24 janvier 2016

The Ex/Getatchew Mekuria - Moa Anbessa (2006)

Ça fauche sévère en ce moment, entre Galabru, Boulez, Lemmy, Bowie, le mari de Céline Dion, eh oui, la faucheuse n'a pas toujours bon goût. Quand certains font toujours la même chose sans intérêt pendant 50 ans ("the ace of spaaaaades"...), d'autres se réinventent presque à chaque instant, et c'est bien la cas de The Ex. Groupe hollandais anarchopunk des années 80, The Ex aurait pu rester dans l'ombre des squats, mais c'est bien le contraire qui s'est passé. Musiciens de haute volée, ils traversent les années hardcore avec des albums classiquement mais brillamment ancrés dans l'anarchopunk à la Crass, puis font des choses de plus en plus originales (il faut écouter Pokeherrie), jusqu'à vriller complètement à la rencontre des musiques non occidentales et plus particulièrement du jazz éthiopien moderne des années 60, celui sous le charme duquel est tombé Jarmush pour la BO de Broken  Flowers. Désormais, ils donnent régulièrement des concerts en Éthiopie et terminent leurs tournées en laissant aux musiciens locaux leur matos. La classe, non?

En 2006, ils enregistrent ce disque avec Getatchew Mekuria, "the king of ethiopian saxophone". Cette musique a quelque chose d'improbable et d'un peu miraculeux : des petits blancs hollandais nourris de musique tonale et de quatre temps exécutent à la perfection une musique modale, rythmiquement très éloignée de leurs habitudes, en groovant aussi bien que les locaux, et sans jamais renier d'où ils viennent. Un mélange singulier de groove africain, de gammes pentatoniques typiquement éthiopiennes, de guitares punks nerveuses, et de textes parlé/chanté avec un accent anglais parfait. Mekuria est aux anges avec ses copains punks, et peut nous offrir cette sonorité magnifique nourri d'un vibrato assez unique, qu'on ne retrouvera sur aucun enregistrement Blue Note, ces phrases incroyables qui ne sortent jamais des cinq notes de la gamme, et qui sont pourtant infiniment complexes et expressives, toutes choses qui ont fait sa gloire à la belle époque.

On peut écouter le tube "Musikawi Silt", une diablerie rythmique sur trois temps, où la plupart des attaques sont en l'air, le truc à donner des cauchemards au jazzeux moyen. Il faut au moins le degré de maîtrise d'un Secret Chiefs trio pour oser une reprise qui claque ; ça devient "Safina" sur l'album Book M, une version électro-funk, qui ose un chorus de violon et un magnifique break. On est sous le charme de la ballade "Sethed Sekeletat", sa drôle de gamme mineure qui évite systématiquement la septième, son break bizarre qui mange un temps; sa mélodie poignante, son solo de guitare déchirant, son texte métaphysico-pas du tout éthiopien. "Eywat Setena fegagn" nous plonge au plus profond de la jungle africaine, comme si le rêve blanc avait l'occasion de s'exprimer à plein, avec la caution du noir. Les soufflants s'en donnent à coeur joie et rivalisent de virtuosité pour rendre les cris animaux et les bruissements les plus envoûtants. C'est Duke Ellington qui est jaloux.

La rencontre The Ex/Mekuria c'est comme Robinson avec Vendredi chez Tournier (RIP) : c'est le "sauvage" qui initie le blanc à une autre vie.


En bref : on savait que le jazz éthiopien moderne c'était la tuerie (Compilation Éthiopiques, Mulatu Astatké, etc.). mais le jazz-anarchopunk éthiopico-hollandais c'est carrément la boucherie !





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