28 juin 2011

Cults - Cults (2011)

Le mystérieux duo formé par Madeline Follin et Brian Oblivion – sobrement et justement dénommé Cults – a déjà malgré sa toute jeune existence tissé de nombreux liens avec la presse et la blogosphère. Nous sommes en Juin 2010 quand dans la tête de centaines de férus de musique commencent à résonner les douces notes qui ouvrent "Go outside", plaçant ainsi le groupe en bonne place au sein de la scène montante.

Un an plus tard, notre couple sort un premier album éponyme semblable à un bonbon qui nous fond sur la langue et tisse alors des relations d’autant plus fortes avec la presse puisqu’il s’agit là d’un disque qui a su faire l’unanimité.

Quand on est un couple à la ville comme sur scène, la musique a toujours une saveur particulière, celle de l’exclusivité et de l’éternité, deux sensations que l’on a du mal à ressentir pleinement face à un groupe, devenant d’autant plus touchantes qu’elles sont rares.

L’éternité, c’est celle d’une relation immortalisée à travers onze titres qui sont autant de preuves de ce que Madeline et Brian ont à voir ensembles mais aussi celle d’une passion commune : le cinéma. En effet, avant d’être le duo que nous connaissons ils étaient étudiants en cinéma et ce passé commun se sent dans chacune des chansons, imposant aux sonorités sixties un paysage cinématographique intemporel : parfois en noir & blanc ("Bad things", "Rave on", "Walk at night)", parfois aux couleurs de la nouvelle vague ("Bumper", "You know what I mean") ou encore aux teintes surréalistes ("Abducted" et son clip hautement surprenant).


Leur univers se décline autour de mélodies insouciantes et du chant foudroyant de légèreté de Madeline. Bien que le côté punchy soit absent, il est difficile de ne pas fredonner le refrain d’un "Go outside" ou d’un "You know what I mean" après quelques écoutes seulement. L’on a rarement vu des tubes à la fois aussi peu nerveux et efficaces que les trois titres placés en tête d’album, annonciateurs de ces chaudes soirées d’été passées à danser sur le disque entier, de préférence avec un balancement de cheveux imitant celui de Madeline.

En bref : un cocktail acidulé qui réunit tout ce qui émoustille nos papilles à coup sûr : un couple, des mélodies venues d’une autre décennie et une ambiance cinématographique bien particulière.





Le bandcamp et le site officiel

Le clip d' "Abducted" :



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23 juin 2011

Morning Teleportation - Expanding Anyway (2011)

Wouahou. C’est à peu près ce que je me suis dit à la première écoute de ce disque ahurissant dont je ne savais rien. Bon j’avoue, c’est l’irrésistible pochette hippie qui a attiré mon œil en premier. Comment décrire ce premier album en provenance de Portland ? C’est quasi impossible sans jouer la carte du melting pot kaléidoscopique bla bla bla. Mais en fait non, c’est un album de rock psychédélique expérimental mais accessible. Mais en fait non, c’est encore autre chose. En fait à chaque fois qu’il commence à rentrer dans une case confortable, un break inattendu vient tout chambouler et fait tout repartir à zéro.

Produit par Isaac Brock (Modest Mouse), Expanding Anyway est surtout l’oeuvre de Tiger Merritt (quell nom!). A la manière d’Akron/Family, il compose des titres multiples et schizophrènes. L’introductif "Boom puma" en est le parfait premier exemple. Ou comment placer deux morceaux en un, avec un piano au groove immédiat et des cris complètement délirants. Quand débute "Snow fog Vs Motor cobra" on est en plein délire ska, et puis encore une fois à mi-chemin, le morceau déraille en un tube endiablé et bordélique avec chœurs en sus. Le sourcil se fronce et l’oreille se fait alors plus attentive. Bon Dieu où nous emmène-t-on ?

Vous l’aurez compris Morning Teleportation mélange puis déconstruit, sans jamais perdre l’auditeur. Exploit. Visiblement sous LSD, Tiger Merritt rend la frontière entre ses titres quasi impalpable. Mais que faisait la douane musicale à cet instant?! "Expanding anyway" ou "Eyes the same" sont également deux futurs classiques de ce disque tribal mais harmonieux. S’arrêtant à chaque fois à la limite de l’indigestion ou de la longueur, il calme le jeu quand il le faut avec de vrais beaux morceaux presque sages ("Crystalline", "Daydream electric storm", "Coldweather sunshine"). Le reste du temps rassuez-vous, c’est la folie imprévisible qui domine, comme sur ce très représentatif "Banjo disco", intenable morceau de carnaval emmené par un beat de tom et un banjo.

