26 juillet 2025

Collection D'Arnell-Andréa - Villers-Aux-Vents (Février 1916) - 1994

Lorsque Jean-Christophe D'Arnell et Chloé Saint-Liphard créèrent cette escouade à l'intitulé en apparence alambiqué au début des années 90, se doutaient-ils que leur musique traverserait son époque et que forte d'une quinzaine d'albums elle resterait ainsi vivace près de quatre décennies plus tard ? D'autant que leur complice Pascal Andréa également du voyage et dont le patronyme serait le seul legs devait rapidement les quitter avant d'avoir même enregistré et de s'être produit en concert.
Et qu'accessoirement la musique pop en France mis à part Kat Onoma était peu propice aux sentiers non battus, condamnant de fait le groupe à vivoter dans une niche.

Si Collection D'Arnell-Andréa n'est pas devenue un best-seller et a tous les dehors de la formation culte, le groupe originaire de la région d'Orléans a même en se faisant rare écumé les scènes européennes et a recueilli les faveurs du Melody Maker  ; ce qui n'est pas rien. Le son de ce collectif inclassable à l'occasion septuor est souvent assimilé à la scène dark wave et son art se prête aussi bien à une pop mâtinée de symphonique que de gothique : la voix d'elfe habité de Chloé étant pour beaucoup dans le son du groupe. Mais pas seulement. Car dès ses débuts Jean-Christophe D'Arnell démiurge en chef et fan de......rock gothique - il voue un culte à Siouxsie And The Banshees et à Cocteau Twins, influences palpables -  ainsi qu'à des compositeurs fin 19ème tels Debussy ou Fauré, a échafaudé une cathédrale sonore autour de ses claviers et synthétiseurs dont un fidèle DX21. Tout en entremêlant ces sonorités plus organiques et plus chaudes d'alto ou de violoncelle, omniprésent dans la patte sonore unique de CDAA, et tenu très tôt par Xavier Gaschignard. On ne peut s'empêcher de penser évidemment au duo mythique australien Dead Can Dance auquel le groupe  a souvent et parfois abusivement été comparé. Autre influence avouée.

D'Arnell et ses complices sont obsédés par Dame Nature et aiment bien conceptualiser leur art. C'est au détour d'images stéréoscopiques sur la Grande Guerre qu'émerge l'idée du très dense 4ème lp qu'est Villers-Aux-Vents (Février 2016). Visions de tranchées; de corps déchiquetés, de terrains de bataille qui donnent jusqu'à leur nom aux chansons ("Verdun" ou l'extraordinaire "Le Chemin des Dames auquel Chloé confère une intensité à donner le frisson). Les paroles poétiques (des rimes à tous les étages) sont quasi exclusivement rédigées en français ; ce qui est à mettre au crédit du groupe. Mais à la vérité, on se surprend tout comme avec Cocteau Twins à percevoir la voix lead féminine comme un instrument psalmodiant et faisant partie du mix. L'effet conjugué du chant et du ton sépulcral est particulièrement envoûtant sur le titre d'ouverture '('Les cendre-lisières") devenu rapidement l'un des points d'orgue des concerts. Tout comme "L'aulne et la mort" ; ces deux titres sont à eux seuls annonciateurs d'une rythmique beaucoup plus rock et rentre-dedans que sur les longs formats précédents de CDAA. Les ambiances solennelles et recueillies sont toujours de mise et "Le chemin des Dames" en est un parfait exemple mais que dire du funèbre "L'ornière" :

 "Ainsi nous ressemblons / aux profondes ornières / Exode sillage des âmes et des cris / Soldats marchant recrus aux furtives frontières,  / "L'assaut, les baïonnettes, la troupe sans vie." Beau et glaçant.

Collection D'Arnell-Andréa a réussi ce tour de force de ne jamais reproduire un disque à l'identique, alors même que sa musique est profondément estampillée et frappée du sceau gothique et lyrique. Cirses Des Champs (1996) qui lui succède emprunte ainsi un tour plus folk. Quand The Bower Of Despair (2004) inhabituellement chanté en anglais reviendra par exemple aux ruades rythmiques de Villers-Aux-Vents (Février 1916). Mais si les réussites de la discographie de CDAA sont nombreuses, difficile de revenir à autant de fièvre que dans ce recueil pas très poilant certes mais divinement poilu.


En bref : à la fois gothique, symphonique et avec un son rock plus acéré qu'à l'accoutumée, ce disque de Collection D'Arnell-Andréa est en vérité un objet inclassable empreint de poésie et de lyrisme. Fascinant.

