25 mai 2012

VA - Personal Space : Electronic Soul 1974-1984 (2012)

L’émergence des synthétiseurs et des boîtes à rythmes bon marché, qui a si profondément chamboulé le punk et la musique britannique en général en installant la culture du Do It Yourself,  n’a pas épargné la soul et le funk. On sait comment Sly Stone, Shuggie Otis et bien d’autres ont intégré avec succès ces nouveaux outils à leurs productions, au début des 70s. On connaît moins ceux qui, dans leur sillage, enregistraient sur des 4 pistes dans le secret de leurs chambres à coucher, de leurs caves ou de leurs cuisines, un peu partout sur le sol américain. Sorti par Chocolate Industries et Numero Group, Personal Space : Electronic Soul présente le travail de certains de ces illuminés plus ou moins anonymes qui tentaient, avec un matos des plus rudimentaires, de reproduire les orchestrations des grands noms de l’époque ou traçaient, qu’ils en soient conscients ou non, de nouvelles voies pour la musique électronique. Une partie du plaisir que procure cette compilation provient d’ailleurs de l’écart entre ce qu’ils voulaient probablement produire et le résultat final.


"I finally found the love", de Jerry Green (dont la voix ressemble à celle de Cee-Lo Green), en est un bon exemple. Ce qui était pensé comme une chanson d’amour poignante est finalement devenu, par la grâce de claviers un peu trop cosmiques et d’un beat métallique presque brutal, un ovni complet sonnant parfois comme de l’électro à la Herbie Hancock. Idem pour la voix de Deborah Washington (la femme du bluesman Albert Washington) sur "Shortest Lady", tellement distante et empêtrée dans son écho qu’on ne peut décemment pas penser qu’il s’agit d’un effet volontaire.

Le plus souvent, ces approximations et erreurs de production confèrent un caractère mystique à ces compositions. Il arrive aussi qu’elles les rendent quasi-inaudibles, comme c’est le cas de "Bleeding Wound", de The New Year, un blues trippé où une voix criarde et saturée de reverb hurle "Ecstasy !" A l’opposé, certains morceaux sont d’un dépouillement total, certainement dû à des limitations techniques, mais qui leur donne une grande modernité et un côté très chill, à l’image des premier et dernier titres, "Excerpts From Autumn" de Jeff Phelps et "Time To Go Home" d’Otis G. Johnson, dont l’ambiance rappelle les géniaux XL-30 et Pling ! de Shuggie Otis, justement datés de 1974.

L’intérêt d’une bonne moitié des 17 plages dépasse donc la simple curiosité et le témoignage historique. Entre les odyssées spatiales surchargées de synthés de Guitar Red et Starship Commander Woo Woo, l’incroyable "Money" de Spontaneous Overthrow, malsaine à souhait, et "It’s All Over" de T. Dyson & Company qui sonne comme du Funkadelic lo-fi, on tient là une belle collection de titres bancals, maladroits, sans grande homogénéité, mais sacrément barrés et appréciables.

Sélectionnée par Dante Carfagna, DJ, critique (pour Wax Poetics notamment) et archiviste à l’origine d’autres compiles (Midwest Funk, Chains & Black Exhaust…), Personal Space s’adresse avant tout aux curieux et aux crate diggers, déjà familiers avec les travaux des grands noms de la soul et du funk, et qui souhaitent aller plus loin dans leur connaissance de la black music. Le disque comblera aussi les amateurs de disco cosmique et baléarique, de minimal wave, les fans du Prince des eighties, et plus généralement tous ceux pour qui l’étrangeté est un critère décisif en matière de musique.

En bref : une passionnante - bien qu’inégale - collection de curiosités soul conçues par des anonymes américains au moment où l’usage des machines se démocratisait, permettant à n’importe qui de se rêver en Shuggie Otis ou Sly Stone.




Les sites des labels Chocolate Industries et Numero Group

Spontaneous Overthrow – Money.mp3



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