En bref : débuts fracassants pour le quatuor Morning Teleportation qui sans se prendre la tête ou afficher des ambitions trop importantes signe un disque folk multicolore et débridé. Du fun, du fun, du fun.




Le Myspace

A lire aussi : Akron/Family - S/T II: The Cosmic Birth and Journey of Shinju TNT (2011)

Le clip d'"Expanding anyway" et "Snow frog Vs Motor cobra" en live :





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16 juin 2011

Peter Visti - Love Is The Key (2011)

Dans sa chronique de l’album de Peter Visti et Jakob Meyland, Ju notait à juste titre les lacunes du duo et de son label Bear Funk en matière de promotion. Il nous avait fallu plusieurs mois pour être informés de la sortie du disque, et nous n’étions visiblement pas les seuls dans ce cas puisqu’aucun article n’était disponible sur le net. Le label londonien a pourtant signalé que Visti & Meyland était devenu leur best-seller, preuve qu’on ne peut pas lâcher un morceau épique et iconoclaste comme "Stars" sans créer quelques remous, même sans lui accorder la publicité qu’il mérite. Moins d’un an plus tard, Peter Visti, bien connu de nos services pour ses succulents EP et ses edits (sur Eskimo et Mindless Boogie, entre autres), revient pour un premier album solo, toujours chez Bear Funk, et qui bénéficie, encore une fois, d’une communication quasi-nulle. Dommage, d’autant que le nu-disco est à la mode ces temps-ci, et que le Danois n’a rien à envier à nombre de producteurs du genre bien plus médiatisés.

On retrouve sur Love Is The Key tous les attributs du space-disco de la clique norvégienne des Lindstrom, Prins Thomas, Todd Terje, Bjorn Torske et consorts. La même légèreté, les mêmes nappes accueillantes et ensoleillées, les mêmes emprunts à Giorgio Moroder et au krautrock. La filiation cosmique saute aux oreilles sur l’énorme "Lost In Space", un vrai prototype du genre, déjà sorti en 2010 chez les Français de Skylax. Mais notre homme sait varier les styles, de la deep-disco très mentale de "Be A Vise Man", à l’hédonisme baléarique en slow-motion du morceau-titre. Il rend un hommage old-school et rugueux à la scène de Chicago ("Drinking In Darkness"), verse dans un punk funk bien gras sur "Bongo Fever", et fait chanter les vahinés sur fond de percussions sur un "Tahiti On My Mind" qui me paraît éligible pour accompagner une pub pour du gel-douche.

Pour le moment, c’est "I’m Out The Door" qui a ma préférence. Peter Visty y montre toute sa capacité à combiner plusieurs climats au sein d’une même composition, saupoudrant son beat de guitares héritées du Salsoul Orchestra, d’escalades de synthé bien droguées, puis d’un piano housey, avant de funkifier toute cette affaire avec un sample de James Brown forcément très efficace. Il n’y a pas de "Stars 2" sur cet album, rien d’aussi intense, juste une poignée de bons titres taillés pour l’été, sans autre prétention que de donner le sourire et de faire danser.

En bref : Le premier album solo de Peter Visti est moins tape-à-l’œil, mais aussi moins aventureux que son duo avec Jakob Meyland. Le Danois revient au son de ses premiers EP pour une collection de tracks nu-disco qui sentent bon le monoï et les nuits d’été où tout est permis.



A lire aussi : Visti & Meyland (2010), interview de Peter Visti (2008)






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11 juin 2011

Fucked Up - David Comes To Life (2011)

C'est à la fin de l’année dernière, à la sortie de l’EP Year Of The Ox, que j'ai découvert Fucked Up. D’abord intrigué par ce nom énigmatique, en référence aux signes du zodiaque chinois, j’ai rapidement été accroché par ce deux-titres, sans chercher à en connaître plus sur le groupe. D’une douzaine de minutes chacun, un morceau en particulier, "Solomon’s Song", dont le bruit et la fureur s’évanouissaient dans le vague des notes d’un saxophone, m’avait paru particulièrement réussi. Plutôt méconnu malgré leurs nombreuses productions, et ce depuis près d’une dizaine d’année, le sextette canadien réapparait aujourd’hui avec un ambitieux et troisième album publié sur Matador.

