31 mai 2009

DJ Koze - Mrs. Bojangles (2009)

Stefan Kozalla est un petit plaisantin, coutumier des ruses de sioux et des surprises stylistiques, et par conséquent complètement imprévisible. Pour son premier maxi de l’année, le Hamburgeois nous revient plus joueur et intransigeant que jamais avec deux collages radicaux et humoristiques, sur le toujours excellent label parisien Circus Company. Ne vous attendez donc pas à une house facile et immédiatement fonctionnelle : comme souvent, il vous faudra une certaine persévérance et quelques écoutes pour entrer dans le monde psychotique de DJ Koze.

Lui qui avait remixé l’hymne anti-minimal de Matias Aguayo persiste comme par provocation dans un registre dépouillé à l’allemande. Mais là où 90% des productions actuelles brillent par leur manque d’originalité flagrant, il parvient à un degré d’étrangeté ahurissant en brisant la linéarité du genre. Dans son communiqué de presse, Circus parle d’une rencontre entre Sun Ra et le clubbing. Pour une fois, la proposition est assez pertinente ; il y a indéniablement quelque chose du grand jazzman chicagoan dans la méthode de travail de Koze, qui laisse une grande place à l’aléatoire et préfère certainement les travaux de démolition à la maçonnerie.

Le bien nommé “Dr Fuck (The Drunken Preacher)” livre sa version du prêche house, exercice devenu classique depuis le “I can feel it” de Mr Fingers AKA Larry Heard. On est plus proche ici du côté vicelard de certains vieux morceaux acid-house de Chicago comme “Flash” de Green Velvet ou “Where is your child ?” de Bam Bam. Pitchée très bas, une voix de pervers déclame un monologue à la gloire de la house music, sur un beat lent et malsain qui cultive en vain l’attente d’une explosion. La suite n’est qu’une succession de tintements de casseroles, de verres, et de phrases free-jazz au Bontempi... On se demande bien quel dancefloor barré pourrait se déchaîner sur ce track lent, sombre et bizarroïde.

Un poil plus accessible,”Mrs Bojangels” n’en est pas moins tordue, avec ses voix extra-terrestres passées à la moulinette et ses nappes ascensionnelles. A l’écoute de ce morceau, on imagine bien Koze en savant fou, dans un studio qui aurait l’air d’un laboratoire, maniant les sons comme autant d’éprouvettes, à la recherche de la formule du bonheur chimique.

En bref : une paire de collages expérimentaux qui suscite deux remarques. 1/ DJ Koze est l’homme en forme de la techno allemande. 2/ Ce type devrait être interné.



A lire aussi : DJ Koze - Reincarnations (The remix Chapter 2001-2009)

Le site et le Myspace de DJ Koze
Le site et le Myspace de Circus Company



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25 mai 2009

Baby Face Willette - Face to Face (1961)

Roosevelt "Baby Face" Willette est un artiste dont la trajectoire suscite de nombreuses interrogations. Sa courte apparition dans la première moitié des années 60 ressemblerait fort à ce phénomène lumineux qui accompagne l’entrée dans l’atmosphère d’un corps extraterrestre laissant derrière lui une traînée lumineuse, si, filant et éphémère, il n’était pas nécessaire de scruter le ciel étoilé d’une nuit d’été pour espérer l’apercevoir – encore moins de formuler un vœu à son apparition. Vaporisé en moins de temps qu’il n’en faut pour ne laisser que quelques débris (quatre albums) encore fumants sur le sol, il demeure l’un des organistes les plus énigmatiques des cercles de jazz.

Mort en 1971 pour des raisons indéterminées, son parcours ressemble à celui de beaucoup d’autres. Il fait ses premières gammes au piano poussé par une mère musicienne puis perfectionne son apprentissage sur l’orgue de la paroisse de son père. À la fin de son adolescence, il commence une carrière professionnelle dans des groupes de gospel et de rythm & blues qui le conduisent à voyager, non sans tracas financiers, à travers l’Amérique du Nord pendant plus d’une quinzaine d’années. Lorsqu’il décide de se tourner vers le jazz, à la découverte des enregistrements de Charlie Parker, il trouvera dans l’orgue le moyen d’accomplir sa nouvelle vocation en mêlant ces influences musicales acquises au long de ses tournées.

L’année 1961 est l’une des plus productives pour l’organiste. Alors que ce dernier achève deux collaborations avec le saxophoniste Lou Donaldson (Here ’Tis) et le guitariste bluesy Grant Green (Grant’s First Hand), Blue Note lui offre l’occasion d’enregistrer une double session en tant que leader. Espacée d’à peine quelques mois, elle aboutira sur la sortie des albums Face to Face, et Stop and Listen (réédités en 2007), que beaucoup considèrent comme son meilleur enregistrement. Pourtant la première pièce ne saurait être négligée tant elle est représentative du style de Willette lorsqu’il se retrouve devant ses claviers.


Si le "babyface" désigne le "gentil" sur le ring, mieux vaut ne pas se fier aux apparences. Surnommé ainsi à cause de sa figure d’adolescent mystique (il est alors âgé de 28 ans), la maîtrise percussive de son instrument, l’orgue Hammond B-3 – rendu populaire par le titan Jimmy Smith, a pu recouvrir à l’insuffisance de son endurance. L’ouverture sur "Swingin' At Sugar Ray's" dé-note la singularité de cet organiste qui joue comme un pianiste. Loin de s’appesantir sur de larges nappes doucereuses, il détache chacun des sons qu’il alterne avec des phrases courtes et sèches, se contentant d’aller à l’essentiel. Un jeu assez proche du "single notes" de son guitariste, Green, qui ne fait que confirmer toute l’étendue de son talent sur le morceau éponyme.

Mais Willette sait aussi caresser son public. S’il se montre parfois impulsif, son tempérament le pousse à la discrétion et s’efface pour laisser plus de place à ses coéquipiers. Fred Jackson, au saxophone ténor, adoucit l'atmosphère par ses phrasés langoureux sur "Going Down", tout comme sur la reprise de "Whatever Lola Wants" qui prend une envergure plus sensuelle. Ce même titre où Willette, empli d’une ferveur quasi-religieuse, écrase les touches de son clavier au point d’en faire sortir un cri désespéré. Avant de retomber sur un ton plus guilleret et sautillant.

En bref : Face to Face condense tout le talent d’un artiste largement sous-estimé à cause d’une maigre discographie. Pas vraiment révolutionnaire mais doué d’une extraordinaire énergie qui aurait dû lui réserver une place au soleil, au côté des plus grands.





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Outrageous Cherry - Supernatural Equinox (2003)

Pourquoi celui-là me direz-vous ? La discographie du groupe underground de Detroit est pourtant bien pourvue, et j’aurais pu vous parler du petit dernier Universal Malcontents. Oui mais voilà, après toutes ces années, allez savoir, c’est Supernatural Equinox que je remets inexorablement sur la platine. Oh il n’a rien d’exceptionnel, je le sais bien, c’est un simple disque de power pop sous forme de revival 60’s. Mais je l’aime bien ce disque. J’aime bien son côté hésitant entre le psyché rock des 70’s (Jefferson Airplane en tête de gondole, mais aussi Strawberry Alarm Clock) et la pop mélodique des 60’s (Beatles, Byrds…). Conscient que de bonnes influences ne sont pas suffisantes, le leader Matthew Smith compose ici comme à son habitude des minis tubes de poche ensoleillés et drogués, qui n’inventent rien mais qui font chaud au cœur.

Tout commence avec cette magnifique déclaration "Girl, you have magic inside you" et sa guitare façon sitar. La formation d’alors, un quartet composé du bassiste Scott Michalski, du batteur Corey Gustafon et du guitariste Larry Ray, privilégie le type d’arrangements des groupes cités plus haut. C’est très orchestré, les guitares sont fuzzées, il y a pas mal de réverb (même si moins que sur The Book Of Spectral, leur précédent opus) et les paroles sont bubblegum, même si la voix de Matthew est loin de tomber dans les travers aigus du genre, et reste étonnamment sobre, voire grave. "A song for someone sometimes" enchaîne et là encore rien à redire. Outrageous Cherry ressemble aussi à ses voisins The Sights ou aux londoniens Bevis Frond.

