20 décembre 2021

Gabriels - Bloodline EP ( 2021)


Si on ne glorifiera pas l'anglais parlé fantaisiste et limite Druckerien des animateurs de Nova, on ne les remerciera en revanche jamais assez pour leur rôle de passeurs et défricheurs du son. Ainsi pour ce combo improbable né en 2020 et dont l'officine créée par le grand Bizot se fit bien entendu l'écho.

Comme il en a été souvent question dans moult projets récents, Gabriels (référence non Biblique mais se référant plus communément à l'adresse postale d'un des membres du trio) réussit le crossover inattendu. Là on tenait l'aréopage voisin et également angeleno des DJ et musiciens d'Unloved. Ici, deux producteurs et vidéastes, Rayan Hope et Ari Balouzian associés à un chanteur de métier même si issu de la télé-réalité, Jacob Lusk.

Ce dernier dirige sa propre chorale de gospel et a été crédité vocaliste sur des disques de Beck ou Diana Ross. Il faut essayer de s'imaginer un Cee-Lo Green bis, une espèce de colosse aux mains d'argile, un Baby Huey de la cause Black Lives Matter. Car la question Noire est ici omniprésente et la raison d'être de ce troublant projet. Troublant pour ce qu'il renvoie à nos peurs d'être ostracisé ou de cautionner par notre appartenance ethnique une toujours nauséabonde hégémonie blanche.

Dès le 1er EP, (le magnifique "Love and Hate in A Different Life") une photo pastel de la grand-mère de Jacob ornait la pochette. Le titre d'ores et déjà devenu classique se verra clipper sous la forme d'un petit court-métrage qui développe cette soul habitée en un prêche communautaire en extérieur mais pacifique. 5 titres-écrins sous tapis de cordes, vibraphones et choeurs angéliques.

Sur le petit nouveau, Jacob Lusk se met en scène visuellement ; et ses deux compagnons blancs lui concoctent un habillage sonore rêvé : encore ces cordes enchanteresses, enveloppées de clarinette et brisures de vibraphones ("Bloodline"). De cette voix tremblée, on pense jusqu'à une version fantasmée et masculine de Nina Simone sur le magique "Blame". Dans lequel les mots vibrants du chanteur  ("Not a slave if I'am already free /.....Who's gonna catch me if I fall down") font résonner un chorus : celui d'un organe plaintif et chaleureux jusqu'aux plus arides croisements du Delta blues. Une leçon. Probablement la chanson la plus arrangée, quand c'est l'épure qui pour l'essentiel ("Innocence", son tremolo de cordes et ses deux notes obsédantes de piano) dicte l'ensemble.

On n'ose imagine déjà ce que cette nouvelle sensation soul majestueuse donnera sur le long format. Ce que l'on sait cependant, c'est que peu de chanteurs Noirs depuis Franklin James Fisher (le frontman d'Algiers) se sont ainsi livrés et mis à nu sur un terrain politico-ethnique. On attendra tout en espérant ne pas voir le vibrant trio se fracasser en plein vol sur l'autel des grandes scènes qui l'attendent déjà pour triompher. Même si on conçoit à grand peine qu'un tel supplément d'âme puisse y laisser la sienne au contact de la notoriété.

En bref : un nouveau venu sur la scène soul-gospel militante. Un trio impromptu emmené par un vocaliste d'exception et habité. Qui reprend les choses où les maîtres du blues Delta les ont laissées.

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