Découpé en quatre parties et regroupant pas moins de dix-huit titres sans le moindre interlude, David Comes To Life se présente comme un album conceptuel. C’est l’histoire d’un employé d’une usine d’ampoule, David, qui s’éprend de Veronica, une belle activiste. Lorsque celle-ci meurt dans l’explosion de la bombe qu’ils avaient décidé de constuire pour semer la peur et la destruction, David tombe dans une grave crise existentielle. L’album raconte sa renaissance.


Comment peuvent-ils se faire les interprètes d’une telle histoire ? C’est dans cette particularité que réside certainement tout l’intérêt de Fucked Up. Le traitement réservé au son reprend les codes du genre hardcore, avec ses riffs de guitares impressionnants et un chant rocailleux de Damian Abraham poussé au bord de l’explosion. La présence de Sandy Miranda, la seconde voix aérienne, et unique présence féminine de la formation confère une touche pop, une petite douceur supplémentaire aux compositions déjà mélodiques du groupe. On pense aussi bien à Belle & Sebastian qu’aux sous-évalués Quicksand, emmenés par Alan Cage dans première moitié des années 90.

Passé un premier titre instrumental et progressif, "Queen Of Hearts", établit le contact avec le vrombissement ininterrompu de guitares aux influences shoagaze. S’il est difficile d’isoler un morceau en particulier, les titres s’enchainent avec cohérence et font de l’ensemble un tout homogène, qui intègre cependant les particularités de chacune des parties. David Comes to Life tient de l’opéra punk-rock. L’effet immédiat des titres balance avec la longueur de l’album qui pourrait décourager certains d'une écoute complète. Ce qui ne nuit en rien à la créativité débordante de la formation.

En bref : Fucked Up réussi le pari d'une oeuvre ambitieuse et d'une qualité certaine. Au vu de leurs précédentes productions, une plus grande diversité instrumentale aurait certainement contribué à rendre la pièce moins monolithique qu'elle ne parait.




Le site de David Comes To Life
Le MySpace du groupe




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09 juin 2011

Reggie Dokes - Once Again (2011)

Nous n’avons pas parlé de Reginald Dokes depuis presque trois ans, mais pendant ce temps, le DJ originaire de Detroit et basé à Atlanta a continué à délivrer, sans se presser, des maxis impeccables sur des labels de référence comme Clone Royal Oak ou We Play House. Son style, reconnaissable entre mille, est quasi-entièrement basé sur le piano. Il n’utilise pratiquement jamais de sample, préférant plaquer lui-même quelques accords sur son clavier. Il évite, surtout, de surproduire ses tracks, ce qui leur donne un côté un peu brut, très humain. Du coup, sans présenter d’originalité particulière dans leur forme et leur structure, ses disques sortent du lot, tout naturellement. Et Once Again en est l’exemple parfait, puisque c’est sans doute l’un des meilleurs EP d’une carrière qui a démarré il y a plus de quinze ans.

Harmonieuse et soulful, la house de Reggie Dokes s’inspire très largement des grands noms de sa ville natale et de Chicago. Ses morceaux sont si simples, si évidents qu’ils peuvent paraître paresseux s’ils ne sont écoutés que d’une oreille. Mais la magie opère dès que l’on prête attention à chaque son. Il y a quelque chose d’inexplicablement beau dans la brutalité primitive des snares, des congas et, d’une manière générale, de tous les éléments rythmiques. Une sorte d’authenticité, impalpable et émouvante, qui s’accorde très bien aux mélodies naïves de Dokes, comme le prouve "God of House", descendant direct du "Strings of Life" de Derrick May, avec ses cordes et son Rhodes sensuellissimes. Quant au remix de Once Again par le jeune duo néerlandais Morning Factory, il se montre digne du reste de l’EP, mais dans une veine deep-house plus classique et moins luxuriante.

En bref : une nouvelle confirmation du statut à part de Reggie Dokes dans le monde aseptisé de la house. Le natif de Detroit n’a pas son pareil pour allier la brutalité originelle du beat avec l’émotion des cordes et du piano. A la fois complexe et naïve, sa musique est touchante tout en restant sérieusement groovy. Superbe EP.