La pochette, dans la grande tradition des disques à psychotropes, a été réalisée par l’artiste Cary Loren du collectif artistique The Destroy All Monsters. Une sacré bande de hippies, que l’on retrouve sur le single "Saturday afternoon", avec chœurs féminins et tambourins en prime. Du côté des chansons gaies : "See you next time" (et son final Stone Roses), "If you want me"(Beach Boys) ou encore "This evening". D’un autre côté, vous avez les titres psychés et progressifs, plus sombres, comme "Psychic wheels", "Desperate times, desperate measures" ou le cabot "The Orgone Vortex" tout en wah wah.

En Bref : 13 titres d’easy pop façon sixties, éclairés de quelques moments plus rock’n’roll, sous la houlette d’une bande de junkies from Detroit. Et vous aviez raté ça ?




Le Myspace

A lire aussi : The Apples In Stereo - New Magnetic Wonder (2007)

Pas de titre de Supernatural Equinox disponible. Alors voici "Only the easy way down" :



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24 mai 2009

Jeepster - What If All The Rebels Died (2009)

Une chose est sûre avec Distile Records: on sait à l'avance qu'on va avoir affaire à un artiste décalé, peu en phase avec les conventions établies, et partant de là, il est fort probable que l'album concerné sera très bon.

Ici avec Jeepster, le chemin emprunté d'un point de vue musical est plus conventionnel (pas trop tout de même; on a quand même, dans le groupe, deux membres de O! The Joy...) mais le résultat, brillant, confirme la valeur du label et de ces groupes.

Aidés par un chanteur-guitariste venu de Nevada City malaxant les influences pour élaborer un breuvage pop connoté 70's, oscillant entre légèreté et coups de boutoir rock, reposant sur une instrumentation souvent séduisante et un chant racé.

Des notes de clavier étoffent le répertoire du groupe sur "A day in the dark", détendu et groovy, les trois complices s'attaquant ensuite avec succès à un climat aérien sur "Don't go too far", tout en le faisant décoller quelque peu. On se trouve ici, certes en territoire estampillé 70's, mais Jeepster recycle habilement ces atmosphères, les remet au goût du jour avec bonheur.

Il est d'ailleurs à noter que ces influences parcourent un panel allant de Led Zeppelin à Modest Mouse en passant par The Jesus and Mary Chain ou encore T-Rex ou Nick Cave. Une guitare nerveuse se fait entendre sur "Ex oh", bel exercice de rock mélodique et vigoureux, et s'affine sur "Write the end first", saccadé et lui aussi assez puissant. Et la voix, sensible, entre dans un parfait contraste avec la rudesse des instruments ou, au contraire, se met au diapason d'une certaine délicatesse. La retenue dans les accès d'énergie ("Sweet 1:23") constitue de plus un bel atout pour la formation et ajoute à l'intérêt qu'elle suscite.

Plus loin, "You can't stop", très groovy, sensuel aussi, vient s'ajouter à la liste des réussites tout en exhalant cette énergie inhérente à la plupart des morceaux du disque, avant que "Ditches" ne renoue avec une légèreté, un côté spatial très 70's, très pop aussi, de cette pop libre et aventureuse qui caractérise les compos du groupe. C'est aussi le cas de ce "Be good in your neighbourhood" délicat, aussi sobre qu'abouti, "Fiction fiction" se chargeant, lui, de réinstaurer un rythme affirmé et des six-cordes plus offensives.

Enfin, c'est "What if all the rebels died?", céleste et majestueux, qui ferme la marche et assied la qualité d'un album atypique malgré une démarche de groupe somme toute assez classique.

En bref : un album à la fois précieux et intense, sensible et doué d'une force de frappe non-négligeable bien maîtrisée, qui constitue au final une bien belle surprise.




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21 mai 2009

Passion Pit - Manners (2009)

Aïe aïe aïe… Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Les Passion Pit ont explosé en plein décollage. Trop de hype ? Trop de pression ? Trop d’attentes. Est-ce notre faute ? Alors qu’en ce tout début d’année je me devais dans l’obligation de vous signaler l’agréable Chunk Of Change, premier maxi 6 titres du groupe de Boston emmené par Michael Angelakos, je suis à présent obligé de vous dissuader d’écouter leur premier album. Pourtant grand amateur de sucreries quand c’est bien fait, j’étais la cible idéale pour eux qu’on surnommait déjà les nouveaux MGMT. Mais trop c’est trop.

Affichant qui plus est et malgré son apparente sympathie une forte carence en modestie, le jeune Michael (21 ans) veut être le prochain Randy Newman. C’est lui qui l’a dit. Et sa bio d’annoncer cet album comme un "irrésistible aperçu de l’esprit d’un jeune homme qui aimerait bien sortir son propre Pet Sounds un jour". Eh bien ça n’est pas gagné. Déjà cette voix, à la limite sur le maxi, dépasse ici toutes les bornes du super aigu à outrance, et finit par insupporter au bout de… la fin du premier morceau ! L’on a envie de crier : "Non mais arrêtez le massacre ! ".

Pour dire, je me suis même surpris à faire la grimace, pour de vrai je veux dire, au son de ces claviers 80’s dégueulasses, de ces basses pachydermiques et de ces pop songs sans relief. Où est passée l’électronica acidulée et aérienne du maxi ? "Moth’s wings", "Eyes are candles", "Make light", "Swimming in the flood" sont autant de daubes criardes à la Empire Of The Sun. A la rigueur, "To kingdom come" m’aurait intéressé, si elle avait duré 2 minutes au lieu de 4. Ne reste que l’excellent "Sleepyhead", seul titre récupéré du maxi (saluons les au moins d’avoir évité la facilité) et vrai single en puissance (pas comme ce "The reeling") qui occupe ma platine depuis le printemps et qui n’est pas prêt de la quitter.

En bref : Faut-il que j’en rajoute ? J’ai l’impression de m’être fait avoir en précommandant ce qui devait être la révélation 2009. Au final de la sous pop fluo vomitive. Passez vous "Sleepyhead" en boucle, ce sera toujours mieux.


Le Myspace

A lire aussi : Passion Pit - Chunk Of Change (2009)

Le pseudo single "The reeling", tiendrez-vous jusqu’au bout ?


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We love sonique - From the body to the mind - 29 et 31 mai à La Villette


Il se passe de jolies choses ces temps-ci du côté de la Villette. Après les vingt ans du label Warp, célébrés comme il se doit en présence de la crème de la maison britannique (Aphex Twin, Flying Lotus, Chris Cunningham et bien d'autres), la Cité de la musique accueille à la fin du mois un nouveau grand raout électronique baptisé We love sonique – From the body to the mind. Répartis sur deux soirées – l'une “body” et l'autre “mind”, les 29 et 31 mai prochains – se succèderont aux platines le producteur et dj brésilien Diplo, DJ Hell et sa techno sous influence new wave, la révélation house Jesse Rose ou encore le mythique vétéran Richie Hawtin, patron du label M-nus. En somme, deux très belles soirées en perspective.

Le programme :


SIDE A – 29 MAI
THE BODY

DIPLO
DJ HELL
JESSE ROSE
BOY 8-BIT

SIDE B – 31 MAI
THE MIND

RICHIE HAWTIN
MAGDA
GAISER
BAREM

Ces deux soirées s'inscrivent dans le cadre du festival Villette Sonique, organisé du 27 au 31 mai, qui verra aussi les venues des Jesus Lizard, Black Lips et Liquid Liquid. A noter, Dan Deacon, Deerhoof et Ebony Bones seront présents dimanche 31 dans le Parc de la Villette pour un concert gratuit. Le programme ici.


Le site de la Villette sonique.

Les sites des soirées We love sonique et de leur organisateur We love art.


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Concours - Chad Vangaalen au Café de la Danse le 2 juin 2009


Originaire de Calgary (Alberta), Chad Vangaalen est un artiste à découvrir. Déjà remarqué en 2005 avec Infiniheart et en 2006 avec Skelliconnection, deux albums électriques et éthérés, il nous revient cette année avec un impressionnant Soft Airplane, plus pop et résolument lo-fi, d’ailleurs produit par le label phare de Seattle j’ai nommé Sub Pop. Un univers sonore particulier, que certains comparent à Neil Young et Thurston Moore - on a vu pire - et qui mérite largement d’être écouté sur scène.