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25 juillet 2025

Comet Gain - Letters To Ordinary Outsiders (2025)

On est presque étonné voire déçu que le couple qui orne la pochette de ce très beau 10ème album de David "Feck" Christian (hors projets annexe et solo) ne soit pas celui mythique à la scène comme à la ville de Carole King et Gerry Goffin. L'une des plus mythiques paires de songwriters du Brill Building. D'abord parce que ce choix eût été raccord avec le reste de la discographie lettrée et référencée du sextet de David Christian. Ensuite parce que le visuel reproduit jusqu'à la maquette et les teintes d'une compilation  de la dame.
Enfin, parce qu'avec Comet Gain à travers les indices semés par son démiurge, tout est toujours à l'avenant du bon goût des gloires passées.


Lorsque commence l'aventure en 90 avec l'excellent Casino Classics (1995), probablement l'une des pierres angulaires d'une ample discographie - citons aussi City Fallen Leaves (2005) - le groupe à géométrie variable de David Christian devient très vite l'un des secrets les mieux gardés du Royaume-Uni. On devine sans peine que John Peel en est gaga. Tout ce qui est paria, derelict, artiste culte plus ou moins installé dans le coeur du public se voit cité, choyé par le groupe lui-même chouchou d'une cohorte de fidèles qui même dans la confidentialité ne lui fera jamais défaut. C'est Dan Treacy le leader abîmé des Television  Personalities (excusez du peu) qui rédige les notes de pochette de ce premier disque. Par la suite et comme s'il s'interdisait de devenir populaire ou plus sûrement assumait son intégrité artistique d'outsider, Christian n'aura de cesse de crier son amour à d'autres héros tels que Roky Erickson ou plus près de nous Robyn Hitchcock ou Julian Cope.
En guise de bilan, l'artiste qui vit désormais à Bordeaux avec sa compagne Anne Laure Guillain qui officie aux claviers, délivre à ses fans tout au long de 2024 des chansons comme autant de chroniques nostalgiques sur les rêves évanouis. L'auto-dérision est évidemment de mise. La plupart figurent sur Letters To Ordinary People  et sont enrichies d'autres témoignages  ; et cela donne ce magnifique album. Témoignage, le mot est adéquat puisque quasi chaque titre se voit entrecoupé d'un interlude de présentation où David s'adresse à un interlocuteur de ses connaissances. Ce sont deux notes entêtantes de piano qui ouvrent et reviennent tout au long de la très mélancolique "The ballad of the lives we led" où l'amour fait office d'épiphanie. Les chansons naviguent entre une pop indé délicieuse rehaussée à l'occasion de "trompettes indés" ("If they can't find the way then there's no way out". Beau comme du Michael Head  ; un autre héros. Forcément. 
"Beat of the veins" est l'incartade pop endiablée avec choeurs à l'unisson : pas forcément le titre le plus représentatif de l'album mais destiné néanmoins à faire une carrière honorable en single. La chanson "odd" de l'album avec "Ashtray cult", ode aux freaks des cimetières qui sonne comme un inédit de Jon Spencer.

Dans "We were paintermen" David Christian rend hommage à d'anciens acolytes musicaux et non il ne s'agit donc pas d'une citation mod envers The Creation, l'une de ses marottes. Officiellement... "Threads!" est un hilarant name-dropping vestimentaire aux illusions dandy perdues, son "Dedicated follower of fashion" à lui. Sur cette chanson, Christian évoque vocalement et pas qu'un peu Conor Oberst (Bright Eyes) quand artistiquement le morceau évolue en territoire The Fall. De même lorsque le chanteur est suppléé, c'est Rachel Evans l'une des plus anciennes membres du groupe qui s'y colle. Notamment sur les superbes "Yeah, it's a wonderful life, but there's always further you can fall" (ces titres !) ou les deux sentiments-clés de l'album, espoir et esprit désabusé sont conviés. Il y a aussi "Buildings", l'un des fleurons de Letters....Sur ces deux titres, on ferme les yeux et c'est la veine tendre et surannée de Ray Davies qui nous étreint une nouvelle fois par le truchement d'un organe offrant une troublante similitude de timbre avec Eleanor Friedberger des Fiery Furnaces. "Danbury road" emprunte le même chemin Kinksien.