Reggie Dokes sur Myspace
Le site de Clone Royal Oak

A lire aussi : Reggie Dokes - Rain Redemptive Love (2008)

"God of House" :



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06 juin 2011

Outrageaous Cherry - Stay Happy (2006)

La bande à Matthew Smith est l’une des marottes de Dodb, pour sûr. Un groupe en rien dans l’actualité, qui ne fera jamais la une des journaux, mais qui irrémédiablement revient à intervalles réguliers sur la platine de votre serviteur. Le disque en question est approximativement le dixième du groupe du Michigan, juste après Our Love Will Change The World, et bien après Supernatural Equinox dont nous avions déjà parlé ici. Et même si je dois convenir qu’il n’apporte rien de neuf sur le front du rock indé, il est une fois de plus exempt de morceau faible et excellent de bout en bout.

Toujours chez Rainbow Quartz (fameux label néo psyché new-yorkais des années 90), toujours produit par Matthew Smith himself, Stay Happy contrairement à son titre est un album sur le thème de la destruction. Les textes sont cyniques et paranoïaques, et Smith joue de sa voix presque détachée pour finalement parler d’un souhait plus que d’un fait, celui d’enfin pouvoir être heureux.

La recette reste inchangée également : jouer des titres rock early 70’s, non pas de manière space rock à rallonge, mais de façon ultra pop, en moins de trois minute chrono à chaque fois. Surtout, l’ambiance générale malgré le thème reste très ensoleillée. Certains ont parlé de musique du lendemain, certainement une manière de faire passer la pilule pour un groupe que l’on peine encore à cerner tant il semble vouloir rester confidentiel.


Au niveau des titres à conseiller, je suis bien en peine tant l’homogénéité semble de mise. Appuyons cependant sur "New creature", morceau typique du quatuor avec lalalala, tambourin et autres hand claps, mais aussi "Stay happy", le genre de morceau de pop Nuggets à la Troggs qu’il est bien difficile de ne pas aimer. Tous les autres, je dis bien tous les autres, sont au même niveau. Mention spéciale quand même à "The song they don’t want you to sing", "Memphis stereo" ou encore le sublime et triste "Trust", qui résonne longtemps dans la boîte crânienne.

En bref : Matthew Smith et son groupe livraient en 2006 un disque de plus, un rock mid tempo et rétro baignée d’une large sensibilité stone. Ceux qui y ont goûté n’en reviennent toujours pas. Les autres ne savent pas c qu’ils ratent.



Le Myspace

"New creature" :



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03 juin 2011

Primavera Sound Festival - 25 - 29 mai, Barcelone


Aujourd’hui j’ai dormi dix heures. Dix heures, pour enfin me remettre de l’énorme fatigue causée par ce qui apparaît comme l’un des plus importants festivals d’Europe. Au vue de la programmation dévoilée en janvier, énorme et dense, je me préparais déjà à vivre des jours et des nuits intenses, sans même compter le stress dû à une organisation festivalière confuse, à un système bancal de carte obligatoire à recharger sur un site internet saturé, et la réservation du concert de Sufjan Stevens soumise à un tirage au sort scandaleux. Mais lorsque j’ai appris qu’il y allait y avoir en plus une journée d’ouverture avant, une journée de clôture après, et toute une sélection "off" à divers endroits de Barcelone pendant le festival, j’ai bien compris qu’il allait être difficile de m’en remettre. Aussi bien physiquement qu’émotionnellement, tant l’affiche programmait de reformations inespérées, de coups de cœur actuels, et d’hommages à des albums cultes.

C’est d’ailleurs Echo & The Bunnymen qui se charge de la soirée d’ouverture, où ils interprètent Heaven Up Here. Treillis militaires, jeux de contre-jour, effets de fumées : l’esprit sombre du début des 80’s est au rendez-vous, et il n’a pas pris une ride. Le lendemain, après l’interprétation haute en concepts de The Age of Adz par son créateur de génie Sufjan Stevens, c’est Suicide qui se colle à l’exercice, jouant son premier LP (1977). À bientôt 73 ans, s’il peine à marcher, Alan Vega n’a aucun mal à vociférer dans son micro. Martin Rev joue du clavier avec le poing, tandis que les beats martèlent les enceintes, le sol, les tympans, tous mes organes et me prend à la gorge. C’est glauque, percutant, intense. Je n’ai pas l’occasion de voir Père Ubu jouer The Annotated Modern Dance, ni John Cale jouer Paris 1919, mais tiens à être au premières loges pour voir Mercury Rev jouer le fou Deserter’s Songs (1998) lors de la soirée de clôture, le dimanche 29 mai. Comment donner vie une telle création de studio ? En le gonflant à coups de basses et de guitares bien sûr (effet flagrant sur l’instrumental "Pick Up If You’re There" notamment), mais aussi en ne lésinant pas sur les claviers et les machines. Pendant tout le concert, Jonathan Donahue gesticule comme un savant fou, un personnage expressionniste qui tenterait de dompter un monstre. En rappel, "The Dark is Rising" est apprécié par tous les amateurs de l’album All is Dream, dont je fait partie.