Ca tombe bien puisque Dodb en partenariat avec le Café de la Danse propose de vous faire gagner 3 places pour aller voir Chad en concert, avec François Virot en première partie. Pour cela il suffit de répondre à la question suivante :

Quel est le titre de l’Ep sorti entre Infiniheart et Skelliconnection ?


et d’envoyer vos réponses et coordonnées complètes à contact@desoreillesdansbabylone.com avec "Concours Chad Vangaalen" dans l’intitulé du message, et ce avant le 31 mai prochain. Bonne chance.

Le Myspace

Réserver sa place sur Fnac.com (19,80€)

"Clinically dead" par Chad Vangaalen :


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20 mai 2009

Akron / Family - Set’ Em Wild, Set’ Em Free (2009)

La famille new-yorkaise nous avait laissé en 2007 avec un bijou hédoniste de folk expérimental, le très grand Love Is Simple, et elle nous revient cette année amputée d’un membre puisque le quatuor n’est plus que trio, Ryan Vanderhoof ayant préféré se consacrer aux taches familiales, c’est son choix. Set’ Em Wild… est donc l’album du changement, puisqu’en plus de ce départ, c’est le label Dead Oceans qui reprend le flambeau à Young God. La musique des Américains, puisque c’est ce qui nous intéresse ici, s’est-elle transformée pour autant ?

Oui et non. Oui parce qu’une fois de plus, et pardonnez-moi d’insister encore une fois, leurs voisins Animal Collective sont passés par là, et le groupe à qui on les comparait déjà en 2007 est encore plus présent sur ce nouvel album. Toujours ce folk qui n’en n’est pas et qui lorgne impoliment sur la pop, le tribal et l’électronique, avec une forte propension à l’empilage sonore barré. C’est flagrant sur "Creatures", où le nombre de couches donne le tournis, et où la voix de Seth Olinsky est enivrante. Le danger à ce point là, on s’en doute, est de ne pas tomber dans le sous Animal Collective, et de garder son identité.

Garder son identité dans l’explosion, un crédo habilement imagé par la pochette faussement traditionaliste, le drapeau américain certes, mais un drapeau américain dont les Etats, les frontières, ont été flouées. Pochette qui représente aussi le paradoxe du groupe, qui jongle à tout moment entre raison pure (le patriotisme, les morceaux convenus) et l’instinct sauvage (le pastiche, les morceaux fous). Touffu et versatile, le quatrième album d’Akron / Family est en tous cas le plus immédiat, au sein d’une carrière variée et imprévisible.



Vous l’aurez compris, il y a à boire et à manger dans cette étrange tambouille. Des sommets, comme l’inaugural "Everyone is guilty" à la rythmique funky, au multi-chant tribal et à la structure décharnée, mais aussi des collines comme ce bruyant "MBF" dont on se serait passé. Le band peut partir en vrille à chaque instant et ça se sent. D’autres sont de très bons morceaux de freak folk, je pense à "Many ghosts" ou "River", dont la luxuriante orchestration légèrement afro funk n’est pas sans évoquer Vampire Weekend, en moins sage, forcément.

Transe world jazz bordélique ("Sun will shine", "Gravelly mountains of the moon") ou délicats arpèges de guitares acoustiques ("The Alp & their orange evergreen", "Set’ em free") qui font dire à certains que le milieu d’album est chiant, les newyorkais me font à présent penser à Tortoise. J’ai même lu quelque part que c’était du Radiohead folk. Peut-être. Ca n’est déjà pas si mal, mais on attendait mieux.

Groupe schizophrénique dont l’énergie et la créativité ne sont plus à démontrer, Akron / Family termine son disque sur le magnifique mais trop court "Last year" aux accents gospel.

En bref : Set’ Em Wild… n’est pas le meilleur disque du groupe, mais Akron / Family reste un fabuleux trio capable de surprendre, bercer et bousculer son auditoire. N’est-ce pas tout ce que l’on demande ?



Le site officiel et le Myspace

A lire aussi : Akron / Family - Love Is Simple (2007)

Les huit minutes de folie (progressive) de ce grand morceau qu’est tout de même "Everyone is guilty" en live




La très belle session de "They will appear" dans la forêt. Quoi, j’ai oublié de vous dire que ce sont des hippies ?





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18 mai 2009

Ananda Shankar - S/t (1970)

Ananda Shankar fit un rêve : "dans une tentative de marier musique occidentale et indienne naîtrait une nouvelle forme de musique, sans qu’on puisse la nommer, qui serait aussi mélodieuse que sensible et associerait les instruments électroniques actuels et ce vieil instrument traditionnel, le sitar".

Lorsque sort l’album en 1970, connu également sous le titre officieux de Sitar meets Moog, la sonorité de l’instrument indien est déjà connu depuis plusieurs années. Ceci n’est pas la première approche de deux univers musicaux en apparence différents. Certains groupe de jazz ont déjà incorporé l’instrument dans leur formation. L’association sera officialisée en 1961 quand le célèbre sitariste Ravi Shankar enregistre en collaboration avec le saxophoniste Bud Shank et le bassiste Gary Peacock l’album intitulé Improvisations. D’autres musiciens comme Ornette Coleman, John Coltrane ou Miles Davis seront influencés et inspirés par la musique indienne. Mais le grand public découvrira pour la première fois l’instrument, dont les sons mêlent mélancolie et contemplation, sur le célèbre morceau des Beatles, "Norvegian Wood (The Bird Has Flown)". C’est George Harrison en particulier qui succombe aux charmes du sitar. Son professeur sera Ravi Shankar. Puis d’autres groupes anglais ou américains comme les Kinks, les Rolling Stones, les Seeds, les Pretty Things, pour ne citer qu’eux, suivront et le sitar deviendra alors l’instrument emblématique de la musique psychédélique de la fin des années 60 début 70.

Ananda Shankar, neveu de Ravi du même nom, lors d’un voyage aux U.S.A., est de passage à Los Angeles. Signé par le label Reprise du groupe Warner, il décide de concrétiser son rêve. Il sera accompagné de sept musiciens de studios locaux (batteur, bassiste, guitare, claviers et synthétiseur Moog) et d’un compatriote (tabla). Si la couleur du sitar a été utilisé à tout va avec des degrés de qualité très variable, son essence même n’a été que peu distillé. Que l’instrument s’exprime à travers des compositions à caractère soit festif soit religieux, le musicien indien n’ignore pas la tradition et la mythologie de son pays : la musique est divine, c’est par le son primordial Ôm que le dieu Brahmâ a créé l’univers. Ainsi la spiritualité voire la religiosité de l’interprète doit émaner à tout moment, condition sine qua non dans l’absolu pour jouer d’un instrument. A ce titre les différents morceaux présents sur l’album renvoient à cette état d’esprit. Les reprises de "Jumpin’ Jack Flash" des Rolling Stones, "Light My Fire" des Doors et les plages "Snow Flower" et "Mamata (Affection)" relèvent du divertissement offert avec générosité. "Metamorphosis" démarre comme une simple proposition au dépaysement pour se transformer en un voyage mystique et planant. Ananda en profite ici pour nous faire montre de toute sa virtuosité.


La face B (le sixième morceau si vous écoutez l’album sur support numérique) s’ouvre par la pièce maîtresse intitulée "Sagar (The Ocean)". Pendant ce petit quart d’heure une vague ne vous submerge pas, non, elle vous transporte vers des rivages connus que de votre seule imagination, pour peu que votre esprit se déleste de ce qui lui pèse au quotidien, ensuite libre à vous de vous laissez flotter loin du bord, d’embrasser la haute mer avant le grand plongeon abyssal. Si une grande partie du morceau est typiquement indien, une rythmique lente aux sonorités folkloriques digne de Jethro Tull, Led Zeppelin ou Pentangle fait de façon progressive son apparition. La boucle est en quelque sorte bouclée. L’avant-dernière composition, "Dance Indra", très orientale, pourrait illustrer un rapide voyage dans l’univers fantastique d’Aladin, dans celui fantaisiste d’Ali Baba ou dangereux des charmeurs de serpents. C’est dans cet instrumental que le Moog est le plus présent. Le synthétiseur a été employé sinon avec parcimonie ce qui évite de conférer à l’ensemble un côté que l’on pourrait qualifier d’ "easy listening" voire de kitsch.