Qu'un groupe fût-il l'oeuvre d'un seul homme trace ainsi son chemin sur plusieurs décennies force le respect. Intégrité et songwriting affirmé - car David Christian est un conteur, de la race des grands - sont  sans doute la clé des oeuvres marquantes. L'Histoire saura rendre justice à ces héros ordinaires.


En bref : deux décennies célébrées par l'un des secrets les mieux gardés du rock indé britannique. Et l'un de ses magnifiques fleurons songwriters David Christian. S'il y avait un groupe que personne ne connaît à sauver...

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14 juillet 2025

The B-52's - Whammy! (1983)

Le 4ème long format des B-52's prend les fans à rebrousse-poil. Essentiellement acoustique jusqu'alors, le quintette d'Athens fort des hits revisités de Party Mix!  (1981), va en effet se piquer au jeu du synthétique. L'une des raisons principales étant le parti-pris du batteur Keith Strickland qui s'est lassé de son instrument et souhaite s'orienter davantage vers les synthés et la guitare. Celle-ci et on y revient, est encore tenu par le fabuleux Ricky Wilson, musicien adepte du less is more, au jeu et aux accordages inclassables. Ce dernier s'est fait connaître avec ses acolytes, son pote Keith,  sa soeur Cindy (chant) et Kate Pierson (chant, claviers) et Fred Schneider (chant parlé).

Le quintette le plus camp de la galaxie - les choucroutes des filles, leurs frusques improbables,  les membres tous queer excepté Cindy - ont déjà triomphé via deux précieux premiers albums plus communément appelés le jaune et le rouge ; comme l'on disait naguère le bleu et le rouge pour les deux compilations multiplatinées des Beatles. Sur le rouge intitulé Wild Planet et qui est peut-être son sommet créatif, les B-52's créent cette musique hybride faite de rock and roll fifties et de pop hédoniste. Les voix souvent à l'unisson de Cindy, enfantine et suraiguë,  et de Kate plus grave, chantent d'irrésistibles hymnes d'inspiration comics SF mâtinés de textes de séduction aussi bien soumis que mutins. Et tout ce petit monde gesticule sous le son aigrelet du Farfisa tenu par Kate. Pas de solo, pas de saturation inutile, l'esprit de danse et de fun est ce qui prévaut.
Après le semi-échec de Mesopotamia (1982) l'album précédent produit par David Byrne, un certain nombre de titres laissés sur le carreau lors de ces sessions sont remis en jeu pour Whammy!
Pour les raisons évoquées, la rythmique devient principalement synthétique et on en a un aperçu dès "Legal tender" qui chante la gloire de la contrefaçon de billets de banques. Le rythme est assez lent mais comme toujours avec les B-52's, assez lascif. Est-ce l'influence vaudou du studio de Nassau où est enregistré le disque ? En tout cas, "Whammy kiss" qui célèbre l'envoûtement par le baiser "whammy" devient très vite un autre classique du groupe. Tout comme l'hilarant "Song for a future génération" où en vrai geeks de culture trash, les membres du groupes se présentent tour à tour sous des atours de créatures SF. "Trism" a également ses airs futuristes bien que l'on ne sache trop s'il ne s'agit pas en fait d'une simple achronie. Pas besoin de chercher trop loin sur l'odyssée en absurdie de "Butterbean, envoyée au taquet avec la guitare twang tourbillonnante de Ricky. Que l'on retrouve également sur l'une des autres réussites de l'album (elles sont nombreuses) "Queen of Las Vegas" et son déchirant "Dont leave me..." asséné par Cindy.
Pour le reste, un inhabituel instrumental pour clôturer l'album ("Work that skirt") et une reprise plutôt anodine d'un morceau de Yoko Ono ("Don't worry") mais toujours plus écoutable que l'original et voilà le contenu d'un disque peut-être un peu trop passé sous silence mais l'un des favoris du groupe et qui mérite sans aucun doute d'être réévalué. Pour des raisons contractuelles, "Don't worry" sera retiré des futurs pressages et remplacé par "Moon 83", remix d'un morceau emblématique du premier album ("There's a moon in the sky")

Whammy! est aussi hélas le dernier album auquel participera intégralement le génial Ricky Wilson. Ce dernier atteint du syndrome HIV décédera brutalement deux ans plus tard et alors que l'excellent Bouncing Off The Satellites (1986) est en partie écrit. Raison de plus si besoin était,d'apprécier son jeu minimaliste et unique sur cet hymne clubbien qu'est Whammy!

En bref : le baroud d'honneur in extenso des B-52's dans leur mythique formation originelle. De la SF à gogo et des chansons délirantes toujours animées de l'esprit fun et danse du popotin des Fab Five d'Athens.