Mais Primavera Sound, c’est aussi l’occasion de voir la crème de la crème de la jeune garde actuelle. Lors de la soirée d’ouverture, juste après Echo & The Bunnymen, Caribou rappellent à quel point leur son est parfait pour les festivals. Emeralds programmés le jeudi à 18h sur la scène Pitchfork, cela semblait parfait pour entendre leur beau dernier album, solaire et aérien. En lieu et place de cela, le trio choisi de fermer l’espace et de l’assombrir par de lourdes basses synthétiques. Néanmoins le set fonctionne, grâce notamment à la performance du guitariste. Cette même scène Pitchfork siéra plus mal encore le lendemain au jeune James Blake, dont les silences, soit la qualité principale de ses compositions, sont pollués par les sons de guitare provenant des scènes voisines. Plus tôt, dans la journée, la chilienne Javiera Mena tirait parti de son concert improbable sur le toit d’un bus en plein centre-ville, en choisissant de n’y interpréter que ses titres électropop les plus kitsch. Puis Fiery Furnaces s’amusait brillamment des ruptures et des enchaînements sur la scène Llevant, rassemblant plusieurs de leurs chansons en une seule. De ruptures il est aussi question chez Field Music, qui livrent sur la scène Vice un set bien plus passionnant que leur dernier album. Le lendemain à 16h, c’est dans le silence et le confort de l’auditorium que Perfume Genius interprète, à quatre mains, ses poignantes chansons, auxquelles les nappes de synthés apportent une belle épaisseur.


Tendance pressentie par Ju l’année passée, cette édition confirme la nostalgie 90’s ambiante. Et ce n’est pas Yuck qui dira le contraire, le quatuor livrant samedi un beau set de power pop nostalgique, joué avec un flegme emprunté à Yo La Tengo. Ensuite, événement pour certain, simple curiosité pour les non-initiés, Papas Fritas se reforment sous nos yeux sur la scène Ray-Ban. « Voici la toute première chanson de notre tout premier album » : bam, ascenseur direct pour l’année 1995. Le concert est léger et solaire, et ponctué de beaux tubes de poches comme "Say Goodbye" et "Way You Walk". Juste après, le duo Dean & Britta, issu du groupe Luna, offre un beau showcase acoustique dans une petite tente installée au milieu des scènes massives. L’instant est précieux et émouvant. L’opposé exacte de la veille, où les années 90 étaient, avec Belle and Sebastian et Pulp, en mode best-of et show-off. Alors que Stuart Murdoch est devenu un excellent homme de scène, Jarvis Cocker mettait un point d’honneur à prouver qu’il n’a jamais cessé de l’être. En revanche, il y a quelqu’un pour qui la carte nostalgie ne fonctionne pas du tout : j’ai nommé DJ Shadow. Aux machines dans une boule cheap et au milieu de visuels certainement empruntés au Futuroscope, celui-ci joue un set mêlant abstract hip-hop et drum’n’bass, et n’y proposant pas l’ombre d’un renouvellement.


"C’mon Billy", "Down by the Water", "The Sky Lit Up", "Angelene", "Meet ze Monsta" : PJ Harvey replonge elle-aussi dans ses années 90, mais pour mieux les interpréter avec ses nouveaux instruments fétiches, l’autoharpe et le modulateur de voix. Son excellent dernier album est loin d’être taillé pour une si grande scène, et pourtant, le groupe (elle joue avec Mick Harvey, John Parish et Jean-Marc Butty) est captivant. Il fallait au moins cela pour se remettre du choc subi au concert d’Einstürzende Neubauten. Au milieu du vacarme dompté des scies et des tubes, du fer et de l’acier, Blixa Bargeld tire sur sa voix puis retombe dans les graves, en se mouvant avec une classe folle et un humour que je ne lui connaissais pas. Un des concerts les plus impressionnants de ce festival. Impressionné, je savais que j’allais l’être au concert gigantesque des Flaming Lips, qui est bien la grande messe joyeuse que l’on m’avait annoncé. Même lorsque Wayne Coyne interprète "Yoshimi Battles The Pink Robot" seul à la guitare, cela tient du grandiose tant le public reprend les paroles en chœur.