"Raghupati" clôture l’album. Seule chanson du LP, Ananda conclut en ces termes (je résume) : "peu importe comment nous nommons Dieu, Il nous appartient à tous de façon égal". Loin de toute niaiserie "peace and love" ou "baba cool", Ananda pensait peut-être à une autre forme de religion, sans nom précis, compatissante et sensible, une association des jeunes dieux avec les plus ancestraux.

En bref : un passeport international pour un voyage initiatique et une occasion de découvrir les mystères de l’Inde en terrain connu.



Le site et un extrait à écouter : "Snow Flower"



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Black Moth Super Rainbow - Eating Us (2009)

Il y a encore deux ans, Black Moth Super Rainbow n’était qu’une troupe d’allumés de Pittsburgh qui marinait sa popote psychédélique dans son coin, à destination de sa petite base de fans hardcore. Leur troisième album, le bordélique et acidulé Dandelion Gum, les avait certes sortis de l’anonymat, mais une étape supérieure devait être franchie. Et, comme pour beaucoup de groupes au son très lo-fi désireux d’accéder à un plus large auditoire sans complètement vendre leurs fesses, la solution s’appelait : Dave Fridmann. Après leur avoir offert la possibilité d’ouvrir pour les Flaming Lips, avec lesquels les BMSR partagent pas mal de conceptions soniques, l’omniprésent producteur a accepté de travailler sur le quatrième album des néo-hippies pennsylvaniens, Eating Us. Ce qui, au sortir d’une année MGMT, est plus qu’une chance : une bénédiction.

Comme souvent, Fridmann a accentué tout ce qui faisait déjà l’identité du groupe. Les envolées de Mellotron et de synthés vintage sont encore plus organiques ; le chant vocodé de Tobacco est plus éthéré que jamais (cf. “Fields are breathing”). L’écoute d’Eating Us procure des sensations assez similaires à celle de Dandelion Gum et des albums antérieurs : en gros, une béatitude champêtre et lysergique, comme si l’on ramassait des champignons dans une forêt humide où quelques rayons d’un soleil généreux percent par endroits les feuillages. Egalement intacte, cette impression d’entendre un mix entre les Flaming Lips et l’électronica des années 1990. Ce qui s’avère toujours aussi plaisant.

Fridmann a bien compris que la musique de “Papillon de Nuit Noir Super Arc-en-ciel” tenait plus de la profusion dionysiaque que de l’épure pop, qui n’est de toute façon pas sa spécialité. Il a donc contribué à enrichir la palette du groupe pour accentuer la variété de ses morceaux et ainsi construire un véritable album, moins stationnaire que ses prédécesseurs. Le banjo d’”American Face Dust”, les guitares acoustiques (par exemple sur la très pastorale “Smile the Day After Today”) ou celles, ultra-saturées façon “décollage d’A380” de la fin d’”Iron Lemonade” : tout cela participe d’un sentiment d’expansion, d’ouverture et de foisonnement. Le côté “film pour adultes”, déjà évident sur leur dernier maxi, est aussi renforcé par un usage récurrent des cordes et de voix féminines empreintes de candeur perverse (“Bubblegum Animals”).

L’enregistrement de cet opus marque les premiers pas du groupe dans un vrai studio (celui de Fridmann, dans l’état de New-York), ce qui implique donc un son moins lo-fi. L’esthétique DIY en prend un coup, et les amateurs de longue date pourront considérer cela comme une traîtrise, mais BMSR n’est pas devenu lisse pour autant. “Dark Bubbles”, “Tooth Decay” ou le très efficace single “Born on a day the sun didn’t rise” ne sont pas moins vitaminés que les hymnes de Dandelion Gum, avec leurs basses funky et leurs rythmiques à cheval entre hip-hop et rock indé. Pourtant les morceaux les plus fédérateurs sont certainement les plus posés, à l’image du resplendissant “Gold Splatter”, avec ses paroles naïves et héliotropiques (“Beautiful sun / You’re my only friend”...), ou du non moins scintillant “Twin Of Myself”, très proche de ce que faisait Air à l’époque de Moon Safari.

Malgré la grande variété des titres, Eating Us se savourera de préférence à doses homéopathiques, l’abus de substances trop sucrées et chimiques n’étant pas conseillée, sous peine de crampes à l’estomac et autres effets secondaires indésirables. Il n’empêche que, dans la niche des “musiques droguées”, la petite communauté pennsylvanienne se taille une place de choix avec ce série de micro-hymnes païens au Soleil, dont l’insouciance a quelque chose de menaçant et de profondément anachronique.

En bref : sous la houlette de Dave Fridmann, BMSR pousse pour la première fois les portes d’un vrai studio sans rien sacrifier de son psychédélisme acide. Plus pop et moins lo-fi, Eating Us marque le passage à la vie adulte de l’un des groupes les plus trippés de la planète.



Le site et le Myspace de BMSR
Le site de Graveface Records

A lire aussi : BMSR - Don’t You Want To Be In A Cult ? (2009)
A voir : le clip “interactif” de “Dark Bubbles”






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17 mai 2009

Arcade Fire - Miroir Noir, Neon Bible Archives (2009)

Généralement peu convaincu par les dvd musicaux, il fallait vraiment que celui-ci traite du phénoménal groupe montréalais pour que j’engage 70 minutes de ma précieuse vie à le visionner. Réalisé par Vincent Morisset ami et collaborateur du groupe et filmé par le caméraman à emporter Vincent Moon, le film est un documentaire sur la production et la tournée (essentiellement européenne) de Neon Bible, deuxième album incontournable des canadiens sorti en 2007. Edité de manière originale, à savoir dans un premier temps mis en libre service sur Pitchfork en décembre dernier, puis mis en téléchargement sur site dédié, et enfin en vente en dvd standard ou de luxe, Miroir Noir en français dans le texte ne ressemble finalement à aucun autre rockumentaire.

Renié par Moon qui le qualifie de "zapping infernal et épileptique" ou encore de "gâchis", je me dis que l’on n’a définitivement pas vu le même film, où qu’il y a contentieux derrière tout ça. Parce que justement, Miroir Noir est tout sauf un documentaire classique. C’est même à l’opposé un extraordinaire film d’art impressionniste, qui déjoue avec classe tous les clichés du genre. Pas d’interview, pas de voix off, pas de trash, pas de complaisance, et une ligne directrice finalement laissée aux fans sous forme de messages vocaux (plus ou moins loufoques) laissés sur un répondeur propre à l’album, où les gens ont pu "poster" des commentaires suite à l’écoute du disque.

Eh l’on s’en doute, si l’on est un minimum rentré dans l’univers des canadiens, ces témoignages loin de tomber dans le pathos soulignent l’impact énorme que Funeral et Neon Bible ont eu sur des milliers de personnes. "Espoir", "vérité", "mystique", "simple", "ferveur" difficile pour ces voix sans visage de mettre des mots sur ce qu’ils ont ressenti, et l’émotion est présente dans chaque silence, chaque intonation, chaque murmure.



Anti chronologique, Miroir Noir débute là où tout se termine, ou presque. L’Olympia, 19 mars 2007, Win Butler et ses comparses descendent dans la foule et entament ce "Wake up" d’anthologie au porte-voix largement diffusé depuis sur le net. Frissons. Un peu plus loin, c’est le titre "Black mirror" qui est mis en avant au travers d’une représentation en mode festival. C’est l’une des particularités de ce film, d’avancer à tâtons dans le répertoire des canadiens, avec de nombreux interludes artistiques, composés d’images floues, avec du grain, au ralenti, en noir et blanc, en couleur… Et surtout de progresser sur chaque titre comme cela se produit sur album, c’est-à-dire commencer le morceau dans l’intimité, puis grandir, grandir, et terminer sur scène où le morceau prend son envol.