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09 juillet 2025

Death In June - But, What Ends When The Symbols Shatter? (1992)

Dans le grand chapelet de terminologies musicales, le terme "folk" a souvent été malmené voire affublé d'extensions absconses. Passe pour la scène acid-folk de Frisco encapsulée par Jefferson Airplane dans la bascule des seventies ; mais quid de la scène antifolk US du début des années 2000 qui désignait une espèce de punk acoustique certes, débraillé et lo-fi. Et que dire du courant neofolk de la décennie précédente.....de la folk sans doute mais plus blafarde et austère qu'autre chose ; en tout cas que vient faire le préfixe "neo" là-dedans. Dont acte.

Lorsque Douglas Pearce crée l'entité Death In June au début des années en compagnie de deux acolytes dont il se séparera très vite, sa musique est celle d"une synth pop industrielle très mélodique entre Cabaret Voltaire à son plus martial et...Depeche Mode à son plus primesautier. A partir de The Wörld Thät Sümmer (1986), tout est consommé et l'ancien punk anarchiste du groupe Crisis se retrouve seul aux manettes de son "groupe" phare, occasionnellement secondé par son complice David Tibet de Current 93 ; nous y revenons. Dorénavant, Death In June sera en outre largement associé à la scène gothique.

Il faut revenir sur le contexte sulfureux autour du groupe et de la personnalité de son leader. Déjà ce patronyme qui bien que son créateur s'en défende mollement fait référence à la Nuit des longs couteaux, synonyme de purge Hitlérienne envers ses opposants nazis. Mais Joy Division n'avait pas fait autre chose en s'affublant d'un nom dédié aux bordels das camps de la mort. La comparaison avec le légendaire groupe mancunien ne s'arrête pas là puisque dans cette 7ème oeuvre considérée comme la plus aboutie de Death In June, une statue issue d'un complexe sportif celui-là issu du Foro Italico de Rome, orne la pochette.
Douglas Pearce est un personnage torturé , connu pour ses outrances revendiquées : uniformes et decorum renvoyant à l'esthétique nazie, obsession pour les écritures runiques, une homosexualité exacerbée et assumée, la part sombre de l'homme, la guerre.... Cette dernière sert d'ailleurs de champ lexical à nombre de textes très noirs de But, What Ends When The Symbols Shatter? comme par exemple "The giddy edge of light". Les "disappointment", "dust", "sorrow" (l'admirable et hanté "The golden wedding of sorrow") abondent. Les guitares folk cristallines uniques sont désormais la marque de fabrique de Pearce sur ses disques, qui ne lésine pas ici sur les effets sonores et sur certaines enluminures de cuivres et de cordes qui lui confèrent une patine onirique. L'autre versant auditif du cauchemardesque masque de carnaval vénitien dont s'affuble le musicien très tôt dans sa carrière.
Les références littéraires et musicales abondent : Stuart Pearce reprend 4 musiques et textes d'une communauté gospel au destin mortifère mais on souhaite bon courage à quelque musicologue que ce soit de trouver la moindre ressemblance avec l'oeuvre du People's Temple's Choir dans la religiosité de "He's disabled", "The morning bench", "Because of him" ou "Little black angel".


Passé l'odeur de soufre de notre homme qui s'offre deux parenthèses aérées et presque primesautières avec son complice de toujours David Tibet chanteur lead sur "Daedelus riding" et "This is not paradise", But, What Ends When The Symbol Shatter? amène des moments réellement enchanteurs - les notes tristes du piano de "Death is the martyr of beauty", 'The golden wedding of sorrow", "Ku ku ku" (non il ne s'agit pas du  sinistre KKK), "Hollows of devotion", le morceau-titre... Il faut donc faire fi de l'influence forcément Maurassienne présidant à l'oeuvre de guerre de T.S. Eliot infusée ici. Afin de se délecter de cette musique totalement obsédante et belle. Dont le crescendo final vers son locked groove n'est pas sans rappeler à nouveau......... Closer.

Flirter avec le Diable et en payer le prix de la censure ? Séparer l'homme de l'oeuvre ?  Il n'en a jamais autant question ici.

En bref : le parcours tortueux et sujet à caution d'un ex-ponte de la synth pop vers des territoires folk plus apaisés. On peut faire abstraction de la poésie et des textes très sombres de Death In June et reconnaître sa beauté à cette folk magnifiquement austère.