Comme toujours semblerait-il, le bilan est donc excellent, et je l’entacherai à peine en évoquant la pataude prestation d’Animal Collective, dont le set décousu et brouillon n’aura pas été la transe attendue. Dommage pour une clôture de grande scène. Mais qu’importe, puisqu’à Primavera, ce n’est jamais la fin, et qu’après le dernier jour, il y a toujours encore un jour. La nuit de clôture se fera avec un bon concert de Black Angels et un DJ-set efficace de Simian Mobile Disco. Buenas noches.

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01 juin 2011

Sufjan Stevens - The Age of Adz Tour, Barcelone, le 26/05/11


S'il y avait un événement à ne pas rater cette année, c'était bien la tournée de Sufjan Stevens. Aux commandes de ce qu’il appelle son « vaisseau spatial », il faisait escale la semaine dernière à Barcelone. Il y était programmé dans le cadre du festival Primavera Sound certes, mais pourtant totalement en marge du reste de la programmation. En marge physiquement tout d’abord, puisqu'il jouait dans l’espace bleu cosmique du déroutant auditorium des architectes Herzog & De Meuron, situé en dehors du site du festival à proprement parler. Qualitativement ensuite, tant le spectacle et la performance proposés se situaient indéniablement au dessus de tout ce que le festival proposera par ailleurs.

Car nous pénétrons ici dans un autre monde, dans celui des artistes qui voient plus loin : ici, en l'occurrence, vers l’infini. Nous pénétrons ici dans un autre monde, dans celui des musiciens qui savent, et dont nous savons, que leur interprétation sera incroyablement juste, précise, parfaite. Le souci de justesse étant hors de propos, l'enjeu de la performance s'en voit déplacé, vers l'expérience artistique totale, où tout est pensé à la note et au millimètre près, et qui vise à bâtir un réseau inépuisable de signifiants et de références autant qu’à émouvoir le spectateur de manière violemment épidermique. À partir de là, Sufjan Stevens peut se permettre tout ce qu'il désire : la démesure en apparence, et pourtant simplement des moyens à la hauteur de ses ambitions, qu'il explique un peu plus entre chaque chanson, au fur et à mesure du spectacle. Et pour viser l’infini, il n’y a jamais assez de projections foisonnantes, de chorégraphies virevoltantes, de musiciens en abondance, de costumes fluorescents, de lumières hypnotisantes, d’effets d’écrans et de transparence. Pendant deux heures, le cerveau du spectateur est extrêmement sollicité, ce qui n'est pas sans causer malaise et vertiges. Certains réagiront par le rire, d’autres par les larmes. Mais après deux heures, tous ressortirons vidés.

Il était amusant de constater à quel point le festival faisait la part belle au culte maniaque de l’Album, de nombreuses formations étant venues interpréter leur album culte dans l’ordre et en intégralité. De même, ce spectacle aurait pu s'intituler "Sufjan Stevens performs : The Age of Adz", puisqu’il lui était entièrement consacré. Pourtant, à l’inverse des autres, The Age of Adz est interprété selon un tracklisting différent. C’est un choix qui, en apparence, ne respecte pas le saint ordre de l’album, mais qui pourtant en restitue l’essence même : la dialectique de déconstruction / reconstruction. Rappelons que l’une des caractéristiques les plus marquantes de ce disque est la manière dont Sufjan Stevens y déconstruit ses chansons en leur sein même pour mieux les reconstruire à l’aide de beats électroniques et de sons de synthés. C'est ainsi qu'il y déconstruisait d’un même mouvement tout son appareil folk et baroque habituel, mêlant à ces sons nouveaux cuivres, vents et cordes dans une orchestration d’un genre inouï.

