11 novembre 2012

Pitchfork Music Festival - Paris, 2 et 3 novembre 2012


En mauvais élève qui n’aurait pas bien lu sa bible Pitchfork, je commence fort : rater la soirée d’ouverture et la première journée d’un festival qui cherche à s’imposer en rendez-vous européen incontournable, au même titre, mais dans une moindre échelle, que Primavera à Barcelone. Mais rassurez-vous, DODB était présent pour les deux journées les plus alléchantes de l’événement, les vendredi 1er et samedi 2 novembre derniers. 


Alors, Pitchfork en version festival, ça donne quoi ? Une Grande Halle de la Villette élégamment aménagée, une bulle où l’euro n’a plus court, monnaie obsolète remplacée par un système de jetons gris fractionnables valant le double de leur valeur unitaire apparente (non, la bière ne coûte pas deux euros…). Ce sont deux scènes qui se font face, mais où jamais les concerts ne se chevauchent, provoquant des phénomènes de marées régulières, à contre-courant desquelles il est difficile de nager (non, la part de tarte aux légumes, ce sera pour plus tard). Ce sont également des tote bags Rough Trade à ne plus pouvoir les compter, vendus en masse au stand de la boutique du même nom, juste à côté de celui des Balades Sonores, et en face des vendeurs de bijoux, entre lesquels on entend aussi bien parler anglais que suédois… 

Un instant… nous devions parler musique, n’est-ce pas ? C’est que l’on n’a pas vraiment eu le temps de parler d’autre chose pendant ces deux jours, tant les concerts se sont enchaînés à un rythme effréné. Mais ce planning pied au plancher a ses revers, et l’on se retrouve souvent à devoir tristement grignoter les quelques miettes, comprendre quarante minutes, du concert d’un-e artiste ou groupe que l’on aurait bien vu jouer une heure et demie (bon sang, Chromatics). 

Vendredi 2 novembre. Après les mièvreries soul de Jessie Ware, c’est avec Wild Nothing que débute véritablement la soirée. Les cinq garçons jouent une new-wave teintée de shoegaze propre et carrée, en soi tout à fait irréprochable, mais malheureusement trop scolaire et appliquée pour réellement marquer nos esprits. À l’opposé, le folkeux The Tallest Man On Earth réussit l’exploit de tenir en haleine, seul sur scène, une assemblée de plusieurs milliers de spectateurs. Contre toute attente, le son est très bon (le cadre n’était pas évident pour ce genre de performance). La finesse des mélodies résonne dans toute la Halle, et le jeune suédois s’adonne à un touchant jeu de cache-cache émotionnel. Mais on n’a pas vraiment le temps de s’en remettre, il faut directement enchaîner avec le concert de The Walkmen, au set toujours aussi élégant et tendu. 
Puis arrivent Chromatics, dans un contre-jour bleuté qui leur sied à merveille. Les morceaux de Night Drive et Kill For Love ont été quelque peu revus pour la scène ; des beats plus lourds et plus marqués sont venus restructurer leur architecture. C’est dommage, on perd un peu de la tension et de l’indicible sentiment de danger qui émane de leurs productions studio. Frustré par la courte durée de leur set, on s’amusera de la réponse de Robyn aux contraintes de temps : la star suédoise ouvre son concert par un medley inattendu et jouissif avant d’offrir une heure de dance pop généreuse, touchante et efficace. Après cela, ceux qui voulaient continuer à danser devront repasser le lendemain, car Fuck Buttons, avec leurs lourdes machines, font le choix d’asséner des coups de marteau dans les jambes des spectateurs, tandis qu’Animal Collective, malgré la débauche de moyens scénographiques et quelques échappées mélodiques réjouissantes, ne parvient pas à éviter un certain ennui. 

Samedi 3 novembre. La ponctualité me fait à nouveau défaut et j’arrive pile pour le début du concert de Cloud Nothings. Cheveux longs et chemises à carreaux : même pas besoin de fermer les yeux pour se croire en 1993. Le groupe décline les huit morceaux de son très bon album sorti l’hiver dernier, en prenant le temps d’étirer les passages instrumentaux dissonants dans lesquels il développe davantage sa personnalité. À propos de personnalité… voici venir Twin Shadow, dont les ambitions musicales semblent n’avoir plus de limite. À l’image de son second album, le concert de l’homme et de son groupe est kitsch et ampoulé. On atteint même le sommet du ridicule lorsque, à l’occasion d’"At my heels", morceau pourtant très élégant sur disque, mais affublé ici d’une risible rythmique disco, il demandera aux spectateurs de faire tourner leur chemise dans les airs, comme d’autres les serviettes… 
Heureusement, Liars sont là pour nous faire oublier ça. Sur scène, le matériau électro de leur excellent dernier album WIXIW est pris à bras le corps. Radicaux jusqu’au bout, ils ouvrent leur concert à coups de beats tonitruants. Caché derrière ses cheveux, Angus Andrew a une présence incroyable. Il profère ses paroles tel le gourou d’une secte dont nous serions les adeptes en transe. Il y a cependant une véritable dynamique de groupe chez Liars. C’est un triangle à géométrie variable, qui termine le meilleur concert du festival avec l’obsédant "Broken Witch", qui ouvrait They Were Wrong, So We Drowned, leur album de 2004. En termes d’intensité, Liars est très vite rejoint par le groupe qui les suit, Death Grips. Le duo, composé d’un batteur et d’un MC, est animal et impressionnant. Les paroles aboyées sont inaudibles ; du chant, il ne reste plus que le flow. Le dispositif est minimaliste, et pourtant le son occupe tout l’espace. On se prend des claques sans temps mort, si bien qu’après quarante minutes, on les supplierait presque d’arrêter. Le groupe jouera une heure. 
Après ça, on comptait sur Grizzly Bear pour nous reposer sur des chansons de coton. Mais lorsque débute le concert, on se dit que c’est raté. Le son est énorme, la batterie est saturée. L’ambiance a du mal à se mettre en place, mais quand, à mi-concert, le tempo ralenti, c’est le temps qui semble se suspendre, comme les lampes qui se meuvent, méduses célestes, au fond de la scène. Le reste de la soirée propose un dancefloor géant jusqu’à six heures. Mais pour moi, le festival s’achève ici, dans la grâce et la délicatesse d'un groupe qui m'a convaincu de réécouter son dernier disque.


Crédit photos : Vincent Arbelet

1 Comment:

M.Ceccaldi said...

beau reportage sur un festival que j'ai raté d'un poil
les liars m'avait impressioné quand je les avais vus en 2009, leur dernier album est effectivement excellent (voir la chronique de Treviv)
et death grips sur album ça donne quoi ?