11 novembre 2015

Allen Toussaint - Southern Nights (1975)

                      1938-2015

Les grands noms de la soul et du R&B sont certes moins âgés que les (rares) légendes du blues ou du jazz qui subsistent ; mais hélas ils ne sont guère plus nombreux en 2015.

Depuis le 10 novembre 2015, Allen Toussaint a rejoint les Marvin, Curtis, James, Isaac, Gil, Solomon ou autres Bobby passés de l'autre côté. Le jour de sa mort, il venait de donner un concert à Madrid.


Petit rappel, Allen Toussaint, pianiste virtuose et compositeur doué s'affirme assez tôt comme l'incontournable pygmalion des artistes de sa Nouvelle-Orléans natale. Grand homme de sessions, il apparaîtra et orchestrera une quantité importante d'œuvres du Bayou parmi lesquels on compte Dr John, les Neville Brothers et les fantastiques Meters, ce groupe funk-pop instrumental qui le lui rendait bien, en l'accompagnant dans ses efforts solo.

Assez curieusement Allen Toussaint ne s'est jamais envisagé comme artiste soliste légitime : refusant la mise en avant qu'impose le statut de frontman, ne se trouvant pas assez bon chanteur, et préférant de loin l'ombre des arrangements feutrés aux projecteurs de la notoriété, le divin pianiste ne s'accommodera pendant longtemps que de la parution de The Wild Sound of New Orléans, publié en 1958 sous le nom de .... Tousan. Collection de stompers frénétiques et martelés et quasi uniquement instrumental, le disque mit en exergue le savoir-faire de notre homme. Dont la carrière sous son nom resterait lettre morte.... jusqu'en 1970.

Incité par ses amis à réitérer sous son nom, Allen Toussait qui ne sortirait qu'une dizaine de LP's studio, parmi lesquels le très apprécié The River in Reverse (2006) coécrit avec Elvis Costello, lançait la trentaine bien sonnée Toussaint en 1970, remarquable collection de chansons engagées et à la douce ironie, dans laquelle le swing souple de son interprétation, son très agréable timbre au grain peu black finalement, allait s'inscrire comme l'une des œuvres majeures de son auteur, celui d'une cohorte de disques noirs incontournables à l'orée de la décennie princière. Suivrait le formidable Life Love and Faith (72) et quelques remarquables autres pépites sur Warner.

Dont ce Southern Nights, qui est un peu son épiphanie désabusée sur un mode écolo, humaniste tels le positionnement de grands manifestes comme What's Going On, Innervisions ou Surf's Up. L'âge d'or des 70's a vécu, et en 1975, le premier choc pétrolier, le Watergate, le Vietnam sont autant de traumas prégnants dans la culture américaine.

Des maux de son époque, période militante si elle en fut, Southern Nights se fait sans doute l'écho. Sorte de concept album tant par ses aspects formels que par son propos, et ponctué d'interludes (fillers) annonçant la mélodie du morceau-titre, le 4ème (ou 3ème c'est selon) album du pianiste interprète est un régal de production chatoyante mais qui sait faire sobre : de la pop/soul (car Toussaint n'est jamais à l'instar des Meters "que" soul, il est pop) de "Back in Baby's Arms" reminiscent du "With a Little Help From My Friends" revisité par Cocker,  au tendre et suranné "Last Train" d'ouverture qui renvoie au leitmotiv des Kinks et de leur Village Green.

Toussaint compose, joue de son instrument fétiche et chante superbement, impeccablement soutenu par l'infernale rythmique Nocentelli/Modeliste des "Funky" Meters. Les instruments de rigueur d'époque, les dulcimer, clavinet et autre Fender Rhodes sont évidemment de la partie, ainsi que la voix de l'artiste éventuellement moulinée à la Leslie. Notamment sur la magnifique ode aux rêves perdus qu'est "Southern Nights".

Le reste de l'album fait la part belle aux chansons d'amour, et ne dédaigne pas ici ou là tel chorus de saxophone, dans un mood New Orléans, et donc assez éloigné de celui des Stars 80.("Last Train, "Basic Lady").

Il a assez été mis l'accent sur l'absence de "négritude" dans la musique d'Allen Toussaint, celle-ci transcendant aisément les genres : que ce soit dans la tessiture, ou bien dans le matériau sonore, on ne se situe ici jamais trop loin des œuvres sunshine pop telles qu'en produisaient les meilleurs des compositeurs du Vieux Continent : Paul Mc Cartney, et il n'est pas le seul, a dû plus souvent qu'à son tour aller s'abreuver à la source mélodique du regretté Allen  Toussaint.

En bref : l'album sunshine pop ultime de l'un des plus discrets mais néanmoins essentiels artistes noirs étalons du R&B américain.



"Southern Nights" :



Une version unplugged, live et ultérieure du même "Southern Nights" :


3 Comments:

Ju said...

Merci pour l'article ! Je ne pense pas avoir déjà écouté celui-là, mais je me suis régalé en début d'année avec Life, Love and Faith !
Bises

oncille said...

ça me fait plaisir que tu chroniques Allen Toussaint
je connais juste un disque de jazz new orleans qui sonne super moderne, on croirait sur certains morceaux entendre du tom waits (d'ailleurs Ribot joue
dessus), ce mec a un super toucher quand il joue le blues.

Nickx said...

C'est le moins que l'on puisse dire ! Son premier album sans titre est une tuerie aussi !
Et dire que ce mec privait le monde de ses œuvres solo, car il n'aimait pas sa voix.....dans le même temps, rappelons que Bruel trouve spirituel de persévérer dans la chanson et de reprendre Bowie.
L'assoà Toussaint-Costello à Fourvières reste un grand moment live ....d'ailleurs je retourne à Lyon voir Kurt Vile, bises!!!