L’on assiste aussi à la naissance des chansons, dans l’église de Farnham sur laquelle je peux enfin poser des images. Régine Chassagne, dans un nouveau plan "frissons" pose ses fragiles petits petons sur les pédales de l’orgue, et cette incroyable symphonie retentit. "Intervention". Vient ensuite le fameux "Neon bible" de la Blogothèque à neuf dans l’ascenseur (les Gipsy King auraient-ils fait mieux ?), où Richard assure les percussions en déchirant un magazine. S’en suivent balances, préparations mentales, Win tête contre le mur, Régine qui s'amuse, comme toujours. "Cold wind" sur des images de concert, magnifique.
Puis vient la violence soul de "My body is a cage" et le merveilleux "Windowsill" encore une fois en ascenseur, mais cette fois-ci uniquement en duo, Régine au rythme, Win à la guitare. Eh quand l’ascenseur démarre, la scène devient tout simplement magique. Quand on voit ce couple faire ce qu’il fait, je ne sais pas, magique… Le temps de commencer "Keep the car running" à capella dans la froideur de l’hiver canadien, puis de rajouter quelques violons, et de passer à un "Ocean of noise" multi sessions. Si l’on a vu la tournée, on se doute que le gros est encore à venir.

Montage alternatif de l’immense "Neighborhood #3 (Power out)" sur les scènes de la Garden Nef et des Arènes de Nîmes, puis enchaînement fatal sur "Rebellion (Lies)". Que de souvenirs. Je me dis que j’ai eu une sacré chance d’assister à cette tournée dont on parlera encore longtemps tant tout était parfait. Groupe, albums, chansons, puissante scénique, ce visuel autour de la bible de néon. Frissons, frissons, encore des frissons…

En bref : que vous soyez fan ou non, Miroir Noir est un exceptionnel film sur un groupe et une tournée qui resteront dans l’histoire, bourré de moments épidermiques, d’images émouvantes, et de titres qui sont tous déjà des classiques. Un grand témoignage sur un groupe qui n’en mérite pas moins.





Le site officiel et le Myspace

"Windowsill" pour l’intimité et "Rebellion (Lies)" pour le grand spectacle :





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16 mai 2009

Miss Kittin & The Hacker - Two (2009)

Huit ans après leur acclamé First Album, le duo grenoblois Miss Kittin and The Hacker (Caroline Hervé et Michel Amato à la ville) remet ça ! On les avait quitté sur une bombe minimaliste techno spéciale dance-floor. Ce premier jet, rappelez-vous, était balancé dans un anglais approximatif façon Pravda, l'autre très bon duo français mixte du genre (quoique plus orienté rock), et des paroles délicieusement salaces, crues et connes, en tout cas hilarantes au possible - qui a oublié leur définitif tribute hum.... à "Frank Sinatra ?" - et on les retrouve dans un format un peu moins rentre-dedans, moins robotique, et sans doute plus mélodique .

Entre temps, les albums en solo des deux comparses, les 3 notamment de Miss Kittin (I Com, Radio Caroline et Batbox) leur ont ouvert d'autres horizons, leur ont permis de découvrir de nouveaux sons, d'acheter de nouveaux synthés.

Sans être particulièrement novateur (mais le précédent ne l'était pas non plus) ce nouvel effort donne à écouter une manière de pop synthétique généralement rêveuse qui louvoie sur les terres des excellents Ladytron ("1000 Dreams", " Party In My Head"). Bien que convenue, la direction opérée sur cet album n'est pas désagréable, loin s'en faut. Et ce que l'on peut regretter de l'atmosphère de backroom berlinois du premier album chère à Emmanuel (B.P.M à fond, techno lascive) que l'on ne retrouve guère que dans le tuant "Indulgence" et son electro minimale façon Suicide, est finalement compensé par des options plus mélodiques, plus soignées, moins crissantes à l'oreille pour le non habitué. Tel ce "Rayban", plus doux et qui rejoint en cela la reprise inattendue et alanguie du "Troisième Sexe" d'Indochine sur I Com.

Mais puisqu'il faut parler de reprise, force est de mentionner sur l'un des maillons faibles de ce disque, cette reprise synthétique totalement simpliste et inintéressante d'un des grands chefs d'oeuvre du siècle dernier, j'ai nommé le "Suspicious Minds" du King, bien loin de la formidable relecture de Fine Young Cannibals d'il y a une bonne vingtaine d'années. Quand on s'attaque à un tel morceau, il faut y mettre les arguments. C'est là l'une des rares fautes de goût d'un album moins roots que son prédécesseur, mais qui se laisse apprécier sans problème.

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En bref : certes pas le plus important album electro du millénaire, ni même de la décennie, en raison notamment de quelques facilités, mais un disque qui remplit son rôle : distraire, faire bouger, et par certains aspects, exciter. On est finalement contents de voir ce duo reconstitué.




A lire aussi : Laytron - Velocifero (2008)

le site off et le Myspace

"Indulgence" :


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15 mai 2009

KristeenYoung - Music for Strippers, Hookers and the Odd On-looker (2009)

Le 1er avril est sorti le sixième album de KristeenYoung (tout attaché, c’est voulu). Ce groupe américain est originaire de Saint Louis. Il est composé de Kristeen Young aux claviers/chant et de Baby Jeff White à la batterie/percussions. Le groupe est aussi inconnu en France que sont réputés les artistes invités au gré des années sur les enregistrements du groupe : David Bowie sur l’album Breasticles, Brian Molko sur X (pour 10 en chiffre romain), Patrick Vaughn Stump sur le LP qui nous intéresse. A la production, derrière la console, il y a Tony Visconti (David Bowie, T-Rex, Morrissey…). C’est la quatrième fois consécutive.
Ce n’est pas un hasard si l’album sort le "jour des fous". L’équivalent du "poisson d’avril" chez nous. Miss Young semble avoir la tête sur les épaules. Mais son esprit est ailleurs. Il est préoccupé depuis des années. J’en veux pour témoins ses thèmes. Elle les ressasse inexorablement. Elle a en partie du sang Apache dans les veines. Une orpheline élevée par des personnes d’origine modeste. Des (bons) Chrétiens fondamentalistes. Ces derniers ont une mission pour le Seigneur. Ils doivent sauver l’âme souillée de leur petite protégée. Kristeen Young sort pour le moins ébranlée de ses jeunes années. Mais elle s’est tissée un manteau de béton armé. Une protection. Et elle en garde une honnêteté imparable. Une arme. Kristeen donne son point de vue sur la société. Kristeen parle de sa relation avec les gens. Kristeen nous livre sa vision des hommes. Kristeen fustige la sacro-sainte famille. Kristeen égratigne l’Establishment. Pas de rébellion de pacotille. Un rejet du conforme. Un dégoût du laisser-aller. Ca passe ou ça casse. Des phrases extraites peuvent nous aiguiller sur l’état d’esprit de la Miss : "Je t’ai tout donné, tu as pris le meilleur puis tu es parti, tu n’es rien d’autre qu’un homme, fils", "mes larmes sont plus nuancées et sincères que les tiennes… tu ne pourras pas gagner mon concours de dépression", "tu sais que je t’aime à en mourir… je sais ce que tu as en tête…donc arrête de penser pour une fois", "la musique, tu la veux calme, comme au temps de papa, le confort n’est jamais un but". D’emblée roulements de batteries. Piano désaccordé. Voix de chat sauvage pris au piège. Plus proche du résultat scénique. On est loin de toute cacophonie. Les instruments et la voix ont été enregistrés avec précision. Chirurgicale. D’où l’incroyable présence sonore. D’où l’émotion sans concession. D’où l’impression d’immédiateté dans l’expression. Des indices d’un travail de production réfléchi ? Des effets sont disséminés ici et là. Toujours dans le souci d’enrichir l’intensité dramatique. Sans aucun maniérisme. Ou si peu. Le groupe a gardé son phrasé qui fait sa personnalité. Martelage. Syncopée. Dissonance. Lyrisme. Rock. Heavy. Un petit côté poisseux. Bar malfamé. Baby Jeff maîtrise son art. A la perfection. Toujours concis. Pas de solo. Inutile. Il maintient la pression. Il garde le cap. Kristeen ne chante pas. Elle joue de sa voix. De mieux en mieux. Il y a des sonorités à la Kate Bush. Involontaire semble-t-il. Kristeen a affirmé connaître l’anglaise depuis peu. Qu’importe. Leurs univers sont différents. Leur part d’ombre n’a pas la même noirceur. Kate Bush minaude. Envoûte. Kristeen Young clame. Exorcise. Ses cordes vocales vous lient les mains. Le ton intime l’attention. Une supplication déguisée ? De gré ou de force, vous écouterez. Le schéma se prolonge sur scène. Avant un disque, Kristeen Young tourne. Après un disque, elle tourne. Plus qu’un moyen de vivre. Une vraie raison de vivre. De survivre. Le groupe sillonne les U.S.A. De club en club. Des premières parties aussi. Pour Morrissey. L’ami fidèle. Mais rien n’est prévu pour la France. Pas encore. L’espoir fait vivre. Fait survivre. 