 



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04 juillet 2025

Sibylle Baier - Colour Green (1973 / 2006)

Il est des découvertes affolantes et qui ne sont aucunement usurpées par le cliché de l''artiste culte. D'ailleurs jusqu'en 2006, Sibylle Baier, musicienne amateur et actrice à ses heures, n'est pas encore une artiste culte puisqu'elle est une parfaite inconnue.
C'est en furetant dans le grenier de ses parents en 2004 que  Robby son fils musicien et producteur de son état, découvre des bandes magnétiques. Piqué de curiosité il les joue et découvre une bonne dizaine de vignettes chantées par la douce voix de sa maman. 
Le monde ébahi ne va pas tarder à découvrir Sibylle Baier.

Artiste aux multiples facettes, baignant dans un environnement ad hoc - son défunt mari était également saxophoniste et flûtiste - Sibylle Baier a un jour une épiphanie. A peine âgée de 20 ans et rendue singulièrement maussade par une morne journée de février dans son Allemagne natale, elle décide de tout plaquer et à l'instigation d'une amie, d'entreprendre une itinérance. Ce qu'on appellerait aujourd'hui un burn-out la mènera entre autres destinations en France. Rassérénée et apaisée, Sibylle immortalise ce jour de cafard en enregistrant seule chez elle avec sa guitare sa première chanson "Remember the day". Elle sonne les prémices de ce qui deviendra des années plus tard Colour Green ; soit 13 gemmes  guitare / voix toutes plus lumineuses les unes que les autres ; la quatorzième et dernière chanson de l'album (fabuleuse "Give me a smile") sera la seule à être  arrangée a posteriori -  sans doute par Robby -  avec force cordes et orgue. Toutes enregistrées entre 1970 et 1973. On entend encore le chuintement de la bande.

Les textes des chansons sont d'obédience domestique et ainsi emplis de quiétude ; qu'il s'agisse de promenades avec enfants au zoo ("Softy") ou de tricot ("Colour green"). Si l'on devait décrire la musique enchanteresse de Sibylle Baier, l'on pourrait évoquer les rêveries d'une Linda Perhacs, autre artiste folk culte, les enluminures psychédéliques en moins. Les chansons ont parfois des toniques très grave (le do# en dessous de la 6ème corde pour "Softly", ré# pour "William) ; les tonalités les plus utilisées demeurant si, do ré et sol#, principalement jouées en arpèges avec parfois des ruptures étonnantes ("Colour green"). Le reste des chansons parfois complexes ("Says Elliott", "Girl", "Wim" - un hommage à Wenders ?) est à l'avenant.  Pour les aficionados du metteur en scène, on peut apercevoir Sibylle Baier faire une douce apparition dans l'admirable Alice In Den Städten" (Alice Dans Les Villes), road-movie audacieux sorti en 1974 et absolument pas touchy malgré son sujet (Philip écrivain paumé, recueille Alice une gamine facétieuse et parcourt avec elle l'Allemagne pour la ramener chez elle). Sibylle y interprète la passagère du ferry qui fredonne alanguie "Softly" à 1'26''-1'27'' devant Alice et un autre enfant ravis.
La suite, on la connaît : Robby exhume les bandes et n'était un titre, les retouche à peine. Il les offre à sa maman à l'aube de son soixantième anniversaire. Stuttgart est déjà loin ; celle-ci ayant migré depuis lurette dans le Massachusetts, les chansons enfouies dans son inconscient. Plus aucun souvenir du journal intime mis en musique. 
L'un des quelques CD pressés atterrit dans le giron de........Jay Mascis (!) le leader de Dinosaur Jr. qui subjugué, entreprend de répandre la bonne parole. Le disque sortira finalement sur Orange Twin Record en 2006 avec également un premier pressage vinyle rapidement épuisé sur le label Isota.
Ce disque devenu classique sur le tard connaîtra et c'est heureux maintes rééditions.

En dépit des sollicitations, Sibylle Baier n'a pas donné suite à son maître coup d'essai et n'a jamais accepté non plus de tourner. Reste ce témoignage qui à l'écoute ne peut que nous faire frémir à l'idée que sans l'opiniâtreté d'un fils, la beauté sépia de Colour Green serait à jamais restée dans les limbes.

En bref : un choc. Un disque OVNI découvert et publié sur le tard par une artiste rare et précieuse.  Une voix de velours, des accords graves et des mélodies vague à l'âme belles à pleurer. On ne ressort pas insensible d'un tel disque pour lequel on remercie Robby, le fils initiateur du projet.



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