C’est donc avec cette démarche en tête que l'interprétation de The Age of Adz s'ouvre sur... un morceau qui n'y figure pas. Il s'agit de "Seven Swans", commencé au banjo, puis gonflé, transformé, Adzifié, avant que Sufjan Stevens, affublé d’ailes gigantesques, ne jette son banjo au sol dans un élan de violence. Le choix n’est bien sûr pas innocent, il est là pour signifier quel monstre lui et sa musique sont devenus.

Immédiatement, le groupe enchaîne avec "Too Much" (les titres et paroles des chansons deviennent plus que jamais éloquents). Sur l’écran de projection, c’est le clip réalisé pour le single qui est diffusé. Et c'est à ce moment-là que l'on comprend que l'album, comme le clip, n'étaient non pas une finalité en soi, mais bel et bien parties d'un ensemble plus grand, probablement prévu en amont : le spectacle qui se déroule sous nos yeux. Et c’est un des motifs qui sous-tendent l’ensemble de l’œuvre : la partie immergée de l’iceberg, l’arbre qui cache la forêt. Sur disque, l’électronique dissimulait la réalité organique des chansons. Sur scène, le rapport est inversé : les instruments classiques constituent la partie visible, alors que les différentes strates électroniques proviennent de machines visuellement discrètes. Les volcans qui font rage pendant "Vesuvius" ne sont que la partie visible d'un système plus grand, la Terre, elle-même partie d’un système plus grand, le Cosmos. L’écran de projection est d’ailleurs en forme de pyramide tronquée : la base cache le sommet, qu'il nous faut donc imaginer, pointé droit vers le ciel.


L’imagerie cosmique parcourt l’ensemble de la performance. Mais cette incitation à la réflexion métaphysique sur la place des choses dans l’univers est illustrée, avec un degré d’humour difficile à situer, par des visuels d’une naïveté empruntée à tout un pan de la pop culture, celle des Comics (aujourd’hui étonnant anagramme) et de la SF de série-B. Musicalement aussi, l’ouverture de "The Age of Adz" (la chanson) renvoie aux musiques de films d’invasions extraterrestres. C’est donc là que la forme pop des chansons prend tout son sens.

Toute cette imagerie, et même l’ensemble du projet a été inspiré par et emprunté à la "muse" actuelle de Sufjan Stevens, l’artiste autoproclamé prophète Royal Robertson, qu’il présente longuement dans un intermède discursif, à l’aide de photographies projetées. Royal Robertson y apparaît comme la parfaite figure de l’artiste illuminé. Et à ce moment-là, on se demande ce qui a pu se passer dans la tête de Sufjan Stevens pour qu’il s’engage dans un tel credo avec une telle foi. Peu de mystère est fait autour de la dépression qui a précédé la réalisation de The Age of Adz. Au cours du concert, Sufjan Stevens se décrit lui-même comme un dépressif schizophrène. Et au milieu des grands thèmes métaphysiques que sont l'essence des choses, l'ordre cosmique, le rapport entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, le commencement et la fin du monde, c'est son propre malaise intime qu'il met en scène (cf., entre autre, la reprise intimiste de "The One I Love" de REM). Et c'est cela qui rend la performance si émouvante.

Lorsque débutent les premières notes de l’intense demi-heure d’"Impossible Soul", on sait que c’est émotionnellement que, en tant que spectateur, nous nous engageons. L’engagement sera finalement physique, tant le joyeux bordel organisé pousse à se lever de son siège. Les différents mouvements de la chanson font passer les spectateurs d’un état d’euphorie extatique collective à un état de mélancolie intime. C’est le bordel dans les émotions. C’est le bordel partout, pourtant tout ordonné. C’est des costumes improbables et des duos à l'auto-tune. C'est un certain reflet de notre époque sous une perspective cosmique. Et c’est un "Chicago" pour un rappel magnifique, où tout finit sous des ballons et des confettis, pour une dernière expérience de l’ordre et du chaos.

À la lecture de cela, certains me répondront « ce n’est que de la musique pop, enfin. » Auxquels je répondrai « oui, c’est cela, et c’est tout le reste. » Je crois que l’on a ici dépassé le cadre minuscule de la pop ou de la musique indie. Je crois que, justement parce qu’elle met en relation sa propre condition pop, dont elle est pleinement consciente, avec une réflexion infiniment vertigineuse, nous sommes là face à l'une des œuvres majeures du spectacle vivant de ce début du XXIème siècle.

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