En bref : 14 chansons pour s’exprimer sans retenue. 14 plaintes contre la vie. 14 questionnements sans réponses. 14 constatations sans concession. 14 cris d’amour en somme. A écouter le volume à fond. A ne pas aborder qu’en surface.



le site, le myspace

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14 mai 2009

Junior Boys - Begone Dull Care (2009)

C'est aujourd'hui indéniable, Internet a imposé un nouveau rythme d'écoute et de découverte des disques. Souvent, on évoque les « leaks », ces fuites d'albums sur la toile plusieurs semaines avant leur sortie, conséquence entre autres des décalages de calendrier entre le continent américain et l'Europe. Begone dull care, troisième LP des Junior Boys, n'a pas dérogé à cette nouvelle donne. Sorti au Canada en mars dernier, il circule depuis de longs mois sur le net et arrive seulement ces jours-ci chez nos disquaires hexagonaux. On pourrait évidemment se montrer critique à l'égard de ce piratage mais, pour ma part, je ne pourrai regretter un seul instant ces précoces et précieuses semaines passées en compagnie du duo de l'Ontario. Et, serai certainement parmi les premiers à me procurer leur sublime nouvel opus.

Il y a cinq ans, Jeremy Greenspan et Matthew Didemus débarquaient avec Last Exit, un premier album de synthé pop futuriste délicieusement mélancolique et arrangé avec un extrême raffinement. Deux années plus tard, ils récidivaient et plaçaient la barre en un peu plus haut avec So this is goodbye qui leur valut alors un franc succès critique, dont notamment un 9/10 de la référence US Pitchfork (lien vers l'article) et le titre de « Best new music ». Bluffant, les deux garçons, qui ne travaillaient pas ensemble au moment de la formation du groupe – Jeremy Greenspan ayant fondé Junior Boys avec un certain Johnny Dark, parti convoler vers d'autres cieux avant même la sortie de leur premier disque – sculptent de brillantes tracks mêlant électro funk des 80's et balade pop profonde, sublimées par la tristesse languide du chant de Greenspan. Autant vous dire que Begone dull care était attendu avec une certaine impatience.



Le titre de ce disque est tiré d'un film de 1949 du Canadien Norman McLaren, traduit en français par « Caprice en couleurs ». Le réalisateur, bien connu également pour ses expérimentations en matière de musique électronique, était un adepte du film d'animation direct, travaillant manuellement sur ses pellicules pour les recadrer ou les peindre. Il y a de cette démarche créative sur Begone dull care où, au fil des morceaux, l'on se prend parfois à entrevoir les couches instrumentales successives déposées par le duo pour enrichir et donner corps à sa musique. Mais, évidemment, ce n'est pas la première chose qui sautent aux oreilles et interpelle. En effet, l'impression dominante reste sans aucun doute le luxe et la fulgurance des arrangements, tous aussi imparables les uns que les autres. Basses rondes et old school, arpèges de banjo en boucle façon Merriweather post pavilion – sur la merveilleuse « Dull to pause », nappes de synthés denses et micro-beats, la panoplie du duo canadien est étoffée et accomodée avec un goût de maître, à tel point que l'on en vient souvent à se dire que l'on pourrait aisément se contenter de ces belles plages instrumentales et se passer totalement de chant. Mais ce serait réserver un bien mauvais sort à Jeremy Greenspan et à son charme languide et badin.

Au fil des titres, la démonstration est aveuglante de maestria et les perles s'enchaînent les unes après les autres. « Bit and pieces », splendide exercice de micro-sampling agrémenté de breaks de saxophone. « Work » et son intro assassine à la Moroder sous speed ou « The animator » et son groove synthétique enivrant. La liste pourrait s'allonger et la classe du duo semble inaltérable. Si la réécoute forcénée du disque l'affadit quelque peu, gommant progressivement l'éclat des premiers instants pour exacerber un certain manque de profondeur, il n'en demeure pas moins un pur joyau. Etincelant.

En bref : Passe de trois pour le duo canadien Junior Boys. Après deux albums plus que réussis, un troisième disque de pop électronique somptueux, au sens du groove indéniable et aux arrangements à tomber. A quand le prochain ?



Le myspace des Junior Boys et le site web du label Domino.

Deux pépites extraites du l'album : « Dull to Pause » et « The Animator »

Les Junior Boys seront de passage au Rex le 11 juin prochain, en live et en compagnie de Circle Square, Jennifer Cardini et Mlle Caro. Pour la modique somme de 9,60 euros en prévente. Réserver ici

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13 mai 2009

Elvis Perkins - Ash Wednesday (2007) - Elvis Perkins In Dearland (2009)


Fabien nous parlait il y a quelques jours seulement du folk racé de Bill Callahan et dans le même registre l’Amérique peut désormais et à coup sûr compter sur un nouvel héros du genre. J’avais hésité il y a deux ans à vous parler de Ash Wednesday, premier opus impeccable d’un grand songwritter en devenir, mais cette année c’est la goute d’eau qui fait déborder ma platine, Elvis P. (ça vous rappelle quelqu’un ?) rajoute à son patronyme un suffixe imposant un groupe et non plus une entité seule. Elvis Perkins In Dearland est même à ce jour l’un des meilleurs quatuors de musiciens du pays de l’Oncle Sam.

En poussant un peu le bouchon, Nick Kinsey, Brigham J Brough et Wyndham Boylan Garnett ne sont plus très loins de The Band, le fameux groupe de Bob Dylan, auquel Elvis sera immanquablement comparé dans les années à venir. Redoutables à chaque instant, ils exposent à qui veut l’entendre une palette instrumentale sans fin : harmonica, violon, mélodica, trompette, contrebasse, banjo, harmonium… et bien sûr l’organe vocal vibrant et profond du chanteur qui témoigne en seulement deux albums à quel point il faudra compter sur lui. Ses textes sur la fragilité de la vie, poignants et humbles, sont autant de chansons de survie, à écouter en veillée au coin du feu. Comme si Rufus Wainwright jouait avec les musicos d’ Okkervil River.

Tout commence en 2007 avec ce Ash Wednesday sorti de nulle part. Elvis à la manière de Eels vient de subir deux drames familiaux coup sur coup. Sa mère était dans l’un des avions heurtant les tours. Son père (Anthony de Psycho) est emporté par le SIDA. Dur. Le disque est d’ailleurs scindé en deux parties autour du titre éponyme aux cordes larmoyantes, avant et après le drame. On s’en doute, comment aurait-il pu en être autrement, il y a de la mélancolie universelle dans chaque chanson, mais surtout un malheur transcendé par la simplicité des ponts et l’efficacité des refrains accouchant d’au moins sept titres sur onze à ranger au panthéon du genre.

"While you were sleeping" ouvre l’album, tout en douceur, grâce à d’intelligentes percussions (Gary Mallaben, le batteur de Van Morrisson, ainsi que Osgood Perkins aux tambours), une voix nasillarde et touchante et des cuivres finaux qui donnent une véritable identité. Cette chanson magnifique était alors la plus belle entrée en matière possible. "All the night without love" suit et introduit une instrumentation différente, presque manouche, encore une fois magnifique. Sur "May day !" Elvis tourne le dos aux préjugés et joue là où on ne l’attend pas. Un titre gai, à la guitare électrique sautillante et aux chœurs bordéliques. C’est l’influence Neutral Milk Hotel qui pointe le bout de son nez.

