22 février 2019

Mercury Rev - Bobby Gentry's The Delta Sweete Revisited (2019)

Les esprits taquins diront que Mercury Rev ose tout et que c'est à ça qu'on le reconnaît. Car enfin il en fallait du cran et c'était un pari casse-gueule que de revisiter dans son entier le 3ème des 7 albums précieux de Bobbie Gentry, chanteuse auteure compositrice du mythique sud américain.

Avec une petite entorse toutefois : "Louisiana man" a été laissé de côté au profit du classique du premier album de la dame à la voix d'or, l'incontournable "Ode To Billy Joe", popularisé (plutôt bien) par chez nous par Joe Dassin.

Bon, l'entreprise n'en est pas à son coup d'essai ; et l'on dénombre nombre de tentatives bien plus farfelues parmi lesquelles Let It Be rejoué en slovène par le groupe Laibach, Petra Haden qui reprenait a capella Sell Out en assurant vocalement jingles et parties instrumentales (!). Ce que fait ici le groupe de Buffalo n'est donc pas l'exercice plus iconoclaste qui soit.

Sauf que pour rendre justice au merveilleux chant rauque et sexy de Bobbie, il fallait faire appel à une chanteuse "qui en a", ou plutôt qui en ont. Vu que Jonathan Donahue et Grasshopper les deux éminences grises de Mercury Rev ont ainsi enregistré autant de chanteuses qu'ils ne proposent de chansons revisitées. Grâce à  Dieu, on a évité Charlotte Gainsbourg qu'il est très trendy de convoquer depuis les années 00. Mais plein d'autres sont à l'honneur donc, des anonymes et des choix plutôt curieux, on pense notamment à Laetitia Sadier (Stereolab) qui n'est pas connue pour ses talents prononcés de vocaliste. Et dans un album forcément inégal dont l'intérêt n'est pas de rivaliser avec les interprétations historiques, elle est l'une de celles qui s'en tirent le mieux avec ce "Mornin' glory" tout de sobriété qu'elle s'octroie.

L'intelligence de ce disque (et ses limites), c'est de voir Mercury Rev totalement s'effacer de l'entreprise en dehors des arrangements luxuriants dont on le sait coutumier. On en est donc parfois à se repaître uniquement de ces nouveaux arrangements aériens qui rendent souvent justice à des chansons à l'origine imparables, en déployant leur musicalité. On pense notamment au magnifique chant de Norah Jones sur "Okolona River bottom band" d'ouverture. Et l'on est surpris - enfin si on peut dire - par l'exceptionnelle intensité que confère la divine Hope Sandoval à "Big boss man". "Courtyard" compte également parmi les autres réussites du disque ; il est ici interprété par la trop rare et précieuse Beth Orton.

L'auditeur pourra en revanche se montrer beaucoup plus circonspect face au traitement ampoulé qui échoit au classique "Ode to Billy Joe" livré par Lucinda Williams, unique rajout (raté) à cette relecture de The Delta Sweete.

Ce qui ressort donc de cet exercice de style, c'est l'audace du duo de Buffalo qui sait généralement rhabiller des chansons à l'origine déjà achevées et arrangées avec classe. Et de ce qui restera un album mineur dans sa discographie, on saura gré à Mercury Rev pour cet hommage de fans qui permet au plus grand nombre de se repencher sur le legs musical troublant de l'énigmatique Bobbie Gentry dont on est sans nouvelle depuis la fin de sa carrière.

En bref : il faut prendre cet inattendu opus pour ce qu'il est : un exercice de style qui en dépit de moments faibles sait rendre justice au formidable répertoire de l'une des fiancées du sud américain.

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