécessairement un disque facile d'écoute donc, mais une vraie curiosité pour qui s'intéresse à la musique folk et n'est pas réfractaire à un petit voyage dans le temps. Blues & folk singer, compilation d'une vingtaine de titres du mauvais garçon du folk Leadbelly, donne à comprendre et regroupe les faits d'armes les plus significatifs de l'artiste. L'occasion de réaliser que son nom s'inscrit en lettres dorées dans la grande Histoire de la musique.

fab.

Deux titres intéressants sur radioblog : « Rock island line » et « Where did you sleep last night ».



1 Comment:

Ju said...

Encore une note sacrément intéressante pour l'ami Fab qui repasse en tête de gondole chez les amis de babylone. Et dire que je n'avais jamais entendu ce nom... Ce sera une très bonne occasion pour moi de faire le lien avec le folk plus moderne que j'écoute en ce moment.
La bise.