Plus loin sur "Moon woman II" et "It’s only me" Elvis revient à la douceur, seul avec sa guitare, pudique mais spontané. On commence à sentir l’ombre de Dylan qui s’expose complètement sur "Emile’s Vietnam in the sky" et son touchant violon. La deuxième partie, plus rigoureuse et plus lente, manque certes d’originalité mais pas de maturité (les arrangements de "Sleep sandwich", le piano de "Good friday"). Quelque chose s’annonçait mais on ne savait pas encore comment le prendre.

Et puis cette année, Elvis est de retour. Renaissant de ses cendres et musclant ses compositions, il nous livre un deuxième album inespéré de folk ancestral au tempo plus rapide que son prédécesseur. Le Zim n’est plus le seul inspirateur, on pense désormais à Woody Guthrie, mais aussi à Léonard Cohen, Paul Simon et encore NMH sur les parties les plus festives, ce "Doomsday" tout en cuivres à l’énergie monumentale qui lui aussi porte un parfum d’Okkervil River. Des cuivres qui sont désormais au centre des arrangements lumineux de la bande, drapant d’heureuses folk songs d’une couche de jazz bancal.

Equivalent de "While you were sleeping" du premier album, "Shampoo" ouvre celui-ci une nouvelle fois de la plus belle des manières, à l’orgue et à l’harmonica, tout simplement parfait. On retiendra également "Hours last stand" sous forme de marche funèbre, et "123 Goodbye" et son crescendo dramatique de piano, harmonium, batterie et cordes. Epoustouflant de long en large.

En bref : à 33 ans, Elvis Perkins vient de livrer deux albums majeurs de folk américain mais pas seulement. Il a aussi fondé un groupe immense, et transformé de manière universelle ses démons en chansons belles à pleurer. L’expression coup de cœur a toute sa place ici. Je vous interdis de passer à côté.
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Le site officiel et le Myspace

A lire aussi : M. Ward - Hold Time (2009)

"While you were sleeping" et "Shampoo" les deux titres introductifs :



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Primavera Sound Festival de Barcelone 28-30 mai 2009


Du jeudi 28 au samedi 30 mai prochain se déroulera à Barcelone ce qui est considéré par beaucoup comme l’un des meilleurs festivals de musiques actuelles en Europe. Lancé en 2000, il attire aujourd’hui plus de 60.000 personnes dont 40% d’étrangers. Situé en bord de mer sur le site du Forum, le festival propose cette année encore une programmation hors-normes forcément source de conflits cornéliens du style : "Shearwater ou Jeremy Jay ?" ou encore "Liars ou Deerhunter ?". Ne manquent finalement qu' Animal Collective et Grizzly Bear. En tous cas Dodb sera présent sur place et nous ne manquerons pas de vous faire un topo en rentrant.

Plus de programmation :
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Neil Young • My Bloody Valentine • Sonic Youth • Aphex Twin • Bloc Party • Jarvis Cocker • Yo La Tengo • The Jayhawks • Spiritualized • Michael Nyman • Throwing Muses • Saint Etienne • The Jesus Lizard • Ghostface Killah • The New Year • Phoenix • Shellac • Joe Henry • Art Brut • A Certain Ratio • Liars • Squarepusher • Herman Dune • The Vaselines • Spectrum • Deerhunter • Sunn O))) performing "The Grimmrobe Demos" • Black Lips • The Horrors • Andrew Bird • The Bad Plus • Jay Reatard • Gang Gang Dance • Kimya Dawson • Lightning Bolt • Magnolia Electric Co. • Oneida • Th' Faith Healers • DJ /rupture • Ariel Pink's Haunted Graffiti • Jason Lytle from Grandaddy • The Pains Of Being Pure At Heart • Dj Yoda • El-P • Simian Mobile Disco • Michael Mayer • Dan Deacon EnsembleJeremy Jay • A-Trak • Rhythm & Sound (Mark Ernestus) feat. Tikiman • Jesu • The Mae Shi • Alela DianeShearwater • Kitty, Daisy & Lewis • The Drones • Bat For Lashes • The Soft Pack • Damien Jurado • Fucked Up • Chad VanGaalen • The Bats • Tokyo Sex Destruction featuring Gregg Foreman • Crystal Stilts • Reigning Sound • Dälek • Marnie Stern • Dead Meadow • Vivian Girls • Ponytail • Ezra Furman & the Harpoons • Ebony Bones • Wooden Shjips • Zu • Crystal Antlers • The Bug • Bowerbirds • Joe Crepúsculo y Los Destructores • Wavves • The Tallest Man On Earth • Tachenko • Agent Ribbons • Women • Dj Feadz & Jackson • John Maus • Magik Markers • The Extraordinaires • Stanley Brinks featuring Freschard & Ish Marquez • Angelo Spencer • Karl Blau • Plants & Animals • Extra Life • Mahjongg • Muletrain • Andy Votel • The Secret Society • Carsick Cars • Tim Burgess (The Charlatans) • La Bien Querida • The Intelligence • Sleepy Sun • Maika Makovski • Half Foot Outside • Zombie Zombie • Veracruz • The Right Ons • Los Punsetes • Klaus & Kinski • The Lions Constellation • Duchess Says • Mujeres • Elvira • Lemonade • Girls • The Disciplines…

Le site du festival

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11 mai 2009

Magnetix - Positively Negative (2009)

J'estime trop le genre pour vous infliger les clichés habituels sur le rock garage qui sent la bière et la sueur, interprété par des faux débiles qui prennent un malin plaisir à mal jouer et mal chanter. Le garage sixties, c'est comme le psychédélisme : il s'agit de capter quelque chose qui échappait au rock fifties de papa. Capter des forces souterraines, primaires, des affects, des sensations, en deçà du langage. Ce que l'on peut dire, pourquoi le mettre en musique ?

Bon, tout ça c'est trés beau mais ça ne fait pas un groupe. Il faut beaucoup de talent pour se permettre de sonner comme dans un garage, et Magnetix n'en manque pas. Magnetix c'est Looch vibrato, et sa Fender Jazzmaster 66', et Aggy Sonora, et sa batterie Maya d'époque. Un groupe bicéphale issu de la scène garage bordelaise, qui tourne depuis 10 ans, a signé avec Born bad, et réalise, avec Positively négative, son deuxième LP.

Indéniablement garage, Magnetix a su, au demeurant, définir un style original, qui le distingue fortement au sein du revival garage contemporain. Le son Magnetix joue sur des effets d'hypersaturation, sans jamais verser dans l'esthétique hard rock. Historiquement la saturation est un objet de fascination pour le garage d'avant la pédale fuzz. Les Sonics se débrouillent comme ils peuvent pour saturer tous leurs sons, y compris leur saxophone. C'est dans cet esprit que les Magnetix conçoivent leur musique, davantage que dans un esprit lo-fi. On dirait que les cordes vocales de Looch Vibrato sont branchées sur une pédale fuzz, et on est impressionné par sa capacité à moduler l'effet. La guitare, bien entendu, déploie toute une gamme de nuances saturées, et ce jusqu'à l'extrême, où l'on a l'impression, parfois, qu'il y a plus de saturation que de guitare. On flirte, de temps à autre, avec quelquechose comme la noise music. La batterie est basique, souvent lourde au possible, sans être métallique ni trés explosive.

Bref, amateurs de voix riches en harmoniques, d'arpèges délicats, et d'expérimentations rythmiques, passez votre chemin... Ce qui ne signifie pas, pour autant, que notre couple magnétique poursuit cet idéal de musique simple et direct à la Ramones, et tel que les Black lips l'ont réactualisé.

Ça démarre trés fort avec ce qui constitue probablement LE morçeau de l'album : "Living in a box". Un riff lancinant et poisseux en ouverture , repris par les voix, puis soutenu par une guitare heavy et une batterie lente et éléphantesque, structure les couplets. De multiples breaks, servis tantôt par un fuzz extrême tantôt par une guitare claire et légérement reverbérée, introduisent le refrain, et nous font basculer dans un rythme plus rapide et syncopé, typiquemment sixties. Bel exercice de style, et qu'on ne se lasse pas de réécouter, entraîné par ses accélérations et décélérations. Qui a dit que le garage c'était bourrin ?

Après un intermède bien graveleux et assez marrant, où Looch Vibrato, de sa voix de pervers polymorphe bien crade nous raconte l'histoire d'une «UFO invasion in the fornication » ("Stranger in a dark"), puis un hommage récréatif au garage des anciens ("Stop to think"), nouveau morceau de bravoure nihiliste : "Mort clinique". Une guitare hypersaturée nous balance un riff minimal, relayé par... une guitare sèche, et ça fonctionne. La chanson est en français, et on se croirait, tout à coup, dans le futur volume III de la compil Wizz. Le second degré est de mise : «Je n'ai pas envie d'être en vie, quand les portes claquent de la nuit». Cette excellente face A se termine sur le trés dançant "Positively negative", où les larsen criards se mêlent à un clavier vintage particulièrement entraînant.

La face B ne nous caresse pas dans le sens du poil, avec "Head off" et "Trop tard", tous deux caractérisés par une voix blanche accordée au plus bas, et la vrille "Third eye", son rythme tachycardique et sa guitare hyperabrasive. Le continuum saturé de "Real Man" rappelle l'atmosphère brumeuse du crépitant "Ghost rider" des Suicide. Retour à des lignes mélodiques plus élaborées pour les potentiellement tubesques "HTA-TNT" et surtout "Hand's Lines". Les amateurs de mélodies trouveront, au final, aussi leur compte. L'humour conclut cette face B, avec un "Nonsense" instrumental qui vibre au son d'un orgue funéraire.

En bref : Un rock garage, à la fois élaboré et primitif, méchant et drôle, varié dans ses registres, qui expérimente les limites du musical, et touche directement le système nerveux. Une voix inimitable, qui serait celle d'un cerveau reptilien, s'il pouvait parler.


"Living in a box" :


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09 mai 2009

Bill Callahan - Sometimes I wish we were an eagle (2009)

J'use parfois de l'adjectif « noble » avec un peu trop de hâte, happé par l'ivresse de quelques mélodies profondes, déposant aussitôt sa marque sur le front de mes élus immédiats. Mais qui, avec raison et mesure, pourrait mieux mériter ce qualificatif que ce seigneur de la musique folk qu'est Bill Callahan ? L'Américain, actif depuis une vingtaine d'années et connu sous le nom de Smog pour ses épures mélancoliques et brumeuses – je pense en particulier au sublime A river ain't too much to love – ne devrait plus être à présenter tant son génie est éclatant. Son second album signé sous son propre patronyme en est une nouvelle preuve irréfutable, simplement éblouissante.

On n'aurait pu choisir meilleurs titre et pochette pour ce disque à la fois lumineux, racé, fougueux, trouble, apaisant et altier. Il y a de tout ça chez Bill. Inéluctablement, les mots manqueront. De ses débuts, Callahan a su conserver un certain sens du dépouillement et de la simplicité, illustré magnifiquement par ses balades feutrées construites autour de touches légères de guitares et de piano, discrètement soutenues par le rythme d'une batterie. Mais il sait aussi nourrir davantage ses compositions et y incorporer avec justesse des envolées symphoniques épiques à base de violons et de violoncelles, quelques riffs blues ou encore quelques pointes d'orgue ou de synthétiseur.


Sur Sometimes I wish we were an eagle, on passe successivement de l'ombre à la lumière, de la vie à la mort, des errements à la cavalcade, constamment couvé et rassuré par la voix chaude du chanteur du Maryland. Loin d'être linéraire, le disque ménage habilement ses moments de dépression puis de rémission, alternant à merveille temps forts et temps faibles comme on pourrait le dire en jargon rugbystique. De la balade solennelle « Too many birds » à la vigoureuse et dynamique « My friend », en passant par la brume macabre de « Invocation of ratiocination » et ses spectres vocaux. Les arrangements des titres sont tous littéralement à tomber par terre et laisse à chaque instant béat devant tant de pureté et de classe. De noblesse, oserais-je dire.

Un des sommets du disque est atteint avec le titre au nom prémonitoire « All thoughts are prey to some beast ». Grandiose voire grandiloquente, trépidante et majestueuse, sont des termes appropriés pour qualifier cette chevauchée courageuse et orageuse à laquelle se livre Bill Callahan. Les percussions claquent crûment et nous mettent en selle sans sommation, bravement nous avalons la distance sous les éclairs de violon et le tonnerre de quelques notes de guitare saturée. En deus ex machina, le chanteur joue sur ses moments d'absence et laisse longuement les instruments s'envoler, presque hors contrôle, surgissant ensuite pour quelques imprécations. Le souffle coupé, Bill ne nous lâche pas pour autant et nous tire ensuite lentement vers l'abyme avec « Invocation of ratiocination », court interlude sombre et ambiant, véritable ovni de l'album. Le mouvement s'achève sur une rédemption avec « Faith/void », dans le calme et la sérénité, doucement réchauffé par la voix radieuse et bienveillante du folksinger. Heureux et sauvé, il est grand temps pour nous de déposer les armes... et les couronnes de lauriers aux pieds de notre héros.

En bref : Héroïque et fragile, égarée et apaisée, une nouvelle grande œuvre d'un très très grand Monsieur de la chanson américaine, conjuguant merveilleusement envolées symphoniques et pureté folk. Impossible à ignorer.




Le myspace de Bill Callahan


All thoughts are prey to some beast.mp3

Eid ma clack shaw.mp3


"Jim Cain", premier titre de l'album, en live chez un petit disquaire de Colombus, Ohio :




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Grinderman - Grinderman (2007)

Quoi de mieux qu'un retour aux sources, à savoir le rock sauvage et déjanté de Birthday Party, pour l'illustre Nick Cave? C'est en effet un peu à cela que s'apparente ce faux side-project du crooner moustachu puisque pour les besoins de cet album, il s'entoure de ses mauvaises Graines, quasiment au complet. Seul le nom change, de même que la musique du groupe, qui oscille entre sauvagerie à la Jon Spencer et élans dignes de Suicide.

Dès "Get it on", les climats déglingués de Grinderman, qui exhalent une forte odeur de rock des marécages, prennent à la gorge, tenaces et mordants, et ne lâchent plus un auditeur pris au piège de ce rock poisseux, qui évoque l'Iggy des Stooges, bien sur, mais aussi ce que l'Iguane a tenté de faire sur "Beat'em up". Il en va ainsi sur la majeure partie du disque, en passant par "No pussy blues" et ses déflagrations d'orgue électriques jouissives, ou "Electric Alice" et son rythme paresseux, zébré de sonorités d'orgue, encore, décisives.

La quatuor est aussi capable (coupable?) de climats tendus, tout en retenue, comme sur "Grinderman", mais n'est jamais aussi bon que lorsqu'il se lâche complètement (le saccadé et tonitruant "Depth charge ethel"). Et plus loin, il se permet une accalmie probante sous la forme de ce "Go tell the women" feutré, presque jazzy, sur lequel Nick fait usage de son désormais célèbre chant suave et sensuel.

Chaque morceau suscite d'ailleurs un vif intérêt, ce qui devrait m'amener à évoquer toutes les chansons suivantes, dont "(I don't need you to) Set me free" délié et mené par une basse reptilienne, suivi de "Honey bee", fonceur et réalisant le parfait alliage guitares-claviers pour imposer une trame sonore grinçante et marquante.

Puis plus en avant dans l'album, "Man in the moon" et son ambiance délicate, auquel succède "When my love comes down", assez noisy et, à l'image de "Grinderman", dans la retenue.

Et pour finir, "Love bomb", porté par une batterie galopante, à la fois bluesy et délibérement rock'n'roll, qui clôt en fanfare un disque auquel on espère d'ores et déja une suite aussi déjantée. Super album, ce qui n'étonne guère dès lors qu'il est le fruit de Nick Cave et ses Bad Seeds "déguisés".

En bref: un "écart" concluant pour Nick le crooner, et la perspective d'un retour régulier à des sonorités, et des morceaux, proches de Birthday Party.




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